Paroles et voix de femmes

à l'occasion du 8 mars 2009

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Les poèmes ici publiés sont, pour la plupart, inédits. Les sensibilités qui s’expriment sont différentes. Les voix qui se font entendre multiples, polyphoniques, divergentes parfois, comme la vie elle-même. Ce sont des poèmes militants (Koumanthio Zeinab Diallo, Mariama Ndoye), ironiques (Assamala Amoi) ou intimistes (Véronique Tadjo, Irène Assiba d’Almeida) ou d’inspiration religieuse (Marie-Léontine Tsibinda). Parfois, elles préfèrent s’exprimer sous forme de haïkus (Fatoumata Kane, Nicole Mballa-Mikolo). Les femmes jouent sur toutes les cordes. Elles font entendre toutes sortes de musique. Pourvu qu’elles se fassent entendre. Pour l’instant, elles émergent de l’ombre, sortent de tous les silences accumulés depuis des siècles. Elles se répondent en écho ou empruntent des voies divergentes. Profondeur et légèreté se côtoient.
Rassembler une telle diversité en un même lieu, dans le même temps, c’est prendre le risque de montrer qu’en marge d’une poésie élitiste, acceptée et consacrée, existent d’autres formes d’expression qui ne demandent rien, libres de toutes contraintes, tombant du ciel ou remontant de la terre autour, toujours, de la condition humaine, de la relation à l’autre et à soi-même.
Cette page prolonge peut-être l’esprit de l’anthologie bilingue A rain of words : A bilingual Anthology of Women’s Poetry in Francophone Africa (Une pluie de mots : Anthologie bilingue de la poésie des femmes en Afrique francophone) qui vient de paraître aux Presses universitaires de Virginie, coordonnée par Irène Assiba d’Almeida, poète, Professeur d’études francophones et chef de Département à l’Université de l’Arizona (USA) et traduite par Janis A. Mayes. Quelques poètes de cette anthologie prennent ici la parole. D’autres ont eu envie de dire qu’elles sont là, simplement là. Des poètes ayant une œuvre poétique reconnue et d’autres qui entrent en écriture joignent leurs mots en gerbe pour manifester leur présence au monde à l’occasion du 8 mars, comme pour rappeler qu’il s’agit d’un seul jour parmi 365.
Tanella Boni

Irène Assiba d’Almeida

Parenthèse de liberté

Ce soir, c’est ma parenthèse de liberté.
La lune tombe dans un seau d’eau fraîche
Le soleil avance à reculons
Les arbres chantent à tue-tête
Les oiseaux dansent en rythmes endiablés
Mes cheveux sont emmêlés de tendresse
Ma robe est toute froissée de caresses
Car ce soir, c’est ma parenthèse de liberté

Femme multiple

De toutes les femmes
que j’ai été
je préfère
la Femme
que je suis
Aujourd’hui.

Chairs éparpillées

Les dieux ont perdu la parole
Les hommes ont perdu la sagesse
Les femmes ont perdu la raison
Car les enfants ont perdu la vie

Et mes entrailles folles de douleur
Eclatent et s’éparpillent
A chaque fois que meurt
L’enfant-sida
L’enfant-soldat
L’enfant-souffrance

Comment rendre la douleur muette ?
Comment recoudre mes chairs éparpillées
Pour que les dieux retrouvent la parole
Les hommes la sagesse
Les femmes la raison
Et les enfants la vie ?

Ici et les ailleurs du monde

Lorsque tu auras parcouru
Tous les ailleurs du monde
Tu découvriras que le meilleur ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où naissent les Bouts de bois de Dieu
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où poussent les augustes baobabs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où reposent les ancêtres protecteurs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où bat ton cœur-soleil
Où vit ton âme-ébène
Où tes pieds connaissent les sentiers

Le meilleur des ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Et tu songeras
Qu’au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Et tu comprendras enfin
Que le mot « racines »
Est loin très loin
D’être un *canari percé.

