7ème art dans l’Union des Comores

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Ce titre paraît, aujourd’hui, quelque peu emprunté. Parler de cinéma dans l’archipel des Comores revient parfois à disserter dans un désert sans nom. Non pas que les images n’y circulent pas en nombre – il y a longtemps que le net, la télé et le DVD y font leur nid – mais le cinéma en tant que pratique d’expression culturelle y fait surtout partie des arts nouveaux.

Il y a bien un festival international du film comorien (CIFF), et dont les objectifs sont de promouvoir des œuvres et de faire se rencontrer auteurs, cinéastes, artistes et publics. Mais il n’a que cinq années d’existence, et n’a connu que deux éditions. Jusqu’en 2011, le Comorien ne porte aucun regard sur sa représentation au cinéma. D’où l’importance de la dynamique portée par les membres du CIFF[1]. Avec la double volonté  de réfléchir sur les images fabriquées aux Comores et d’en susciter des nouvelles.

La première édition du CIFF a eu lieu en décembre 2012, rassemblant des professionnels de l’Océan Indien, de France, du Canada, d’Inde et d’Egypte. Ce premier rendez-vous interrogeait la capacité pour un archipel à affirmer son existence à l’écran et à se confronter au monde. La seconde édition en novembre 2015 a vu émerger de nouvelles têtes d’affiches. Deux films consacrés (Escale à Pajol de Mahmoud Ibrahim et L’encre de la mer de Laïla Abdou Tadjiri), trois nouvelles voix émergentes au court-métrage (Les voiles aux Comores de Wonssia Issouffou, Madjadjou, la décharge de Moroni ? de Asma Binti Daouda, L’histoire d’Amadou – une animation 2D – de Zainou El Abidine Mohamed), ainsi qu’un atelier d’écriture. Depuis, le CIFF organise, en collaboration notamment avec la société Nextez, des ateliers de formation (écriture/ montage/ mise en scène/ jeu d’acteur), même si dans des conditions difficiles.

Relations indianocéanes

Mohamed Said Ouma, Réalisateur Comorien

Le cinéma reste une expression nouvelle dans ce paysage insulaire. Avec des métiers à construire, et des problématiques à instruire, par rapport auxquels l’Etat comorien n’a encore déployé aucune réflexion agissante. Le cinéma aux Comores s’invente presque sans un sou. Il est arrivé que les membres du CIFF utilisent leurs propres deniers pour financer leur projet. Leur engagement demeure toutefois constant, et ce, malgré le manque d’accompagnement de la part des autorités. La seule fois où l’Etat a daigné manifester son soutien au projet du CIFF, il y a eu un couac. Le budget alloué (10 millions de francs comoriens) a été détourné de son objet.  La direction nationale de la culture a reconnu avoir fléché cet argent sur d’autres actions. Une histoire qui a failli coûter la vie au festival, puisque les organisateurs ont voulu annuler le programme de la deuxième édition, au dernier moment.

Aujourd’hui se pose la question de la viabilité économique de ce festival. Y aura-t-il une troisième édition, prochainement ? A priori, elle devrait se dérouler à la fin de cette année. En attendant de pouvoir répondre à la question, le CIFF s’occupe de développer ses relations avec les festivals de la sous-région : « Rencontres du Film Court » à Madagascar, « Îles Courts » à Maurice. La tenue en décembre 2014 d’une résidence et d’un mini-festival, réalisé en partenariat avec LERKA, une association réunionnaise, ainsi que la tenue en décembre 2016 du Forum Film Bazar à Moroni, une plate-forme d’échange pour les professionnels du cinéma dans l’Océan indien, font également partie des activités les plus récentes de l’association organisatrice du CIFF.

Images venues de la diaspora

Avant que ne s’ouvre ce débat sur la pérennisation ou non d’un projet de festival, il a souvent été question des films étrangers, portant un regard sur le paysage idyllique de l’archipel, à l’instar de Night of the Cyclone de David Irving, tourné au Galawa Beach[2], avec Marisa Berenson et Kris Kristofferson. Le premier film « made in Comores » est une fable sur le renouvellement du pouvoir, signé Ouméma Mamadaly et Kabire Fidaali. Baco – son titre – est sorti en 1997, sur la scène francophone. A l’époque, ils sont à peine une dizaine à s’essayer au documentaire dans le pays. Parmi eux : Aboubacar Cheikh, Said Ahmed Dahalani, Ahmed Mze Bacar, Abdoushakur Aboud, Séefdine Mchangama. Tous membres de l’équipe du Centre National de Documentation et  de Recherche Scientifique e(CNDRS). Mamadaly et Fidaali sont, eux, issus de la diaspora.

