2009 en Sarkozie

Reprise de discours pour un Besson en rupture de ban

Print Friendly, PDF & Email

Un transfuge de gauche pour servir la politique tracée par le président français en matière de contrôle des flux d’immigration. Éric Besson, à qui les socialistes reprochent d’être passé à l’ennemi avec armes et bagages, s’annonce – depuis sa nomination, le 15 janvier 2009, au poste de ministre français de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire – fidèle au projet de Brice Hortefeux, son prédécesseur à ce poste.

D’avoir été de gauche ne l’empêche pas de jouer au bon p’tit soldat de droite. Besson compte bien mériter la confiance du premier des Français, en incarnant au mieux sa politique de contrôle des frontières et de revalorisation de l’identité nationale. L’ambiguïté n’est donc même plus de mise. Il se réfère à son prédécesseur à ce poste : « Je travaille sur les mêmes bases » dit-il.
En 2008, Brice Hortefeux avait battu des records avec 29796 reconduites aux frontières (expulsions et autres départs plus ou moins volontaires) de la France métropolitaine, un chiffre qui ne tient pas compte de la situation des Dom et des Tom (à Mayotte, collectivité territoriale en pôle position dans ce type de procédures, on enregistre environ 16.000 reconduites aux frontières depuis 2006) et de leurs régimes de régulation migratoire au caractère parfois spécial. Un chiffre qui se situe au-delà des 26.000 reconduites réclamées par Sarkozy lui-même. Un chiffre que Besson ne s’oblige cependant pas à dépasser pour autant (« je ne sais pas quel sera le résulta final »), bien que partageant le même souci que son prédécesseur : « La France a le droit de dire qui et à quelles conditions elle accueille sur son territoire ».
Besson, pour qui l’identité nationale signifie « communauté d’histoire », « mieux-vivre ensemble » « citoyenneté nationale », parle d’inventer un « thermomètre » de la diversité dans le pays et réfléchit à la manière d’appliquer les tests ADN de la loi Hortefeux 07. « Je le ferai en veillant à respecter scrupuleusement toutes les libertés individuelles » a-t-il déclaré. Rien que de très normal de la part de quelqu’un qui fait un « lapsus » à l’une de ses premières interviews, en usant du terme « invasion », avant de se reprendre, faisant référence par là à « l’immigration d’Afrique et du Maghreb ». Hortefeux, lui, se contentait parfois du verbe « inonder » pour stigmatiser les migrants.
Les deux sont d’accord pour trouver que la politique d’intégration en France est un échec. Sans doute qu’ils ne connaissent pas la sentence de Malcolm X sur la question (« Il faut reconnaître tout être humain, sans chercher à savoir s’il est blanc, noir, basané, ou rouge ; lorsque l’on envisage l’humanité comme une seule famille, il ne peut être question d’intégration ni de mariage interracial. ») et qu’ils ne la partageraient pas de toute manière. Mais peut-être que le moment est venu pour la France de s’interroger sur ses fantasmes d’assimilation et d’absorption de l’Autre, une obsession sarkozienne, pour laquelle la maîtrise des flux migratoires est une réponse imparable à la « perte d’identité » subie par la France.
Éric Besson parle en ce début d’année d’une « adéquation permanente à mener intelligemment entre l’offre et la demande » en matière d’immigration. Il compte ainsi poursuivre la signature d’accords de gestion des flux migratoires avec les pays sources, l’Algérie notamment. Huit pays africains, dont le Gabon, le Sénégal, la Tunisie, Maurice et le Cap-Vert ont signé des accords bilatéraux, les transformant de fait en garant des frontières françaises. Seul le Mali a refusé d’honorer un contrat dont l’unique but est de rassurer la France et l’Union Européenne, en mettant les services d’immigration nationale de ces différents pays à leurs services d’une manière plus ou moins déguisée. Certains pays, il est vrai, le font sans que la France n’ait encore rien demandé. A Moroni par exemple, les Comoriens en partance pour Paris ou Marseille doivent à tout prix montrer patte blanche à la PAF (police nationale aux frontières), en exhibant leur visa d’entrée dans l’Hexagone ou leur carte de séjour pour avoir le droit d’embarquer.
