C’est un événement tchadien mais c’est aussi un événement pour les cinémas d’Afrique confrontés à une fermeture endémique des salles de cinéma. La rénovation du Normandie, la salle mythique de Njaména de près de 600 places, montre que chaque capitale devrait avoir au moins un cinéma de référence offrant des projections dans de bonnes conditions techniques et de confort pour préserver l’expérience cinéma.
Comme au Mali où le projet de rénovation du cinéma « Soudan » est l’initiative d’un cinéaste, Abderrahmane Sissako, qui se bat pour en trouver le financement en mobilisant les dons, c’est la constance d’un cinéaste qui a permis la réouverture de la salle Normandie à Ndjaména. Avant le premier film de Mahamat Saleh Haroun en 1998, Bye bye Africa, personne ne posait la question de la fermeture des salles au Tchad. On ne trouve trace d’aucune préoccupation gouvernementale pour cet état de fait et les médias tchadiens ne s’en font pas l’écho. Mais les succès internationaux remportés par les films du réalisateur, ses prix dans les grands festivals comme Cannes ou Venise, ont encouragé la prise de conscience des autorités.
Bye bye Africa posait le problème du cinéma dans son ensemble : manque de structures d’aide à la production, absence de salle de cinéma, question du rôle joué par le cinéma et de sa nécessité, coupure avec le public populaire, désintérêt des autorités, etc. Le film fut primé à Venise, et a porté haut le drapeau du Tchad. En 2002, son second long-métrage, Abouna, est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes et primé au Festival Panafricain de Ouagadougou. En 2006, Daratt obtient le prix spécial du jury à Venise et l’étalon de bronze au FESPACO de Ouagadougou. Le Président de la République tchadienne demande alors sa diffusion dans sa résidence en présence de tous les membres du gouvernement. C’est le premier déclic et le bon. L’administration tchadienne se rend compte que le Tchad existe sur la scène cinématographique internationale grâce au succès d’un réalisateur et que l’image du pays en sort positivée et renforcée.
Son dernier long-métrage, Un homme qui crie, frappe un coup décisif grâce au Prix du jury obtenu à Cannes. Les autorités tchadiennes se mobilisent ; le ministre de la Culture fait le déplacement à Cannes et c’est à juste titre que Mahamat Saleh Haroun dira qu’il a « donné un coup qui a réveillé les morts ». Alors que toutes les salles fermaient sur l’ensemble du territoire tchadien, il a du moins brisé l’indifférence : le Normandie vient de se réveiller !
Pour Haroun, le cinéma a toujours constitué une préoccupation majeure et ce réveil national est pour lui un sujet de consolation. Rouvrir une salle comme le Normandie a toujours fait l’objet de son souci. Il l’a souligné, comme nous l’avons rappelé sur ce même site, à la presse tchadienne le 4 juin 2010 dernier à son retour de Cannes : « C’est sans doute un souhait et je suis vraiment content. C’est un vu. Je meurs d’impatience de voir rouvrir cette salle » (voir article [Mahamat-Saleh Haroun face à la presse tchadienne] ). Et voilà la réouverture officielle de cette salle ce 8 janvier 2011. D’autres projets de réouvertures sont en cours et permettront d’agrandir le parc de salles. Sont ainsi envisagées les rénovations à court terme des salles de cinéma Rio et Shérazade. À moyen terme, est envisagée la construction d’une salle de cinéma dans chaque arrondissement de la capitale.