Le deuxième film consacré à l’étranger sera une fiction, réalisée par Hachimiya Ahamada. Un court-métrage – La Résidence Ylang Ylang – présenté à la Semaine Internationale de la critique à Cannes en 2008. Il inaugure une dynamique puisant dans l’imaginaire, à laquelle se rattachent aussi nombre d’essais filmiques, commis durant cette décennie-là. Litres de Ahmed Mze Boina (2000), Mhaza Nkungumanga de Mounir Allaoui (2006), Le mythe de la 5ème île de Mohamed Said Ouma (2007), Moroni ce long poème de Soeuf Elbadawi (2008), et Moroni Café de Said Hassane Ezidine, encore en post-prod. Soulignons que ces réalisateurs sont eux aussi issus de la diaspora. L’ivresse d’une oasis, dernière production à l’affiche de Hachimiya Ahamada, viendra, enfin, renforcer cette dynamique, en intégrant la programmation du CIFF en 2012.

Perspectives critiques

Mahmoud Ibrahim, réalisateur

En posant les bases d’une réflexion sur la fabrication et la diffusion des images comoriennes, les organisateurs du CIFF entament un travail de « pionnier » dans un pays, où le rapport au cinéma s’est longtemps limité à une large consommation d’images étrangères. A l’exception de celles de Hachimiya Ahamada (Cannes, entre autres) ou de quelques « miraculés » comme Mahmoud Ibrahim (le festival du court-métrage à Tana), les images produites sur les Comores, jusqu’alors, ne sont vues que dans de rares occasions, y compris à l’international. Quelques festivals de la sous-région, dont feu le FIFAI[3] à la Réunion, et de l’espace francophone, tout au plus. Localement, il n’y a que le rendez-vous du CIFF ou les projections spéciales du Muzdalifa House, qui leur ont fait de la place, ces dernières années.

En ramenant les pratiques du 7ème art sur les places publiques, et dans des maisons de quartiers, le CIFF tente de réconcilier les Comoriens avec leur propre image à l’écran, dans un contexte où les images-pays sont quasi rares. Les quelques cinéphiles, survivant localement,  ramènent au quidam  les souvenirs d’un temps oublié par tous. Celui des cinéma Al-Kamar (Moroni), Al-Qitwar (Mutsamudu) et Beauregard (projection itinérante dans les campagnes, et par alternance dans les alliances de Moroni et de Mutsamudu). Aujourd’hui, il n’existe plus aucune salle de projection digne de ce nom dans l’archipel. Même les salles des derniers vidéoclubs ont fermé. La liesse accompagnant les projections dans les cours d’école et les terrains de foot a, elle, aussi, disparu.

Le CIFF, certes, contribue à construire un nouveau rapport au 7ème écran dans le pays. Mais il faudra du temps pour que l’écran reprenne totalement vie dans les quartiers populaires. Qui sait ? Peut-être que l’apparition de signatures comoriennes aux génériques des films y sera pour quelque chose. A Moroni, la presse annonce le tournage, en ce mois d’août 2017, de Hodari, le film d’un jeune réalisateur, Jamily Farouk. De quoi retenir l’attention du public, avant une prochaine édition du festival, peut-être…

[1] Comoros International Film Festival (C
[2] Hôtel mythique du pays, appartenant en son temps au groupe Sun international.
[3] Festival International du Film d’Afrique et des îles

Cet article a été écrit dans le cadre d’un réseau de journalistes culturels de la région indianocéane, fondé à Tana en juin 2017, suite à un atelier  sur les médias et la critique, organisé par l’OIF et animé par une équipe d’Africultures. Mohamed Youssouf et Nassilla Ben Ali, membres de ce réseau, sont journalistes, respectivement, de La Gazette des Comores et d’Al-watwan (Presse comorienne).

 

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