Un phénomène qui génère bien des crises à l’aéroport de Moroni Hahaya. Ainsi ce passager, qui, en 2008, tapait le scandale, en accusant ses compatriotes flics de bosser pour l’État français au lieu de soutenir ceux qui ont la chance de quitter le pays en cette période de crise : « Ils savent bien qu’à Roissy, on me remettra dans l’avion si je n’ai pas de visa. Pourquoi font-ils le sale boulot alors que Sarkozy ne leur a rien demandé. Je suis sûr que l’ambassade de France doit leur promettre quelques visas de courtoisie pour qu’ils balancent les leurs et pour qu’ils fassent chier leurs frères. Ils sont devenus flics français sans le savoir et sans être payés en conséquence. En plus, ils sont jaloux de voir des compatriotes partir en Europe, le rêve de beaucoup. Alors ils nous arrêtent aux frontières, vérifient nos cartes de séjour, nos visas, pour savoir s’ils sont faux, comme s’ils étaient payés par la police française. C’est honteux pour un pays qui se dit « souverain ». Ce n’est pas aux Comoriens de surveiller les frontières au nom de la France, et surtout avec l’histoire que nous entretenons avec ce pays. T’imagines, tu arrives à l’aéroport de Moroni, tu t’apprêtes à partir, tu as ton billet, et on te demande si tu as un visa pour entrer en France, même les bagagistes te demandent si ta carte de séjour est vraie, avant de te laisser passer ! Au Mali, les policiers refusent de jouer à ce jeu. Ils sont fiers de leur pays et ne font pas les larbins au service de la France. J’ai honte des flics de mon pays pour ça ».
Ce qui est sûr à l’heure actuelle, c’est que les candidats au départ, accords bilatéraux ou non, s’amassent aux frontières, quelles qu’elles soient. Certains veulent partir, non pas pour satisfaire à des objectifs de réussite, mais pour fuir « la désolation », comme l’explique ce malgache résidant en France, rencontré à l’aéroport d’Ivato début janvier 2009 : « Je comprends les miens. Quand on voit dans quelle situation vivent les gens dans nos pays, on a qu’une envie, partir et fuir. Ici, tu ne peux pas te soigner, tu ne peux te former, tu ne peux manger à ta faim. L’économie nationale est aux mains des bailleurs de fond venus de l’étranger et de quelques personnalités politiques au caractère véreux. Le peuple vit dans la misère. À chaque instant, on se dit que les gens vont leur sauter à la gorge. Mais même cette force-là, plus personne ne l’a. Alors, il reste une solution, celle de la fuite en avant. Dès que c’est possible, les gens foutent le camp. Je ne connais personne autour de moi qui soit heureux de vivre en dehors de sa terre natale. Mais la nécessité nous pousse au dehors. Mon cousin, qui est flic aux frontières ici, me dit que s’il pouvait, il aiderait les gens à partir. Entre mourir sur la route et rester crever dans son propre pays, le choix est fait. Et il faut dire la vérité : quand tu n’es plus dans ton pays d’origine, les problèmes, tu les devines mais tu ne les supportes plus. Ce qui est énorme ».
D’où l’épineuse question posée à l’Europe sur les échanges avec le Sud, et surtout avec les populations migrantes issues de ses anciennes colonies. L’histoire de ces pays avec leurs tutelles coloniales n’a servi qu’à enrichir les places fortes du vieux continent. Aujourd’hui, la crise qui sévit dans les pays d’Afrique et des îles de l’Océan Indien, pour ne citer que cette zone du monde longtemps colonisée, est tout de suite raccordée à cette histoire de domination. Dans les rues de Cotonou, de Djibouti ou de Dar, les regards se figent sur la possibilité d’accéder au monde occidental, là où les anciens maîtres ou leurs descendants tirent les ficelles de l’économie internationale. Comme l’écrit cet internaute sur un forum de discussion : « Il y a décalage entre les discours. Les citoyens des pays du Nord pensent que la colonisation est terminée et qu’il appartient aux pays du Sud de se débrouiller avec la crise. Ceux du Sud savent que ce n’est pas aussi simple et que leurs économies sont toujours en partie liées aux capitales occidentales. Dans nos pays, on voit bien que ceux qui profitent du système sont d’abord les multinationales européennes ou américaines. Il faut que tout le monde en soit conscient et là on pourra vraiment parler de relations bilatérales ou de coopération. On ne peut pas continuer de faire croire à l’invasion du Nord par le Sud. C’est un vrai mensonge. Il suffit d’analyser nos économies nationales pour savoir à qui profite quoi. La colonisation n’est pas terminée ».
