Brune

De Mano

Une pute prénommée France
Print Friendly, PDF & Email

Un Français très moyen, raciste, homophobe, etc. Une beurette, France, qui fait payer ses faveurs. Rencontre explosive. Enfin un romancier qui n’a peur ni du racisme, ni de sa composante sexuelle, ni des Françaises au caramel.

Mano est un auteur poli : ses romans sont courts. Leur lecture, telle une tragédie simenonienne en livre de poche, prend trois heures. Le premier, Rip-Hop, chez Exils, en 2004, se présentait comme le nauséeux journal intime d’un pigiste de la presse rap : dégoût de l’inculte consumérisme des « artistes » ; écœurement face à la toute puissance de l’incestueux couple presse-maisons de disques ; impuissance devant le paternalisme d’un milieu qui d’un Noir accepte tout et n’importe quoi au nom de la « cré-débilité » ; stigmates psycho-somatiques à mesure qu’entre, jusque dans son corps, la vilénie d’une atmosphère corruptrice… Le héros perd son ombre, va au mac-do quand il a faim, transpire même quand il fait froid… Sommet (noté par personne) : tous les jours dans ce journal était le même : le 7 juillet. Comme si tous ne faisaient qu’un. Le dernier avant le Jugement.
Avec Brune, Mano remet sur la table de dissection du malaise racial français le couvert de la lucidité et le croque sans pudeur ni assaisonnements rassurants. Ici, quand le racisme pointe son vilain museau, il est cru comme un carpaccio et subtil comme la voix de Withney Houston (avant qu’elle ne rencontre Bobby Brown). De Houellebecq, Mano a retenu l’essentiel : le temps est au héros de deuxième division. Plus représentatif de l’ensemble, de la moyenne, de la norme.
Paul est un cadre dont le dynamisme ne s’exerce que dans l’exploration d’une fantasmagorie sexuelle misérable, d’un pauvret narcissisme de compensation et d’un petit racisme ordinaire (d’autant plus efficace). Il porte des ray-ban rouge, sans qu’on sache si c’est pour ne plus voir sa vie ou pour se donner un genre. Au bureau on le méprise. Il s’en fout : derrière ses lunettes, il voit les gens comme il les pense. La lumière naturelle ne corrige pas sa vision des hommes. Et moins encore des femmes.
Il rencontre une semi-prostituée beurette prénommée France (ça s’invente). France vit cette évidence pas facile à exposer aujourd’hui : l’intégration des filles maghrébines est plus facile. Surtout si elles sont jolies et acceptent de correspondre à la shéhérazaderie moyenne. Au début de leur relation tarifée, Paul se vide sur et dans France de toute sa haine sociale, de toute sa frustration raciale. En pointillé, tout le long du livre, comme un hommage à la salve de haine expectorée par le héros du film de Spike Lee La 25e heure, il crache sa bile sur tout ce qui est basané, avec une précision sémantique d’un réalisme à même d’inquiéter les bien pensants. Dans Brune, le racisme décrit ne procède pas du sentiment antiraciste. Il ressemble à celui qu’on a tous en nous.
Paul domine. Il tient le manche. Comme toute drogue, la prostitution fait du dealer, de la pute, peu à peu, le patron. France finit par lui imposer ce qu’au fond il était venu chercher. D’humiliant il devient humilié, de client il devient dépendant. Car pour France, il n’est bon qu’à payer. C’est elle qui tient le manche. Et il en jouit.
Paul ressemble à nombre de nos petits journalistes branchés qui aimeraient tant que les Arabes les aiment… Ceux que le romancier américain James Baldwin soupçonnait de ne défendre les Noirs que pour conjurer la trouille verte qu’ils leur inspirent. Et qui, à force de ne jamais trouver les Arabes là où ils les rêvent et les pensent, finissent par leur en vouloir de ne pas assez les rassurer. La fin du livre ? Troublante.

Brune / Mano / Fayard / 15 euros
Publié dans le n°49 du Gri-gri international.
///Article N° : 4338

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire