Avec discrétion mais ténacité, Laurence Gavron poursuit son uvre documentaire ancrée dans le pays qu’elle a adopté, le Sénégal. « Cette toubab qui parle wolof, s’habille sérère et mange peulh », comme l’écrit l’écrivain Hamidou Dia, fait ici écho à l’un de ses précédents films, Le Maître de la parole – El Hadj Ndiaga Mbaye, la mémoire du Sénégal, où elle s’attachait déjà à un griot remarquable. Egalement joueur de xalam, ce luth traditionnel à cordes qui accompagne avec noblesse les longs récits épiques parlés-chantés en une fascinante mélopée, Samba Diabare Samb a en commun avec El Hadj Ndiaga Mbaye de concilier le double rôle d’être gardien de la tradition et penseur du monde moderne. C’est là que le documentaire ne se fait pas seulement uvre de mémoire mais aussi pertinente vision pour notre temps.
Laissant abondamment la parole à Samba Diabare Samb, Laurence Gavron fait aussi appel à des spécialistes pour préciser cette actualité des griots. Contrairement aux bardes européens qui ont disparu avec les cours auxquelles ils étaient attachés, les griots, eux aussi panégyristes attitrés des souverains et des nobles, survécurent aux énormes changements liés à la colonisation puis à l’indépendance, « en raison de leur talent mais aussi de leur rôle de régulateurs de la vie sociale, de médiateurs entre les différents segments de la société et de défenseurs de la tradition. » (1) Une subtile translation s’est ainsi mise en place, qui fit évoluer les griots du service d’une personne ou d’une posture au service de l’Etat lui-même. Dépositaires de la tradition, leur influence est certaine et l’Etat tente de se crédibiliser en se rapprochant d’eux. En sont-ils pour autant les flagorneurs ? La grandeur d’un Samba Diabare Samb, qui a fréquenté les grands de ce monde, est justement de privilégier avant tout l’éthique et le patriotisme. « Il ne suffit pas d’être bien né, c’est le comportement qui compte », aime-t-il à répéter. Fort de cette référence morale aux valeurs fondamentales de la culture, défendre la tradition n’implique pas le conservatisme : il sait dévoiler combien le futur sort du passé si l’on accepte de ne pas se figer sur des conceptions fermées. L’ensemble instrumental qu’il a animé regroupe ainsi toute la diversité culturelle du Sénégal, facteur d’unité.
« Celui qui ne connaît pas ses racines est un homme perdu ». Loin de s’arrêter à ce seul adage, le film de Laurence Gavron se situe dans le dépassement de la vision romantico-passéiste souvent à l’uvre dans la littérature ou le cinéma qui mythifie le griot. Elle se dégage ainsi de l’opposition rétrograde entre une tradition synonyme d’authenticité, dignité et vérité et un modernisme qui serait caractérisé par l’aliénation, le colonialisme et l’exploitation. (2) En s’appuyant sur Samba Diabare Samb qui évoque dès le prégénérique le drame bien moderne du Joola et que l’on voit évoluer sur les scènes de spectacles, elle contribue à restaurer une vision dynamique de la tradition comme outil de lecture du présent.
L’épure de son image stylisée qui évoque les sous-verres sénégalais encourage l’écoute et soutient le recentrement sur les valeurs pouvant servir de socle à ce programme ambitieux.
1. Cf. Isabelle Leymarie, Les Griots wolof du Sénégal, Servedit – Maisonneuve & Larose, 1999, p. 4.
2. Cf Valérie Thiers-Thiam, Le Griot totem in : Griot réel, griot rêvé, Africultures n°61, L’Harmattan, oct.-déc. 2004, ainsi que A chacun son griot, collection La Bibliothèque d’Africultures, L’Harmattan 2004.///Article N° : 6850