Salim Hatubou, le temps lui était conté (1972-2015)

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L’écrivain et conteur comorien Salim Hatubou est décédé le mardi 31 mars à 43 ans. Auteur prolifique, il était connu pour être le grand défenseur de l’oraliture comorienne.

En cette année 2015, la littérature comorienne d’expression française fête ces trente années d’existence depuis la parution de La République des Imberbes de Mohamed Toihiri en 1985. Mais cet anniversaire est bouleversé par la brutale disparition de Salim Hatubou, l’une de ses figures les plus importantes de cette jeune littérature. Né en Ngazidja en 1972, Hatubou rejoint son père, vivant à Marseille, à l’âge de 11 ans. Il découvre le béton de la cité phocéenne, la vie dans les quartiers Nord, les clichés sur les habitants de la banlieue française. C’est ainsi que les thématiques liées à l’exil, l’immigration, l’identité feront leur apparition dans des œuvres telles que L’odeur du béton, Metro Bougainville ou encore Marâtre.
Salim Hatubou est un grand défenseur de l’oraliture comorienne. Elle est présente dans son écriture par la référence aux contes [hale], aux complaintes [idumbio], aux berceuses [imbia]et autres genres littéraires traditionnels. Elle nourrit son œuvre en profondeur, se traduit chez lui en acte politique de résistance culturelle et identitaire. C’est dans une optique de préservation et de sauvegarde du patrimoine oral qu’il organise la plupart de ses ateliers d’écriture, sillonne les festivals, les écoles et les bibliothèques pour faire découvrir les contes comoriens à ses lecteurs du monde entier.
Sa première publication en 1994 est un recueil de contes, Les contes de ma grand-mère(1). Il publie par la suite de nombreux textes, s’essayant à plusieurs genres, dont la poésie, le roman et le carnet de voyage. Il s’intéresse particulièrement à la littérature de jeunesse, en publiant notamment des albums illustrés pour les plus petits. Dimkou et la petite fille, Zolo N’djizi, Sagesses et malices de Madi, l’idiot voyageur sont quelques-unes des œuvres les plus lues. Sans doute est-ce ce qui lui vaut cet hommage rendu par le poète Saindoune Ben Ali, qui parle de « la calebasse où bruisse encore le verbe ».
Le conteur, il est vrai, ne fait pas oublier le romancier. Les deux genres sont indissociables dans l’esthétique de Salim Hatubou. Mais son écriture romanesque se construit autour de questions socio-historiques, interrogeant l’identité et la mémoire, l’exil aussi. Dans son premier roman, Le Sang de l’obéissance(2), l’auteur dépeint et critique une société comorienne étouffée par le poids des traditions, où l’individu n’existe que par son statut social. En 2005, il publie Hamouro(3), roman très poétique, magnifiée par l’oralité du texte. Construit autour de la métaphore, le roman dénonce avec violence le drame des kwasa, la balkanisation des Comores. La fracture historique d’un pays entraînant indéniablement vers une décomposition de l’espace :
« Ses pensées s’enfonçaient dans l’opacité nocturne et qui chavirait entre les deux rochers frères mais séparés par la bêtise des hommes. Son frère, comme des milliers d’autres, dormaient au fond de l’océan Indien, cimetière marin pour les damnés éternellement humiliés ».
Maintenant cette verve dénonciatrice, son roman, Les Démons de l’aube, est un intertexte d’Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma. Dans ce texte, Salim Hatubou raconte, avec subversion, l’échec du système scolaire comorien, en remettant en question la politique post-coloniale. Le récit a pour héros des enfants déscolarisés, travailleurs de rue, prenant le pouvoir étatique, en devenant des enfants-soldats :
« Si vous avez un peu de temps même, après là, allez voir École de mon pays, c’est même pas école […] Si École est venue là, elle ouvrirait sa bouche et vous verrez ses bancs cassés quand il y a des bancs, ses livres déchirés, ses chaises bancales quand il y a des chaises, son sol fracassé, ses murs cadavrés, ses enseignants pas payés ».
En 2004, paraît A feu doux(4), texte inclassable, défini comme un essai romancé. Ce texte sublime l’art culinaire, en empruntant à la mythologie du conte, rappelant une culture fondée sur le partage. Il y est question du vivre-ensemble. Dans ce récit, l’auteur aligne les mots, en se fondant sur « les saveurs de la réalité », et en construisant tout un discours autour du goût et du manger :
« L’art culinaire est le rêve de la matière, de la faim, du goût et d’un paysage, avec l’amitié du temps ou des temps : le temps de l’art culinaire, celui de la préparation et celui de la civilisation. S’agit-il vraiment d’un rêve ? »
Le questionnement sur la mémoire et l’identité l’emmène à développer un travail sur l’Histoire des Comores, avant l’indépendance. Il en sort un premier texte, co-écrit avec l’historien et anthropologue Damir Ben Ali, Kara’ l’épopée Comorienne, créée au théâtre à Marseille par Julie Kretzschmar en 2013. Il en sort un deuxième texte, Mohéli ou le destin conté du Djumbe Fatima(5), roman publié en 2014, à travers lequel il évoque l’exil de cette jeune reine mohélienne. La passion de Djumbe pour le colon français Humbert, va provoquer la fin du sultanat de Mohéli.
Mort le 31 mars 2015, Salim Hatubou, 43 ans, restera à jamais ce passeur de paroles, ayant œuvré à la transmission de l’oralité comorienne. « Ces dernières années, écrit Saindoune Ben Ali, Hatubou a voulu construire des ponts comme pour mieux assumer sa fonction de passeur. Les conteurs professionnels ne dispensent uniquement pas des émotions, des rêves et des sagesses, ils ont pour métier d’ouvrir des portes d’entre les cultures. J’ai vécu cela avec Salim en plein mpangahari, la place publique de la médina de Mutsamudu, un soir. Une exceptionnelle soirée de contes où le tamashek se mêlait au comorien, univers et imaginaires en mariage. J’ai rarement vu la nuit vibrer au rythme de la parole. Transport et voyage sous le jeu du grand conteur que les Comores ont eu. Geste et gaité pour combler la vacuité formée en place et lieu qu’aucune grand-mère n’occupe de nos jours par sa voix tremblotante et cassée par l’âge. »

///Article N° : 12894

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