Cette contribution se place à ce moment des travaux et échanges où la question de l’inventaire du matériau de recherche sur les Cinémas du Maghreb, mais aussi de la production scientifique, devient incontournable pour consolider le savoir commun sur le sujet.
Il s’agit donc bien, ainsi que l’annonce le programme de ce colloque, de permettre de « redéfinir (l’) objet de recherche en inscrivant ces travaux dans une conscience plus grande des espaces dans lesquels [
] les patrimoines sont constitués, de ceux dans lesquels les savoirs sur ces films sont produits ».
Notre posture, à la fois pragmatique et extérieure, est celle de l’information documentation. Nous proposons ici une approche par les questions de la mémoire, de la médiation, de la valorisation, du savoir partagé. Après avoir défini les objets qui nous intéressent, nous envisagerons un accompagnement pour l’élaboration d’une méthode indispensable à la mise en uvre et la réalisation du chantier.
Les mutations du document et de l’information aujourd’hui sont des phénomènes bien connus et largement étudiés en sciences de l’information. Si nous souhaitons garantir une approche pertinente à notre projet,il est utile de dresser un rapide portrait des objets et usages que nous prétendons aborder et transformer.
Aujourd’hui, documents et informations revêtent de nouvelles formes.Les supports sont multiples, l’information est devenue mobile et redondante, disséminée, souvent aussi composite. Mais la démocratisation de l’accès à l’information n’en garantit pas l’accessibilité, l’infobésité (Rosnayde 2002) creuse la fracture cognitive.
Tout autant, la facilité de production et de publication de nos jours complexifie la lecture (Pédauque 2006). Les auteurs, les médiateurs de l’information sont à la fois, voire en même temps, les producteurs de savoirs anciens et nouveaux et les usagers, individuels et collectifs. Difficiles souvent à identifier, leurs nouvelles identités rendent délicate l’évaluation de la qualité de l’information.
Il en découle qu’alors que la production et la lecture de l’information se dégagent des contraintes et des circuits de diffusion traditionnels,l’accessibilité à l’information exige le respect de nouvelles normes de création, de description et de capitalisation. Les outils technologiques sont bien évidemment à l’origine de ces évolutions. Tout aussi déterminants des mutations et de la nature actuelle et à venir de l’information et du document, sont les usages et l’appropriation par le lecteur.
Liées à la facilité d’accès, les pratiques de l’information sont fortement modifiées aujourd’hui. Pour ce qui nous intéresse, notons ici quelques caractères de ces nouveaux usages (Papy 2007). La socialisation et la communication en sont les traits dominants. C’est l’importance de la communauté, la valeur attribuée à l’information sur la recommandation,la popularité, la navigation sociale.
Sans contradiction, les usages vont vers plus de personnalisation et d’individualisation. On s’identifie, les agents intelligents adaptent les informations à notre profil et nos comportements personnels en temps réel.
Si le partage et le collaboratif sont des devises dans l’usage de l’information et la mise en place des dispositifs de nos jours, ils restent encore un idéal, parfois une illusion. La pratique des outils de communication se cantonne encore très fortement dans des niches d’usage. L’usager se satisfait de routines peu efficaces, il consomme mais contribue peu,c’est la pauvreté informationnelle (Ihadjadene et al. 2008). Il est plus en attente qu’en disponibilité.
Nombre de dispositifs techniques d’accès à l’information, efficaces et utiles, ne sont pas utilisés. Ils peuvent correspondre à un besoin mais pas à une attente, et inversement. La relation entre usagers et usage de l’information est complexe (Le Coadic 1997). Pour être utilisée, l’information doit disposer d’un accès attractif : du ludique, du visuel, qui doit être simple de prise en main, rapide voire immédiat. La source doit être exhaustive, complète en formes et contenus, mais aussi adaptée. Malgré une nette tendance à l’autonomie des pratiques, l’assistance doit toujours pouvoir offrir une réponse en cas de difficulté (Donnat 2009).
Paradoxalement les dispositifs doivent être évolutifs et stables. Nos attentes vont vers les offres les plus innovantes mais avec une tolérance très limitée envers les « bugs ». Nous sommes mobiles et recherchons donc la compatibilité, l’interopérabilité entre supports et modalités de consultation (support, formes).