*canari : Afrique : récipient en terre cuite dans lequel on conserve ou transporte des liquides.

Evelyne Etté

En quête de paix

J’ai envie d’écrire un poème,
Qui chanterait ma bohème.
J’ai envie de tracer des lignes
Aussi belle que la danse du cygne.
J’ai envie de faire des pages,
Et des pages de son merveilleux ramage.

J’ai envie de faire des folies
D’enterrer tous mes soucis
Je voudrais que la terre éclate
Dans une lueur écarlate.

Je voudrais tout simplement,
Me sentir bien un instant….
Un moment, rien qu’un moment.

Si je m’écoutais !

Je m’enfuirais, sur une île déserte.
Loin, seule, libre de toutes contraintes.
Je partirais pour de lointains rivages
Je m’élèverais vers les nuages,
Et de là-haut, je laisserais perler,
Les larmes de mon âme affligée.
Dans cette fontaine de tristesse,
Je laisserais couler ma détresse.
Cette source de chagrin tarie,
J’aurai trouvé l’étincelle de la vie,
Le courage d’arrêter de pleurer
À nouveau celui d’aimer
Et surtout de refuser,
D’être… une sacrifiée.

Fatoumata Kane

8 mars

Journée de la femme
De l’affirmation de soi
Des vœux de bonheur et de réussite
Sont-ce seulement des vœux pieux ?

Emancipation, liberté, justice
Pour supprimer tous les liens de l’oppression
Sont-ce seulement des lubies ?

Journée des congrès, séminaires et marches
Pour porter haut la voix de la femme
Sont-ce seulement d’éternelles ritournelles ?

Qui au fond,
Ne changent rien au cynisme ambiant
Et le 9, voilà que déjà,
L’on vaque à d’autres occupations.

Haïkus

Israël, Palestine,
Stupide guerre d’orgueil !

Si bel est le pélican,
Que la nature qui s’en émeut,
S’épanouit !

Un orage tropical
Le tonnerre gronde
Avec rage !

Instant de bonheur,
La terre assoiffée boit goulûment
La pluie salvatrice !

Heureux ?
Malheureux ?
Pourquoi tant d’émois ?

Véronique Tadjo

A perte de vue

D’un côté, le ciel bleu
De l’autre, des nuages orageux
Entre les deux, un cerf-volant
Comme un espoir incertain

Allongée dans l’herbe
Je respire à pleins poumons
Redécouvrant la douceur d’une paix
Délicate

Nous aurions pu être si heureux…

Mais, c’est toujours moi qui appelle
Toujours moi qui prends le téléphone
Et compose ton numéro
Toujours moi qui demande :
« Comment vas-tu ? »

A la tombée de la nuit
Les corps traversent
La ville – lentement, fatigués, éreintés

Des oiseaux au long cou
Planent au dessus de nous
Les rues se vident de leur énergie

J’aurais voulu te demander
Quand nous allions nous revoir
Mais je n’ai rien dit
Demain est bien trop loin
Et entre nous, demain n’existe pas

Voici que l’air s’est vicié
Que la cité s’essouffle
Que le pays s’arc-boute
Que le destin se raidit

Des pluies trop fortes
Pilonnent le sol
Les caniveaux débordent à torrents
L’amour se vide de son sang
Et la misère s’insinue
Dans notre vie

J’ai voulu toucher ton sourire
Mais j’ai trouvé ton désespoir

Je tends la main
Pour dessiner ton profil
Sans jamais savoir
Quel nom te donner

Pourquoi m’as tu montré
Le courage et l’ennui ?
Pourquoi m’as-tu tout donné
Et tout repris ?
Pourquoi m’as-tu parlé d’échec
Alors que je veux l’espoir ?