Éric Besson, à qui échoit également le poste du co-développement, saura-t-il prendre les opinions françaises à rebours, leur expliquer les conséquences d‘une histoire coloniale à rallonge, avant de chercher à stigmatiser les populations de migrants en provenance d’Afrique (lapsus sur l’invasion venue d’Afrique et du Maghreb) ? SOS Racisme trouve la politique de l’actuel gouvernement français malhabile. Car « elle tend à faire croire aux Français qu’un de leurs problèmes essentiels réside dans la présence de « sans-papiers » ». La France comme l’Europe dans son ensemble gagneraient à revoir leurs grilles d’analyses en la matière, si elles souhaitent sortir du piège de la répression et de la stigmatisation. Mais le souhaitent-elles vraiment ? Cette situation n’est-elle pas utile pour éviter d’avoir à répondre aux questions que posent leurs économies, elles aussi en crise ? En attendant, ce sont les populations de migrants qui sont fragilisées, au-delà de ce qu’elles fuient comme réalités, y compris celles qui sont déjà résidentes en Europe.
Celles-ci sont souvent amenées à évoluer dans des zones de non-droit ou de droits restrictifs, même lorsqu’elles ont le bon papier qui autorise à vivre sans la peur au ventre. Comme l’écrivent Danièle Lochak et Carine Fouteau dans Immigrés sous contrôle (Le Cavalier Bleu éditions) : « Quand on parle des droits des étrangers, il faut toujours avoir à l’esprit cette dualité contradictoire : l’étranger a des droits, mais pour qu’ils deviennent effectifs, il faut d’abord qu’il ait réussi à entrer en France, ce qui, dans un contexte où l’ensemble des États européens joignent leurs efforts pour barrer la route eux migrants, devient de plus en plus difficile, même pour ceux qui fuient la persécution. Il faut ensuite qu’il obtienne des papiers, sachant qu’il restera en permanence placé sous le contrôle vigilant de l’administration en général et de la police en particulier, habilitées à vérifier à tout moment qu’il est bien « en règle ». Travailler, vivre en famille, se soigner, s’instruire ou se loger, participer à la vie publique : autant de droits qui, sans lui être refusés, subissent des restrictions importantes ou sont subordonnés à des conditions qu’il n’est pas forcément en mesure de remplir ».
Éric Besson, à qui Sarkozy donne aujourd’hui toute sa confiance sur ces questions, saura-t-il s’affranchir des politiques sans âmes et se pencher sérieusement sur la complexité d’un phénomène de migration, appelé à se multiplier dans le temps, ou se contentera-t-il d’honorer des chiffres peu amènes ? On se souviendra juste que celui qui accusait Sarkozy, avant de passer dans le camp de droite, d’être un « néoconservateur américain à passeport français », avait quelques convictions de bon sens il y a encore deux ans. Dans un rapport paru en janvier 2007 (Les inquiétantes ruptures tranquilles de M. Sarkozy), Besson dénonçait clairement la politique de l’homme Sarkozy « trop occupé à traquer l’immigré », tout en pointant du doigt l’incohérence et l’échec de sa politique. Il critiquait alors le principe d’immigration choisie, cher au président français, en insistant sur le « pillage des élites des pays en développement ». Éric Besson reprochait à Sarkozy de vouloir fabriquer des sans-papiers, « lui qui prétend lutter contre l’immigration clandestine ». Il trouvait que la politique du président favorisait la précarisation des immigrés, « en légitimant la suspicion et en renforçant le durcissement de leurs de régularisation et de leur statut de résident ». La politique, c’est bien connu, n’a pas d’inconscient qui tienne, mais l’homme Besson a-t-il vraiment tout oublié de cette époque où il avait encore le cœur à gauche ? « De toute façon, comme nous l’explique ce touriste français, au départ de la Réunion pour les Comores, cette histoire n’a rien à voir avec le fait d’être de gauche ou de droite. Il faut que les gens se parlent autrement et de manière plus humaine, sinon ça va péter à mon avis là où l’on s’y attend le moins, et ça ne m’étonnerait pas qu’on y perde tous quelque chose, le Sud comme le Nord. Il ne faut pas croire qu’on pourra être au chaud dans pays pendant que les gens se meurent par ici. C’est trop facile de croire qu’il suffit de mettre trois douaniers de plus à la frontière« .

///Article N° : 8370

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire