Les Sauteurs

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Deux documentaristes allemands, Moritz Siebert et Estephan Wagner, confient leur caméra à un migrant malien, Abou Bakar Sidibé, et livrent ainsi à trois mains un témoignage essentiel.

Ceuta et Mellila sont de petites enclaves espagnoles en territoire marocain, restes historiques de la période coloniale. Dans la nuit du 19 février 2017, 300 migrants ont sauté les dangereux grillages entourant Ceuta. Trois jours auparavant, 498 sur 700 étaient passés. Le 1er janvier, c’étaient 1100 migrants qui avaient essayé de passer, sans succès. Même logique à Mellila : ils essayent de forcer le passage en étant très nombreux pour déborder les gardes. Il y a trois clôtures et les grillages font jusqu’à six mètres de haut… Mais « il n’y a de mur qu’on n’outrepasse » disaient déjà Glissant et Chamoiseau dans leur célèbre texte sur les murs. Des années de souffrance et d’attente, une détermination à toute épreuve : que veulent ces migrants ? Moritz Siebert et Estephan Wagner sont allés à leur rencontre. Ils ont particulièrement sympathisé avec Abou Bakar Sidibé et ont confié au jeune Malien une petite caméra DV pour qu’il filme son quotidien sur la montagne de Gurugu surplombant Melilla. Et ils l’associent finalement comme coréalisateur du film. Cette humilité et cette confiance sont d’une extrême pertinence. « Vous ne pouvez pas tout nous prendre et ensuite nous exclure : j’ai le droit de venir en Europe », dit Abou. Cela fait cependant quinze mois qu’il stagne à Gurugu, impasse d’un voyage démarré avec 40 euros en poche. Les assauts collectifs de la barrière n’ont rien donné et il fallut rebrousser chemin. Des caméras de nuit décèlent les files de migrants descendants de la montagne, édifiantes images qui parcourent le film, si bien que la police les attend pour les contenir. Certains se prennent des coups, ou s’ouvrent le pied sur les barbelés. D’autres inventent des crampons pour mieux gravir les grillages… Le camp improvisé est hiérarchisé : un président pour chaque pays d’origine, qui définit la stratégie à adopter, qui ne fait pas l’unanimité. Pourquoi ne pas tenter de passer en masse, tous ensemble ? Entre un match de foot et les tâches quotidiennes, les discussions vont bon train. Abou se met en scène, donne des directives à ses collègues. Il est sollicité pour filmer la confession d’un « traître » qui a renseigné la police marocaine. Il est devenu le filmeur, investi d’un pouvoir qui peut s’avérer dérisoire face à la violence à l’oeuvre.  Il commente : « Le Gurugu, c’est être soi-même, partager avec ses frères, être courageux, être discipliné, avoir peur tout le temps, être sans espoir, être machiavélique, réussir à tout prix ». Il nous rend familiers ces invisibles de la montagne que la night-vision camera ou les caméras de surveillance captaient comme d’inquiétantes meutes. Les Sauteurs est ainsi un témoignage unique pour dépasser la vision réductrice et éloignée de ces fous du grand saut. Et donc un film essentiel pour comprendre le temps présent.

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