Mamani Keita, voix du destin

Entretien d'Eglantine Chabasseur avec Mamani Keita et Nicolas Repac

Paris, avril 2006
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Plusieurs années après  » Electro Bamako « , premier album très remarqué de Mamani Keita, la chanteuse la plus atypique du Mali revient sur le devant de la scène avec  » Yéléma « . Aux côtés de Nicolas Repac, dit  » le sorcier blanc « , elle promène sa voix à travers les continents, les âges et les univers rythmiques.

Comment avez-vous travaillé pour mettre en place Yéléma, deuxième album de Mamani et très différent du premier ?
Mamani Keita : Je ne voulais pas continuer dans la veine électro de mon premier album. Je ne veux pas dire que ce style ne peut pas évoluer, mais cela n’aurait en tout cas pas fait évoluer ma musique… Je voulais me différencier des autres musiciennes africaines et c’est ce chemin-là, qui donne une valeur à ma chanson, à ma voix, à la musique africaine aussi, que je voulais prendre. Il y a plein de choses dans cette musique et j’en suis très contente.
Nicolas Repac : Au départ, j’ai connu une période probatoire d’un an. C’est la première fois que je pouvais faire un disque avec une chanteuse africaine… je ne voulais pas décevoir. Je flippais pas mal. J’ai mis un an à composer deux morceaux Lado et Yéléma. Une fois trouvé le chemin, c’est devenu très facile. J’ai pris un point de vue universel, je me suis dit Ok, c’est le blues, c’est mon enfance. Que ce soit un Africain un noir américain, ou même moi, un Blanc qui joue, on fait la même musique. Alors on est partis de la guitare de Djéli Moussa et de la voix de Mamani, très simplement, pour respecter le beau matériau de voix de départ. Ensuite j’ai essayé de l’emmener ailleurs en bidouillant avec un sampleur et ma guitare. Si on n’a pas de complexe entre les cultures, on a tout à partager finalement.
Sur scène, comme sur l’album, votre musique est pleine de textures très différentes, Mamani, ta voix colle à tout cela. On a l’impression que tu fais une musique en harmonie avec le monde, ceux qui t’entourent…
Nicolas Repac : Tu ne t’en rends pas compte, mais tu dégages ça chez les gens…
Mamani Keita : Quand je suis sur scène, je ne vois pas ce qu’il se passe, mais souvent je sens la musique qui est derrière moi, je sens quelque chose d’impressionnant sur moi.
Nicolas Repac : Il y a un mot pour cela : c’est universel ! Quand j’ai rencontré Mamani, c’était incroyable. Cette musique africaine que j’écoute depuis toujours est le berceau du blues. Personnellement, je ressens toujours un apaisement très fort quand j’écoute la musique malienne. Nous, occidentaux, on n’est pas habitués à ce genre de structures rythmiques qui nous mettent au bout d’un moment dans la transe.
Mamani Keita : C’est de la musique sans frontières…
De quoi parlent tes chansons ?
Mamani : De plein de choses, de la jalousie, de l’amour, des chefs d’Etat… Yéléma, le titre de l’album signifie  » le monde a changé « . Ici, en Europe, mais aussi en Afrique, on voit des choses mauvaises. Je parle beaucoup de la misère en général, pas celle de l’argent mais celle du cœur chez les gens, chez les politiques…
Tu as un parcours très atypique dans la musique. Au départ, en tant que Keita, tu n’avais même pas le droit de chanter…
Mamani Keita : Oui, a priori, je ne peux pas chanter la musique mandingue. Je suis noble de père et de mère, je suis Keita. Je ne suis pas griotte, donc je n’avais pas droit à la chanson mais chacun suit son destin. Ma grand-mère maternelle était chanteuse, elle n’était pas griotte non plus, elle chantait de la musique bambara. On n’était pas autorisé à chanter devant le public.
Nicolas Repac : Eh Mama, tu n’as pas le droit de chanter devant un public ? Et devant un griot ? Et alors comment on fait si on va à un festival où il y a des griots partout ?
Mamani Keita : Mais si bien sûr ! C’est différent maintenant ! C’est devenu un métier, ils ont vu les Européens, chez lesquels il n’y a pas de griotisme, de forgerons, de nobles.
Enfant, j’ai été frappée plusieurs fois par ma mère qui ne voulait pas que je chante, même si sa propre maman chantait. Je suis l’homonyme de ma grand-mère : elle s’appelait Assitan, mais son surnom, c’était Mama, et comme je suis la petite on rajoute  » ni  » ce qui donne Mamani, la petite Mama. Du coup, comme elle, je chante.
J’ai perdu ma mère à l’âge de 13 ans, je ne suis pas allée à l’école, j’ai fait du théâtre, rejoint le Ballet National avant de me consacrer à la musique. C’est ma grand-mère qui m’a élevée, et le bon Dieu m’a donné sa voix. Elle était chanteuse des  » possédés « , c’est elle qui allait chanter pour les guérir, pour les réveiller… Quand elle était à Bamako, elle allait de quartier en quartier. Je l’accompagnais partout. Ce n’était pas professionnel, au sens où ce n’était pas public.
Une fois – j’étais petite – je puisais de l’eau dans le puits, et je me suis mise à chanter. Et là, elle m’a dit  » Toi, tu vas partir à l’aventure « . C’est resté dans ma tête. Voilà dix-huit ans aujourd’hui que je suis en France et je me dis que ma grand-mère voyait déjà mon destin.
Comment s’est passée la première fois où tu as chanté en public au Mali ?
En 1982, la première fois que j’ai chanté en public, c’était en solo à la Biennale des Arts pour représenter le district de Bamako. Lors des éditions précédentes, je dansais principalement. Mais cette année-là, j’ai chanté Kassi Koun, et j’ai gagné le prix de la meilleure soliste.
Nicolas Repac : Kassi Koun est une chanson qui est sur le disque Yéléma. Mais Mamani me disait qu’aujourd’hui encore c’est le générique, tous les matins à 10 heures, de Radio Mali, dans une version guitare/voix, la même que celle de 1982. Tout le monde connaît cette chanson, mais les gens ne savent pas qui la chante.
Mamani Keita : Avant de monter sur scène, je me rappelle seulement que j’avais mal à la tête… Mais quand est venu mon tour, j’ai chanté comme une folle. C’était ma première scène, il y avait tous les dirigeants, le président de la République…. Par la suite, j’ai chanté avec l’Orchestre National du Mali, avec lequel j’ai tourné de 1985 à 1987, jusqu’à ce que Salif Keita me propose de venir en France, en en tant que choriste. Puis j’ai travaillé avec Tidiane Seck, et beaucoup d’autres artistes… Après, j’ai rencontré Nicolas Repac, le grand sorcier blanc…
Nicolas Repac : Ce surnom-là me poursuit… J’ai toujours écouté de la musique africaine, mais je ne viens pas d’une famille de musiciens. Je travaille de façon méthodique, mais complètement à l’instinct, je ne réfléchis pas. La musique africaine permet de libérer ça, c’est un accord répétitif, une musique de transe.

Mamani Keita et Nicolas Repac,  » Yéléma  »
Label No Format, sortie le 24 avril
En concert le 8 juin au Café de la Danse, à Paris///Article N° : 4396

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