Depuis que tu es parti
Je mange les restes
De la vie
Je fouille les détritus
Du temps

J’aurais voulu célébrer l’avenir
Capter le moment
Qui nous ouvre ses portes
Dessiner sur ta peau
Des arcs-en-ciel éclairs

L’amour vient
L’amour s’en va
Le désir naît
Et il se tue

On nous avait promis la lune
Et nous voilà à cent lieux sous la mer
On nous avait promis la terre entière
Et nous voilà en deuil

Il fait plus chaud
Que dans mes rêves
Les nuits sont plus humides
Que dans mes souvenirs
Et le retour est plus dur que je ne le pensais

Mon amour
A la tête à l’envers
Et les pieds à l’endroit
Il a la force d’un fleuve
Et la douceur du karité
Il est comme la savane impudique
Il plonge dans la forêt moite
Mon amour
Est un grumier
Qui fend les pistes de ses phares aveuglants
Il est la poussière qui rougit mes cheveux
La sueur salée qui mouille mon corps

Mon amour
S’étend à perdre de vue

Marie-Léontine Tsibinda

Un nouveau printemps s’annonce

Un nouveau printemps s’annonce.
Lavé de sa tristesse et des ses ronces,
Il se répand dans le jardin de nos cœurs
Avec le doux chant de l’aurore.

Écoute le Seigneur te dire :
Ne pleure plus, ne pleure plus Marie,
Voici le temps de chanter et de rire
Ne pleure plus, ne pleure plus Marie.

Blessures et douleurs de saison en saison
Pleurs et lamentations de maison en maison
Épreuves et larmes soir après soir
Dieu te donne son soutien, sa victoire.

Il connaît tes peines et tes souffrances.
À la maman endeuillée, à l’épouse trahie
À toi l’inconsolable, à toi le solitaire,
Dieu guérit ton âme, ton cœur, ton pays.

Il connaît tes peines, tes souffrances.
Sur elles Dieu envoie la fragrance
Des fleurs et fruits parfumés, la mélodie millénaire
De la tourterelle qui chante la première,
L’aube nouvelle après l’orage et l’éclair.

Assamala Amoi

Poèmes extraits de Murmures de saisons

Et tu me dis que tu m’aimes

Plus de parfum ni de fleurs de jasmin
Tu m’arroses de pétrole et me transformes en torche
Pour laver ton honneur et celui de la famille

Et tu me dis que tu m’aimes

Pas de plaisir pas d’ivresse
Tu me fais exciser et infibuler
Pour me fermer la porte de la volupté

Et tu dis que tu m’aimes

Point de dialogue ni de duo
Tu n’écoutes ni mon cœur ni mon corps
Tes mots sont des coups de couteaux

Et tu dis que tu m’aimes

Pas de tendresse rien que ta loi
Tu la serres à deux mains autour de ma gorge et mon amour
Est pour toi un tam-tam sur lequel tu frappes les poings fermés.

Mais tu jures que tu m’aimes.

Hymne à la joie

Presque tout le monde lui demande
Si elle croit en Dieu et en ses saints
Si elle pense à écrire un cantique demain

Son stylo est chargé d’une cartouche
De larmes obstinées et farouches

Presque tout le monde lui demande
Si elle songe à imprimer des rires
Si elle va afficher sur l’écran des sourires

Ses doigts pianotent sur le clavier
Des étoiles perdues et des touches déviées


Nicole Mballa-Mikolo

Le Haiku, d’origine japonaise est composé de trois vers. Sa brièveté
permet d’attirer l’attention du lecteur sur un détail insolite, une image
fugitive mais essentielle. Souvent sur le thème de la nature, il exprime beaucoup de sensations en très peu de mots. En outre, il demande de la sensibilité, de la tolérance.

Accueillir, voir et aimer, tels sont les mots-clés de ces poèmes.

-1-
Au marché du soir
Une femme vend des safous
En allaitant son bébé

At the evening market
A woman selling safous
Suckles her baby

-2-
Je l’entends rire
Je l’entends coudre
Nostalgie!

