L’hommage d’un universitaire algérien.
« Je filme ce que je vois, ce que je sais, ce qui est vrai ».
René Vautier
Comment, en quelques lignes, faire l’éloge de cet homme de cur qui, par son engagement irréprochable, la pertinence de ses propos, la cohérence de ses écrits et de ses images et l’originalité de son style, s’est trouvé propulsé en tête du peloton des cinéastes engagés pour qui le cinéma est un moyen d’action politique et une arme de combat. Se revendiquant idéologiquement du marxisme-léninisme, le citoyen rebelle n’a jamais renié ses convictions politiques, ni renoncé à son militantisme. Ses préoccupations, les drames et les souffrances endurés par les peuples et plus particulièrement par les Africains colonisés, se reflètent parfaitement à travers une uvre cinématographique prolifique et pertinente qui a fertilisé et nourri la conscience politique de plusieurs générations de cinéastes. Très tôt, s’est imposé à lui le besoin impérieux de s’engager dans l’action de s’exprimer, par l’image, pour exposer les problèmes des exploités et des démunis et les souffrances des populations sous le joug colonial. Son credo : dénoncer les injustices faites aux hommes et aux femmes en souffrance.
La trajectoire de René Vautier est exemplaire. Le cinéaste militant René Vautier vient de s’éteindre à Paris, le 4 janvier 2015. Il avait 86 ans. Né en 1928, à Camaret, dans le Finistère, ce fils d’ouvrier rejoint, à 15 ans à peine la Résistance durant l’occupation. Après la guerre, en 1950, il sera chargé par la Ligue de l’enseignement de réaliser un film sur l’éducation française en Afrique subsaharienne. Son regard sur l’Afrique va l’inciter à détourner la commande en montrant l’Afrique coloniale sous son vrai jour avec le travail forcé, les violences des autorités coloniales contre les populations entre la Côte d’Ivoire et le Mali. Sa dialectique de l’oppression engendrera une écriture cinématographique pertinente, stricte et sans concessions qui démonte la mécanique coloniale et ses conséquences désastreuses sur les populations prises en otage. Afrique 50, un chef-d’uvre d’une grande lucidité face à l’histoire et sans aucune complaisance face aux bourreaux, demeurera durant quatre décennies censuré avec en prime une condamnation à un an de prison à son auteur, exécutée dans les prisons militaires.
La violence coloniale faite au peuple algérien, l’insoutenable torture érigée en système, pas seulement par Massu, Aussaresses et consorts, mais dès les premières années de l’occupation, sera déterminante dans son engagement. Il rejoindra le FLN dès le déclenchement de la lutte armée. Il débarquera d’abord en Tunisie, où il tourne deux courts métrages avant d’entrer en Algérie clandestinement pour rejoindre les moudjahidine du FLN. Deux documentaires phares vont jalonner son engagement indéfectible aux côtés des combattants algériens : Une nation, l’Algérie, aujourd’hui perdu et Algérie en flammes. Cette collaboration au peuple algérien en lutte, lui vaudra par la suite d’être poursuivi par les autorités françaises. Il demeurera en exil jusqu’en 1966. De 1950 aux débuts des années 1970, il doit mener son combat documentaire dans la clandestinité et est condamné à un an de prison, puis poursuivi pour atteinte à la sûreté nationale. Il suivra alors par la suite les cours de cinéma de l’IDHEC tout en adhérant au parti communiste. Cet illustre celte de Camaret, grand militant des causes justes, ce défenseur de l’autonomie bretonne, intégrera le groupe Medvedkine dès 1967, groupe formé à Besançon autour de Chris Marker. Cette coopérative destinée à donner une image cinématographique des luttes ouvrières inspire René Vautier qui finira par s’établir en Bretagne où il fonde sa propre Unité de production cinématographique de Bretagne.
A travers des films qui abordent de front les sujets les plus délicats ou déclarés tabous, le cinéaste s’est engagé toute sa vie durant, à dévoiler les cruautés du colonialisme en mettant à nu, tout à la fois, les abus, le racisme, les préjugés et les murs rétrogrades. René Vautier est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Caméra citoyenne – Mémoires », publié en 1988. Devenu l’incarnation d’un cinéma militant et anticolonialiste. Ses chemins de lutte l’ont mené partout dans le monde et souvent en Afrique noire et en Algérie. Sa production s’avère être une véritable charge contre tous les totalitarismes, toutes les oppressions et toutes les violences. Ses images, mieux que tout discours, situent l’homme et traduisent le sens qu’il assignait à sa vie. Considéré, adulé et même vénéré par la nouvelle vague de cinéastes post-indépendance, René Vautier incarne une légende toujours vivante. Toute une génération, sensible à la rectitude de son propos, à l’ascétisme de sa pensée et de son style, et à la chaleur de son contact, demeurera longtemps profondément marquée par ce créateur engagé. Il est « ce chêne qu’on n’abat pas », et comme le disait Jean-Pierre Garcia, qui lui a consacré un vibrant hommage dans le cadre du Festival International du Cinéma d’Amiens, « il est encore trop tôt pour exprimer à quel point sa sagesse nous manquera ». Le moment semble venu de saluer l’homme sensible, courageux, enthousiaste et persévérant, dont l’énergie débordante et la force de conviction demeurent exemplaires. Espérons, qu’à l’occasion de sa disparition, l’hommage particulier qui lui revient lui sera rendu et que son pays d’adoption, l’Algérie, donnera à voir ses productions sur grands et petits écrans et surtout son dernier témoignage filmique consacré aux généraux de la soldatesque coloniale qui ont pratiqué un véritable « génocide » sur le peuple algérien dès 1830.
