Tikoulou, le phénomène éditorial mauricien

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Il est très rare de trouver dans la littérature de jeunesse du Sud, des séries d’albums centrées autour d’un seul personnage. La plupart des livres de jeunesse d’Afrique ne suscitent guère l’engouement et les éditeurs ont du mal à trouver un public en dehors des circuits scolaires traditionnels. Ce constat rend d’autant plus remarquable la longévité du personnage des treize albums de Tikoulou, série à succès pour les 4-9 ans, des éditions mauriciennes Vizavi.

L’aventure Tikoulou est née à la fin des années quatre-vingt-dix d’un double constat : d’une part l’absence de publications locales pour les enfants, et d’autre part, un manque d’intérêt des enfants pour la lecture dû, en partie d’une absence totale de politique du livre dans un pays où le « livre pour le plaisir » est prisonnier d’un système éducatif hautement compétitif qui place le livre scolaire comme unique « placement utile » dans le développement de l’enfant. C’est pour élargir cette notion de « devoir » à une notion d’évasion et de plaisir que naît l’idée d’une collection d’albums richement illustrés relatant les aventures d’un petit Mauricien dans son environnement immédiat. Parti d’un petit personnage créé par l’artiste peintre mauricien Henry Koombes, la série est rapidement devenue un phénomène de société rarement visible dans la région.
Un succès éditorial
De nos jours, les tirages de la série laissent rêveurs pour un pays aussi petit que Maurice (1,3 million d’habitants) et aussi éloigné de la « métropole » francophone
que constitue Paris. De 1998 à 2009, l’ensemble de la série (douze titres, soit un par an) a été imprimé à 126 500 exemplaires (au 31 décembre 2010) pour le commerce. La palme en revient au premier tome Au pays du Dodo qui a été tiré à 42 500 copies depuis novembre 1998. S’ils ne l’égalent pas, les autres titres de la série dépassent de très loin le tirage moyen d’un ouvrage mauricien. SOS requin a été tiré à 14 000 ; le deuxième titre, Le Trésor de Tikoulou à 9 500 ; Méli-Mélo dans la mélasse et Cyclone sur Rivière Noire à 9 000. À l’exception du douzième titre (Enquête aux Seychelles sorti en octobre 2009), le premier tirage de tous les titres de la série n’a jamais été inférieur à 5 000 exemplaires, ce qui est tout à fait remarquable dans un pays où la plupart des parutions pour la jeunesse tournent autour des 1 000 exemplaires. Les réimpressions sont également rarissimes à Maurice. Les albums de Tikoulou dérogent cependant à la règle : 6 retirages pour Au pays du Dodo, 3 retirages pour Le Trésor de Tikoulou, 2 retirages pour SOS Requin ! Mystère à la citadelle, Méli-Mélo dans la mélasse et Cyclone sur Rivière Noire. Les autres, du fait de leur premier tirage important, n’ont pas encore fait l’objet de réimpression.
La société Total ne s’y est d’ailleurs pas trompée. L’an dernier, elle a choisi Tikoulou pour une campagne promotionnelle. Sur l’île, dans chaque station de cette enseigne, contre un plein d’essence et 49 roupies mauriciennes (l’équivalent d’1,20 €), les clients repartaient avec un des douze albums de la série. Cette opération étalée sur quatre mois, de fin août à fin décembre, a entraîné un tirage de 10 000 exemplaires supplémentaires de chaque titre en couverture portant le nombre d’exemplaires vendus au chiffre record de près de 220 000 exemplaires vendus. Et les ventes continuent : le premier titre, Au pays du dodo, continue à se diffuser à un rythme d’environ 100 ventes par mois alors que l’ensemble de la série tourne autour d’une cinquantaine d’exemplaires.
En parallèle, Vizavi a lancé un site Internet (1) ainsi qu’une série de produits dérivés Tikoulou (jeux de cartes, puzzle, T-shirts, livrets de jeux, livrets éducatifs), illustrés également de la main du dessinateur de la série, Henry Koombes.
Les raisons d’un tel succès ?
Tikoulou est systématiquement édité en versions anglaise et française. Toutefois, la majeure partie des ventes se fait en français, tant sur le marché local que sur le marché touristique majoritairement francophone. À signaler que certains titres ont fait l’objet d’une traduction allemande ou italienne pour le marché touristique, mais pour des tirages compris entre 500 et 1 000 exemplaires.
Pourtant, dans un pays réputé pour la qualité de ses écrivains et doté d’une production éditoriale intéressante, la littérature de jeunesse fait figure de parent pauvre. Depuis 2006, à l’exception des Tikoulou, le nombre de titres francophones pour la jeunesse édités n’est guère supérieur à 15. Pour les deux dernières années par exemple, hormis un livret sur L’île aux aigrettes (2), publié par Vizavi, dans sa collection « Curieux de Nature » (qui compte déjà Dauphins et baleines, À la découverte du lagon et Nos amis les oiseaux) et chez le même éditeur, Sirandann, petites devinettes de Gabrielle Wiehe, qui revisite le genre des sirandanes, vingt ans après Jean Marie et Jemia Le Clézio, peu de titres pour la jeunesse ont été publiés dans le pays. Seule le remarquable La Toile bleue de Joëlle Maestracci et Shenaz Patel, ainsi que deux ouvrages de Priya Heim et un superbe ouvrage collectif, Poutou ek Poutann in love ont vu le jour.
Comment expliquer alors ce phénomène de société qu’est devenu Tikoulou ?
La qualité du premier titre y est sans doute pour quelque chose. Cet ouvrage, où le nom de Tikoulou n’apparaît nulle part, permet aux lecteurs de visiter l’île Maurice, petit paradis sur terre, et de découvrir ses légendes (dont la plus célèbre est très certainement celle du dodo). Cet album, qui fut un grand succès auprès des touristes, constitua un véritable appel d’air pour la série. L’aide de l’Organisation internationale de la francophonie pour l’édition de quatre albums a permis à Vizavi de les vendre à un prix raisonnable, en accord avec le pouvoir d’achat local (125 roupies à l’époque soit 3 €), ce qui a eu un effet évident sur la diffusion.
Par la suite, les volumes de vente ont permis de garder un prix unitaire relativement abordable (235 roupies à ce jour, soit environ 5,40 €), et ce, malgré l’arrêt des programmes d’aide de l’OIF.
Le talent de l’illustrateur, l’artiste-peintre Henry Koombes, est également l’une des clefs de la réussite de Tikoulou. Son style, très « ligne claire » donne une forte identité graphique à l’ensemble de la collection avec des couleurs chaudes, à la fois poétiques et charmantes (3). Cet univers très « terroir », qui fleure bon l’innocence et une certaine naïveté assumée, caractérise entièrement l’univers de Tikoulou.
Avec ses geckos, ses oiseaux, son monde marin, sa nature exubérante, il permet aux enfants une identification immédiate avec les lieux, la faune et la flore qui les entourent. De plus, les personnages qui vont et viennent au gré des intrigues autour de l’attachant petit garçon à la coiffure en palmier, apportent tous une touche sympathique et familière aux histoires. Gromarto, le cousin de Tikoulou, est un personnage un peu poltron mais sympathique et ayant bon caractère. Le chien Dimoune est le meilleur ami de Tikoulou et son fidèle guide aussi. Kasskot, petite sino-mauricienne, est vive et pleine de ressources. Elle a un tempérament de meneuse. Enfin, Matapan est le plus téméraire de la bande.
Les enfants s’identifient à l’un des héros qui suivent Tikoulou à travers ces différentes aventures.
Enfin, de façon beaucoup plus pragmatique, l’influence touristique est un atout commercial indéniable. Si les boutiques d’hôtels représentent un chiffre d’affaires très faible, les principaux points de vente constatés par l’éditrice démontrent bien l’importance de la manne touristique dans les ventes des Tikoulou.
Un héros emblématique pour les jeunes mauriciens