I hear her laugh
I hear her sew
Nostalgy!

-3-
Ciel clair du matin
Des gouttes de rosée
Se balancent dans la toile d’araignée

Clear morning sky
Dewdrops swaying
In the spiderweb

-4-
Sur la rivière
Les cimes des arbres
Tremblent

In the river
Top of the trees
Quivering

-5-
Plage déserte
Seules les vagues sont restées à jouer
Avec les coquillages

Deserted beach
Only the waves left playing
With shells


Mariama Ndoye Mbengue

De Tanger à Port Elizabeth
De Gorée à Zanzibar
Je suis celle qui te couvait
dans ses entrailles
Qui t’abreuvait de son lait
Te tenait la main sur le
chemin de
l’école
Affrontant la poudreuse de
Jendouba
La rocaille de Praia
La broussaille de Mwanza (1)
Je suis l’olivier, le baobab,
le néflier
Sous lesquels tu épongeais
ta sueur.
Maintenant que tu es grand
et fort
Préserve-moi de l’ignorance,
de la misère, de la maladie.
Que je revête une djellaba,
un sari, une camisole ou un
kaba
Que je t’appelle « nijaay »,
« Fofovi »,
« ngoro » ou « tah » (2)
Qu’importe !
Vois en moi l’hostie
consacrée qui te nourrit
L’hydromel qui t’enivre
Le Graal vers lequel tu
t’élances chaque
matin
Je suis la femme-Afrique.


Koumanthio Zeinab Diallo


Le courage des femmes

A voir ces multiples violences faites aux femmes
Qu’on leur impose sous plusieurs formes
On devrait apprécier leur esprit
Et admettre que la femme
fait montre de courage.

Du lever du jour
A la nuit obscure
Cette femme est debout
Pour un labeur sans dégoût
Des mains et des pieds
Elle se traîne
Elle peine
Sans geindre
Ni se plaindre
la femme fait montre de courage.

Qu’elle souffre
Jusque dans le gouffre
Qu’elle s’inquiète
Où l’espoir s’effrite
Qu’elle soit privée
Qu’elle soit frustrée
Qu’importe !
La femme fait montre de courage.

Et si d’aventure
Elle tombait de dépit ou
De maladie
Le coquin conjoint
A la pauvre contraint
De lui adjoindre
Sans convaincre
Une coépouse traitée avec toute passion
Pour elle, tout nouveau,
Tout beau
Pour l’autre le calvaire
Pour la vieille la galère
A présent, elle est sorcière
Pauvre femme qui pourtant
Fais montre de courage

Si son mal persiste et dure
La pauvre est abandonnée, soyez sûres
Si le mal attrape son royal époux
Alors personne ne doit être dans le coup
Motus
Bouche cousue
Pour son malheur si c’est contagieux
La pauvre est contaminée
Sans secours
Ni recours
Par grand malheur si c’est SIDA
Dans des rapports non protégés
Il prend son corps
et le gâte à mort
Pauvre femme qui pourtant
Dans tous les cas mêmes furtifs
Fais montre de courage

Protégeons-nous avec la capote
Et gardons-nous avec prudence
Pratiquons la fidélité et l’abstinence
Dans tous les cas même furtifs
Protégeons- nous avec préservatifs
Protège- toi
Protège- moi
Pour nous tous.

1. Villes de la Tunisie, des Iles du Cap-Vert et de Tanzanie
2. Termes wolof, mina, agni, nyokon pour désigner le mari
///Article N° : 8421

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Les images de l'article
Fatoumata Sidibé © DR
Véronique Tadjo © DR





Un commentaire

  1. Excellent florilège! Des voix audibles à qui j’ouvre d’offices les services des Editions Binam (www.editionbinam.com) y compris de les traduire. Merci pour ces lettres poétiques au féminin.
    Michel Feugain

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