Toza é bélé (Nous sommes nombreuses)

De Moussa Touré

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Le film commence par quelques images d’archives de 1998, avec des soldats qui lancent finalement « on veut la paix ». Ce sera la seule incrustation d’images de guerre dans ce film où elle est pourtant omniprésente, dans ses conséquences infernales. Nous sommes en mars 2002. Moussa Touré, cinéaste sénégalais, se trouve à Brazzaville et rencontre des femmes qui ont subi des viols à répétition durant la guerre. Leurs récits sont déchirants. Certaines ont été torturées. Les enfants de leurs grossesses forcées sont autour. Elles portent en elles le sida contracté. L’une répète à trois reprises : « Je suis encore très jeune »…
Comment des soldats peuvent-ils se comporter de la sorte ? « Assoiffés de femmes ? Drogués ? Que Dieu leur pardonne », dira une femme, ajoutant qu’ils ne faisaient que « gaspiller les gens, faire mal aux femmes ». La caméra cadre les visages de face, sans zoomer inutilement, sans effet, à leur hauteur, avec un infini respect, sans traîner non plus sur des visages silencieux. Le réalisateur pose des questions directes, pour les amener à témoigner, et cette relation que l’on sent bien issue d’une rencontre, d’un long travail d’approche et de mise en confiance, est la grande qualité de ce film profondément émouvant : ce n’est plus du reportage, même si c’est qu’une caméra numérique tenue par le réalisateur lui-même et un ingénieur du son, c’est du cinéma – avec un éclairage choisi qui magnifie les visages, un cadrage simple mais travaillé, que permet le choix du lieu où l’on va tourner, même si cela reste dans le cadre exigu des cases où l’on s’entasse. Rien n’est là pour misérabiliser, pour sensationnaliser. Ces femmes ont malgré ce qu’elles ont subi et ce qu’on leur fait encore subir (l’une raconte qu’elle ne peut retourner dans son quartier, subissant le mépris et les quolibets : « la fille là-bas, elle a quatre lettres »), une impressionnante dignité. Il est important de dire que dans le cadre du cinéma, c’est le réalisateur qui sait ici la capter pour la transmettre. A deux reprises, un simple scène : la prière d’une femme et de ses enfants avant le repas. Le choix est clair : plutôt que des scènes de guerre qui viendraient remplir le film de ces images déjà assénées par la télé, le simple témoignage de l’intériorité.
Moussa Touré laisse aussi une place à la question de l’encadrement et du droit : il rencontre un psychiatre, une assistante sociale, un avocat, un centre d’aide juridique gratuit . Tous très compétents (qui nous dit qu’il faudrait aller chercher les compétences à l’extérieur ?), conscients de la faiblesse de leurs moyens, proposant des solutions contre l’impunité dont jouissent les violeurs.
C’est le dépouillement choisi qui nous atteint directement, qui permet de sentir les manques terribles de ces femmes, les vides d’une Afrique qui n’en peut plus de soigner les plaies de son Histoire, de se voir condamnée à la revivre sempiternellement. Une lettre de juillet 2002 de Lydie, la femme que Moussa Touré nous donne le plus à découvrir, clôt le film : la guerre a recommencé.

2002, 52 min.///Article N° : 2666

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