D’un coût global de 1.200.000.000 Fcfa (environ 1.700.000 euros), la rénovation de cette salle est un cadeau offert par le chef de l’Etat aux Tchadiens à l’occasion de la célébration de la cinquantième année d’indépendance du pays. Pour le cinéaste Mahamat Saleh Haroun, l’acte ainsi posé est un acte historique pour la renaissance du 7e art au Tchad. Il a également émis le vu de voir cette salle vivre pendant longtemps :« Je suis très ému, très ému M. le Président parce que tout simplement vous nous sortez d’un tunnel pour aller vers la lumière. C’est un cadeau inestimable, il se passe quelque chose d’historique parce que les salles ferment partout en Afrique et le Tchad décide de donner un coup de pouce au cinéma pour une renaissance du 7e art. Je ne vous dirais jamais assez merci M. le Président pour tout ce travail. Je tiens à remercier le ministre de la Culture et je tiens particulièrement à remercier mon ami Issa Serge Coelo qui va s’occuper de cette salle avec la générosité et la patience que je lui connais pour que cette salle survive et qu’elle continue à projeter les films pour le prochain cinquantenaire ».
Si depuis toujours les cinéastes Tchadiens se sont débrouillés seuls pour faire parler de leur pays à l’échelle internationale, Mahamat Saleh Haroun croit qu’avec l’intérêt qu’accordent aujourd’hui les autorités du pays à la culture, les artistes ne se sentiront pas seuls. Il a ainsi orienté ses remerciements au gouvernement dans le sens d’une collaboration vertueuse : « Je voudrais terminer sur une chose, c’est que jusqu’à présent les artistes et notamment les cinéastes Tchadiens se sont débrouillés tout seuls. Je suis convaincu M. le Président, M. le ministre qu’à partir d’aujourd’hui nous avons le sentiment qu’on a une famille derrière nous, que nous n’irons pas au combat tout seuls, il y aura un soutien, votre soutien, croyez-moi on vous rapportera de belles choses ».
Enfin, le cinéaste a lancé un appel à destination des spectateurs pour un bon usage de cette salle : « Juste une dernière chose, des habitudes qu’il faut prendre, je vous demande, pour ceux qui ont leur portable de l’éteindre parce qu’au cinéma, c’est bien quand ça ne sonne pas. »
Dans son allocution, le ministre de la Culture M. Djibert Younous a mis l’accent sur le caractère attractif, ludique, instructif et divertissant de la salle. Il a tenu à remercier le chef de l’Etat pour sa volonté manifeste de développer et de promouvoir la culture au Tchad mais il a aussi adressé au nom du peuple tchadien, toutes ses reconnaissances au cinéaste Mahamat Saleh Haroun qui ne cesse de porter haut le flambeau du Tchad. Il fut ensuite possible de voir un extrait du film. Le cortège présidentiel est alors monté à la cabine de projection pour en visiter l’équipement. « Un homme qui crie » est à l’affiche durant tout le mois de janvier. Le prix d’entrée est de 1500 Fcfa (environ 2,50 euros). Le directeur de la salle, le cinéaste Issa Serge Coelo, indique que les travaux de rénovation doivent être poursuivis. Reste à savoir comment il pourra se procurer les films : « L’ambition est de suivre le rythme des sorties européennes de films avec une semaine de décalage
Ça marche à Bamako, alors pourquoi pas chez nous !« .
Cet engagement est optimiste, le Tchad étant enclavé au niveau cinématographique : le cinéma ne s’y est jamais développé autant que dans des Etats tels que le Mali et le Burkina Faso. Dès 1962, l’État malien avait créé l’OCINAM avec pour mission de produire, distribuer et exploiter les films en salle. Il en comptait 15 en 1961 et 18 en 1972, alors que le Tchad n’avait pas atteint les 10 salles. La Haute Volta qui abritait déjà en cette époque le FESPACO, a créé la SONAVOCI en 1970. Tout cela a contribué à la construction d’une culture cinématographique dans ces pays. Ce ne fut pas le cas au Tchad, où l’absence de volonté politique et les décennies de guerre ont retardé le pays, et le développement de toutes pratiques culturelles, notamment cinématographique. Mais l’ambition est nécessaire, même si cela prendra du temps avant que les Tchadiens ne se remettent des troubles de plusieurs décennies de guerre.
///Article N° : 9918