Les mutations récentes des objets et pratiques d’information montrent à quel point il est essentiel pour développer un projet de partage et de diffusion des connaissances de maîtriser les circuits, les outils, et les usages de l’information.
Tandis que l’approche patrimoniale des Cinémas du Maghreb conduit les chercheurs à s’intéresser à la question de la numérisation, de la conservation et de la diffusion des films, notre approche informationnelle va se préoccuper de la capitalisation des connaissances pour une intelligence collective et l’enrichissement d’une culture large sur l’objet d’étude(recherche et production autour du cinéma).
Ce projet revêt plusieurs intérêts. Il est important, alors que la recherche s’enrichit des matériaux collectés, des échanges de savoirs lors de colloques et de publications, de référencer rigoureusement les données à des fins de mémoire et de préservation de ce patrimoine culturel. Dans l’objectif d’ailleurs de diffusion de cette culture, une valorisation à grande échelle permettra, parmi d’autres dispositifs déjà existants, de faire connaître ce capital et donc de développer les occasions de partage entre chercheurs et professionnels, mais aussi d’enseigner et d’étudier plus largement, plus rigoureusement et plus exhaustivement ce patrimoine.
Par la visibilité qui pourra être donnée au corpus, nous pouvons espérer asseoir une présence large dans les circuits de notoriété à la foisaux cinémas du Maghreb, à ses acteurs professionnels et à ses chercheurs.L’effet de la notoriété permettra un essaimage de la culture, de l’interaction, le partage et la contribution collective à la capitalisation des connaissances sur le sujet. Cela garantira une plus grande pertinence et valeur à l’information et permettra d’enrichir le patrimoine commun dans un cercle vertueux.
Les risques quant à eux, résideront dans la naïveté de vouloir proposer une offre qui ne sera pas consultée, pour de multiples facteurs à éviter dont l’absence de visibilité, l’insuffisante valeur de l’information (pauvre,périmée, inexacte), la piètre qualité de l’outil technique proposé.
La contrainte sera donc d’assurer l’engagement des acteurs sur le long terme, la base de ressources ne pouvant acquérir de valeur que dans un processus d’enrichissement et d’amélioration continus. Il sera nécessaire de pouvoir fédérer les spécialistes de la question qui pourront contribuer à la mutualisation des données. Les ressources sur les cinémas du Maghreb étant pour beaucoup disséminées, informelles, il est indispensable de pouvoir croiser les sources pour les valider et assurer la crédibilité du produit proposé. Ce travail rigoureux ne pourra être certifié que s’il s’accompagne d’une coordination sur les modes de collecte et de comptabilisation des données (valeurs chiffrées, dates, lieux et rattachements, etc.). C’est à lacondition exclusive d’un recensement clair dans des cadres consensuels que cette base de connaissances pourra acquérir pertinence et crédibilité.
Il restera à en faciliter et garantir l’accès au public spécialiste et néophyte.Bien sûr, l’objectif final vise à servir la recherche et la production cinématographique, a valeur d’histoire, d’analyse et d’éducation. En dehors de la qualité des contenus proposés, la forme du produit et sa valorisation auprès des communautés d’intérêt seront essentielles à l’utilisation et donc l’utilité.
Une rapide recherche de ressources sur notre sujet montre la mosaïque d’offres (bien que somme toute limitée en nombre, types et qualité) en matière de dispositifs de mise à disposition de l’information.
Le site vitrine est avant tout un moyen de valoriser une image, un produit.Il évolue peu dans le temps et axe son contenu plus sur le message que sur l’information, la ressource. S’il sera important pour nous de travailler le visuel et l’ergonomie de notre plate-forme, et si celle-ci pourra se rattacher à un site de présentation, l’objet de notre projet s’orientera vers d’autres alternatives.
Une base de données, base de référence ou catalogue de ressources,sera à l’évidence l’outil de notre projet. Le recensement, la conservation des données et leurs descriptions devront passer par le développement d’une structure informatique normalisée et puissante, tant en termes de stockage que de paramétrage et d’ergonomie d’usage. La question qui se pose est celle de la concurrence avec d’autres catalogues déjà existants, et conséquemment de la mutualisation avec ces bases. Il faut aussi s’interroger sur la finesse de notre structure et la puissance de l’outil que nous pourrons développer ou exploiter, si le choix est fait d’un cadre ou d’un logiciel existant, propriétaire ou libre.
Les portails d’information sont des offres aujourd’hui très prisées dansla mise à disposition d’informations numériques. Ils sont en général une porte d’accès référencée vers des ressources extérieures disponibles en ligne,mais leur nature s’enrichit de plus en plus souvent d’autres fonctionnalités les rapprochant de la bibliothèque virtuelle. Ils revêtent l’intérêt d’une grande facilité d’usage et de qualités d’ergonomie indéniables. Les outils restent néanmoins assez limités quand il s’agit de travailler en profondeur et de façon réellement professionnelle. Les logiciels de gestion électronique de l’information et du document (GEID) intègrent à présent le plus souvent la possibilité de réaliser des interfaces portails, des OPAC (Online Public Access Catalogue, interface pour l’usager) très efficaces en termes de vitrine et de recherche de ressources. L’offre de qualité reste malheureusement le plus souvent payante.
Plus élaborée que le portail, la bibliothèque virtuelle offre un accèsnon seulement au catalogue de références mais à l’ensemble des sources primaires, des documents originaux. Là encore, le produit est le plus souvent polymorphe, proposant des références sans accès aux documents ressources en même temps qu’un accès direct à l’intégralité de certaines publications ou uvres. Elles offrent souvent également des outils d’analyse, des annuaires ou bibliothèques de signets, des services en ligne.
Les pratiques informationnelles actuelles, nous l’avons vu, privilégient l’interaction et la recommandation par les pairs. En ce sens, les forums en ligne sont devenus une source d’information incontournable et de confiance pour l’internaute. Ils permettent l’échange, une médiation humaine et personnalisée, une réponse immédiate à l’évolution des questionnements et des sujets d’intérêt sur un domaine. Si le forum reste la forme « primitive » des dispositifs d’intermédiation en ligne en matière de recherche d’information et de conseil, les services de questions-réponses développés notamment dans les bibliothèques publiques et les universités montrent les potentialités de telles offres et la puissance de la capitalisation et de la collaboration.
D’autres outils permettent également des publications collaboratives. Les CMS (Content Management Systems) par exemple donnent l’occasion, un peu à la façon des blogs, de proposer des articles rédigés par plusieurs auteurs certes, mais surtout de conserver et afficher les formes et les historiques de contribution à l’uvre commune. La publication devient un objet en évolution continue et identifiable. Le wiki offrira des possibilités de suivi, de collaboration et de validation encore plus poussées. Les deux types d’outils exigeront néanmoins une bonne maîtrise des outils et surtout des processus de travail collaboratif parles contributeurs. Une réelle culture et éducation seront nécessaires à la construction d’un produit riche, cohérent et de qualité.
Le lecteur aura compris, à l’énumération de ces différentes opportunités d’outils, que notre dispositif pourra se présenter comme un agrégateur de plusieurs des solutions évoquées, proposant à la fois du contenu collecté ou intégré, des espaces d’échange en ligne et des interfaces vitrines.
Dans ce dessein, il s’agit à présent d’élaborer une méthodologie de travail, prémisse d’un cahier des charges fixant les cadres précis du projet.Il faudra définir strictement nos objectifs et s’entendre sur nos attentes et représentations du produit à réaliser.
La phase de modélisation du projet devra nous aider à construire notre produit sur une réflexion collective et consensuelle des acteurs.
Que veut-on ? Quelle offre pour quel besoin ?
– Objectifs
Nous avons convenu, en abordant les enjeux du projet, que les objectifs étaient multiples. Il s’agira de bien les définir et les décliner. Le souhait de fédérer des ressources et des accès, de constituer une mémoire sur les cinémas du Maghreb contribuera au partage de réflexions et de travaux,à la formalisation d’un réseau et permettra d’assurer une présence enligne, source de visibilité et de reconnaissance.
– Cibles
Nous avons identifié les cibles du dispositif que nous souhaitons proposer. Les chercheurs bénéficieront du recensement des matériaux de recherche et des acteurs de terrain et de collaboration, profiteront des possibilités d’échange et de contribution collective, de la visibilité de leurs publications. Les professionnels du cinéma trouveront là une vitrine complémentaire de leur uvre et de leur parcours, la connexion à un réseau d’échange et de promotion du cinéma. La volonté d’élargissement et diversification des publics, d’incitation à la pratique cinématographique et d’éducation au septième art visera le grand public.
– Contenus
Le produit pourra proposer une offre agrégée de contenus et dispositifs s’adaptant à nos cibles. Cette offre devra être étudiée et affinée, mais pourra tout aussi intégrer le catalogue de référence que des ressources pédagogiques ou des conférences en ligne. De même, expositions virtuelles ; portail de ressources ; base de données de films et autres vidéos ; uvres des principaux historiens, théoriciens et critiques de cinéma ; actualités des événements :festivals, colloques ; répertoire des acteurs : réalisateurs, chercheurs, constituent la longue liste des possibilités. La prudence nous orientera sur une réalisation progressive et dans un premier temps modeste.
Nous pouvons rapidement évoquer le cadre général, et toujours formalisé, qui pourra être celui du cahier des charges du projet de fenêtre sur les Cinémas du Maghreb.
L’analyse et une première tentative de modélisation ont pu être abordées pendant nos échanges lors de ce colloque. Ils restent à affiner et à développer de façon approfondie et raisonnée.
Le projet pourra s’inscrire dans une collaboration universitaire qui permettra d’associer enseignants-chercheurs et étudiants des pays participants. Un groupe de travail d’étudiants de licence MIDEN (Médiation de l’Information et du Document dans les Environnements Numériques)1 sera constitué autour du projet. Ce groupe pourra être renouvelé sur plusieurs années selon l’ambition que nous donnerons à notre réalisation. Il intégrera des étudiants du Maghreb, inscrits en licence MIDEN, et un ou des étudiants français du même diplôme. L’idée est de conjuguer les compétences et les cultures des étudiants sur la question du cinéma et de la territorialité, des outils numériques, du traitement de l’information et de la communication.
L’encadrement sera assuré par un pool d’enseignants dans une collaboration des spécialités et des nationalités. La question du financement du projet (mobilité des étudiants, encadrement, frais de développement et d’hébergement du dispositif) doit encore être garantie. Il reste que le temps et les gens seront la clé de la réussite du projet.
La recherche et l’expérience en sciences de l’information ont montré qu’il faut se garder de l’utopie de la visibilité dans une époque d’accès pourtant multiple et permanent. Il existe de grandes disparités entre les injonctions, l’offre, la demande et la réelle pratique informationnelle,celle qui justifie la mise en place de dispositifs et les rend non seulement utiles mais utilisés. La tendance actuelle de la publication se base souvent sur de fausses représentations. La demande n’est pas le besoin, l’outil ne fait pas l’usage, et surtout la facilité d’usage ne fait pas la qualité du message.
Notre projet collectif et fédérateur d’accompagnement à la recherche et d’incitation à la culture pourra réussir grâce à une bonne connaissance des contextes de production et d’usage, une méthodologie rigoureuse etdes techniques adaptées. C’est la condition pour assurer une fédération de contenus scientifiques et culturels sur les cinémas du Maghreb.
– Bourrion Daniel, « Les nouveaux usages en bibliothèques universitaires », L’Édition électronique ouverte, 2009. Disponible à l’adresse : http://leo.hypotheses.org/2606 [Consulté le 27 janvier 2011].
– Le Coadic Yves-François, Usages et usagers de l’information, Paris, Nathan, 1997.
– Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique : Enquête 2008, La Découverte, Paris, Éditions La Découverte, 2009. Disponible à l’adresse : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/08resultat.php. [Consulté le 27 mars 2011]
– Ihadjadene Madjid, Favier Laurent et Ranjahaly Stephan, « Pauvreté et pratiques informationnelles – Articles du congrès (SFSIC) », dans 16e congrès de la SFSIC, 2008. Disponible [ici] (Consulté le 10 avril 2011).
– Papy Fabrice (dir), Usages et numérique, Paris, Hermès/Lavoisier, 2007.
– Pédauque, R.T., « Document et modernités », 2006. Disponible (ici] (Consulté le 12 février 2011).
– Rosnay de Joël, « Les risques de l’infopollution », 2002. Disponible [ici] (Consulté le 20 juin 2011).
///Article N° : 11211