Quoi qu’il en soit, Tikoulou est en passe de devenir un héros familier pour toute une génération d’enfants. Il est vrai que ce personnage les emmène partout. Sept titres mettent en valeur les paysages, la faune, la flore, l’histoire et la culture de Maurice. Au pays du Dodo est une balade qui permet de passer en revue les traits caractéristiques de la nation mauricienne. Le Trésor de Tikoulou, écrit par Monique Ritter, aborde l’une des grandes légendes mauriciennes, les trésors que les navigateurs de l’océan Indien auraient laissés sur l’île au cours des siècles passés, et qui ont motivé des dizaines d’expéditions depuis. SOS requin, du même auteur, traite du patrimoine maritime de l’île (faune, fonds marin, barrière de corail) que Vizavi reprendra dans la collection « Curieux de nature ». Mystère à la citadelle, écrit par Alain Gordon Gentil, évoque la figure d’un voleur de bicyclette et se déroule dans l’un des lieux patrimoniaux de Port-Louis, Méli-Mélo dans la mélasse se situe dans une usine sucrière – longtemps l’activité principale du pays. Cyclone sur Rivière Noire, sous la plume de Pascale Siew, permet aux lecteurs de s’éloigner des plages et de la mer pour se promener dans les montagnes mauriciennes et le Parc national des gorges de la Rivière Noire en plein milieu d’un cyclone, phénomène naturel auquel sont régulièrement confrontés les Mauriciens. Pour sa part, La Piste des diyas, second titre de la Réunionnaise Joëlle Ecormier, se déroule durant Divali, la fête de la lumière d’origine hindoue, célébrée par tous les Mauriciens, quelle que soit leur communauté.
Tikoulou, petit globe-trotteur, aura aussi emmené son lectorat au-delà de ses frontières à la découverte de ses voisins, brisant ainsi un certain cloisonnement encore très vivace dans les îles et pays de la région :
– à Rodrigues où le jeune auteur Valentin Donzé (15 ans) évoque la Caverne Patate, le solitaire et les piments typiques du territoire (Tikoulou à Rodrigues) ;
– à La Réunion avec Joëlle Ecormier (déjà), à la découverte du volcan et des contes et légendes de cette île (Sur les terres de grand-mère Kalle) ;
– à Madagascar avec Pascale Siew, à la rencontre des baleines à bosse (Cap sur Nosy Boraha) ;
– Aux Seychelles avec Enquête aux Seychelles, écrit par l’auteur de cet article, qui entraîne Tikoulou et Kasskot sur les traces des tortues de mer de l’archipel ;
– et enfin cette année 2011, dans la grande péninsule où, sous la plume de Pascale Siew, Tikoulou et Gromarto prêtent main-forte à une équipe de volontaires engagés dans une vaste campagne de vaccination (Tikoulou en Inde).
C’est donc un certain dosage à la fois ludique et pédagogique, attrayant et sympathique, sur un graphisme riche et coloré, nourri de textes faciles à la compréhension, qui explique le succès de Tikoulou.
Afin de continuer sur cette dynamique positive, Vizavi a réalisé en 2009 le pilote d’une série de dessins animés pour la télévision. Si le projet n’a pu encore voir le jour du fait de la crise économique et de la difficulté à trouver des sources de financement, il reste toutefois d’actualité dans la recherche d’un partenariat étranger. C’est la crise économique qui explique également que 2010 fut la première année où aucun titre de la série ne fut publié. Cela permit d’ailleurs à Henri Koombes de publier son premier titre pour la jeunesse en dehors de Tikoulou : Le Pays d’en bas la mer sorti chez Orphie (Réunion) en septembre 2011.
En dehors de Maurice, les albums de Tikoulou sont disponibles à La Réunion, en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Mali), lors de quelques salons du livre auxquels Vizavi participe (le salon de Montreuil, par exemple) et en ligne, sur les sites de Livranoo et sur le site personnel de Joëlle Ecormier. En France, les albums sont déjà disponibles à la librairie L’harmattan (Paris), et le seront d’ici octobre 2011 dans les Fnac Éveil et les grandes surfaces, grâce au diffuseur A & G Agency.
Une occasion unique de découvrir ce petit héros sympathique, surgi de cette île si singulière de l’océan Indien.

1. [http://www.tikoulou.com]

2. L’île aux aigrettes est situé en face de la ville de Mahébourg, dans le sud du pays. Gérée par la Mauritian Wildlife Fondation (qui a commandité le livret en question), l’île constitue une réserve naturelle.

3. Pour en savoir plus sur Henry Koombes, [ici]13 octobre 2011///Article N° : 10438

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© Éditions Vizavi
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