En 1972, René Vautier entre en grève de la faim suite au refus de visa d’exploitation pour le film Octobre à Paris, réalisé par le collectif autour de Jacques Panijel après le massacre des manifestants algériens à Paris le 17 octobre 1961. Vautier voulait enfin sortir le film à travers sa société de distribution, et ne cessa sa grève qu’après avoir reçu du ministre de la Culture de l’époque, Jacques Duhamel, l’assurance que les critères politiques n’entreront plus en ligne de compte dans les décisions de la commission de contrôle cinématographique. Il aura fallu à René 33 jours de grève de la faim. Fort du soutien de cinéastes, René Vautier obtient la suppression de la censure politique dans le cinéma. Il produira deux longs métrages de fiction « Avoir vingt ans dans les Aurès » et « La Folle de Toujane » (1973) qui ont profondément marqué les esprits. D’ « Avoir vingt ans », le grand critique, Louis Marcorelles dira qu’il s’agit du « film le plus libre, le moins conformiste que nous ayons vu en France depuis longtemps ». Ce film, Prix de la critique internationale à Cannes en 1972, a clôturé le Festival de cinéma de Douarnenez, qui, pour sa trentième édition, a réuni deux composantes de son identité : « la Bretagne et la question coloniale ». Le cinéaste tournera aussi des documentaires sur les luttes ouvrières « Quand tu disais Valéry » (1975) ou « Quand les Femmes ont pris la colère » (1976) coréalisé avec Soazig Chappedelaine. En 1981, l’UPCB ferme, faute de financement, mais René Vautier ne cesse pas pour autant de tourner des films sur les essais nucléaires dans le Pacifique, sur l’immigration, sur la Résistance. En 1985, lors du procès qui oppose Le Canard enchaîné à Jean-Marie Le Pen au sujet des tortures infligées par ce dernier pendant la guerre d’Algérie, l’hebdomadaire produit le témoignage d’une des victimes du lieutenant Le Pen, Ali Rouchaï que le cinéaste a tourné à Alger.
René Vautier, l’illustre ami de toujours, le frère moudjahid, le chantre de la lutte anti-coloniale qui avait pris parti pour l’indépendance de l’Algérie, nous a quitté en silence, foudroyé par la terrible maladie qui le rongeait. L’Algérie est en deuil. Difficile de parler au passé du défunt, de cette figure incontournable du 7eme art algérien, de cet être d’exception de la scène cinématographique algérienne qui fut un des premiers, le premier à s’engager complètement dans le combat. Le festival international du film engagé d’Alger FIFA, souhaitait lui rendre un hommage particulier depuis sa première édition mais sa santé chancelante ne l’a pas permis. Cette année, un vibrant accueil a été consacré à l’autre chantre de la révolution algérienne, Stevan Labudovic, qui a fait sienne la cause algérienne. Le photographe et cameraman serbe était ému aux larmes quand il a reçu son trophée des mains du cinéaste Ahmed Rachedi.
Parler de René revient à évoquer l’homme au charisme exceptionnel qui, dans un climat d’hostilité manifeste a su se distinguer, s’affirmer et s’imposer. Citoyen de cur et d’esprit d’une Algérie ingrate qui n’a pas su profiter pleinement des talents de ses enfants et de ses amis. A Lille, sa dernière sortie officielle, un hommage particulier lui a été rendu par le Festival du cinéma algérien, lors de sa 9ème édition en décembre 2012. L’association « Sud-Nord Evolution » a projeté en ouverture, à cette occasion Le Maquisard à la caméra, de Nasredine Guenifi, qui retrace cet itinéraire de vie exemplaire. La télévision qui fait mine d’ignorer ceux qui ont tout sacrifié pour notre indépendance devrait à tout le moins, puisqu’elle a prouvé son incapacité à produire des documents essentiels pour l’Histoire de notre pays, projeter ce film important produit quasiment sans budget ainsi que le long métrage « L’Homme de paix » de Ahcene Osmani, film qui lui a été entièrement consacré et qui a vu le jour grâce à la coopérative de production COMA-PAV, sise à Tizi Ouzou.
Notre peine est indicible. « Nous l’aimions tous. Il nous aimait tous. Il restera infiniment présent dans nos curs », comme viennent de l’écrire ses amis sur les réseaux sociaux.
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