« Le peuple angolais est orphelin de lui-même »

Entretien d'Yvette Mbogo avec Zézé Gamboa (Angola) à propos de Un héros

Carthage, novembre 2004
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Le réalisateur angolais, auteur du film intitulé  » Un héros « , a été lauréat du prix de la première œuvre et du prix COE aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) 2004.

La présence de deux longs métrages angolais,  » Dans la ville vide  » de Maria Joao Ganga et ton film,  » Un héros  » dans la programmation des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), est-elle la marque de la renaissance de votre cinéma, quand on sait que la production cinématographique angolaise stagne depuis 1982 ?
En fin des années 1974, on commence à faire des premiers documentaires, des réalisations télé ; figurez-vous qu’à l’époque en Angola, on avait des caméras de 16, 35 mm, des Nagra 4.2, 1, des Nagra Stéréo. L’Etat produisait des films à travers la télévision. En 1978, on crée l’Institut du cinéma toujours payé par l’Etat ; comme avantages, on profitait du matériel de la télévision et le revers était que tous les cinéastes se faisaient une autocensure. On pouvait tourner mais sans jamais aborder des thèmes politiques dans son œuvre. Or, cet aspect des choses a plutôt fait stagner notre cinéma dans les années 80. C’est en 2002 que le cinéma angolais renaît avec trois longs métrages,  » Dans la ville vide  » de Maria Joâo Ganga,  » Le train décanhoca  » de Orlando Fortunato et mon film  » Un héros « .
Les Angolais pourront-ils avoir la chance de regarder ce film engagé dans les salles de leur pays ?
A Luanda, il n’y a qu’une salle malheureusement qui projette en 35 mm. A côté il y en a plusieurs qui projettent en Dvd, Béta SP… C’est un pays hors norme. J’espère qu’avec tout ce qu’on fait, il y aura un changement positif. Une grande première du film est prévue à Luanda.
Pourquoi parler d' » Un héros  » dans un pays où le peuple est en proie aux souffrances de la guerre, comme ces mutilés, ces familles entières détruites et cette attitude cynique que l’Etat affiche ?
 » Un Héros « , c’est pour tourner en dérision le système.  » Un Héros  » parce que parmi des milliers d’Angolais, celui-là symbolise le mépris, la souffrance. Ce n’est pas un héros dans le sens classique du terme, dans la mesure où il n’a qu’une seule médaille. C’est plutôt le miroir que l’homme angolais peut avoir sur lui-même ; parce que je trouve que le peuple angolais quelque part est orphelin de lui-même et cherche à être en harmonie avec lui-même. 45 ans de guerre, ça fait beaucoup de guerre physique et psychologique.
Le rôle principal est très dur pour un homme normal. Et on voit ici un comédien comme Makéna Diop remarquablement interpréter le rôle de ce mutilé qui revient de guerre. Peut-on savoir comment avez-vous fait votre casting ?
Pour ce film, il y avait deux noms qui résonnaient dans ma tête. C’était Makéna Diop ou Isaac de Bankolé. Malheureusement, Isaac de Bankolé n’était pas disponible et il ne me restait plus que Makéna dont j’ai eu le contact par le biais d’un ami congolais, David-Pierre Fila.
A quoi sert une institutrice dans un pays dévasté par la guerre, dans le film ?
Dans la société angolaise, l’institutrice constitue la moyenne bourgeoisie et je l’ai utilisée pour qu’elle montre dans quelle mesure elle peut apporter son aide à la classe démunie. L’Etat angolais est démissionnaire à l’endroit de ces mutilés, alors que c’est eux qui ont aidé le pouvoir à s’installer et c’était aussi l’occasion pour moi d’interpeller l’Etat angolais à prendre ses responsabilités pour déminer le pays et à rendre concrets et réalistes ses discours.
N’est-ce pas assez osé de votre part de tourner des scènes où on voit les dégâts causés par les mines ?
La souffrance est toujours présente en Angola et a un rapport direct avec la masse. C’est exprès que j’ai tourné dans un camp d’entraînement militaire à 150 km de Luanda, sauf la scène où l’acteur marche sur les mines. L’Angola est le deuxième pays après le Cambodge au monde à avoir le plus grand nombre de mutilés. C’est une situation difficile, perverse à la limite et il faut montrer ces images aux politiques afin qu’ils fassent quelque chose de plus positif ; qu’ils prennent conscience que le peuple est largué.

///Article N° : 3673

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