En sortie le 8 avril 2014 dans les salles françaises, Ady Gasy est un film attachant, sensible, réjouissant, une belle introduction aux problématiques malgaches d’aujourd’hui qui ne sont pas sans rappeler celles de l’homme et du monde actuel en général.
« Le socle de notre culture, c’est la fraternité ». C’est un orateur des pauvres qui le dit, un orateur mis en scène par le Malgache Nantenaina Lova dans Ady Gasy car, comme le précise un insert en début de film : « Certains se la pètent avec leurs mallettes et leurs leçons d’économie, mais nos orateurs les attendent de pied ferme ici ». Un orateur, à Madagascar, fait partie d’un spectacle populaire : il s’excuse de ne pas être plus sage et introduit quelques idées simples. Dans Ady Gasy, ce sera une femme car le groupe de musiciens qui tourne de village en village propose une vision nouvelle : prendre conscience de sa propre force. Elle réside dans la débrouille et dans la solidarité. Le titre du film veut effectivement dire « à la façon malgache », une expression très usitée dans la Grande île quand on veut parler de comment on se débrouille dans telle ou telle situation ou réparation. La débrouille, c’est ce savoir-faire de la récupération et du recyclage qui fonde toute économie parallèle. De multiples exemples émaillent le film, assez éloquents pour montrer qu’avec presque rien (titre du work in progress du film présenté aux Etats généraux du film documentaire de Lussas en 2013), on fabrique et répare tout.
Quant à la solidarité, c’est « ce qui nous unit » dit l’oratrice, et cela commence par la tendresse de ces enfants qui dansent dans la pluie tandis que les musiciens tentent de retrouver l’âme qui faisait la grandeur de ce peuple alors qu’aujourd’hui domine la recherche de l’avoir
Effectivement, « on ne vient pas à bout d’un barrage sans s’entraider », mais c’est davantage de survie que nous parle Nantenaina Lova : les mille et une façons de conjurer la misère n’assurent qu’un bien petit minimum vital. Pourtant, si son propos est essentiel, c’est qu’il dépasse l’économique pour montrer que cette débrouille permet certes de rester debout, mais qu’elle s’inscrit surtout dans la fraternité qui restaure au dur quotidien ce pan d’humanité, elle qui donne sens à la résistance et fonde le combat pour la survie. C’est alors que ces énergies déployées, ces impressionnants savoir-faire issus de l’expérience accumulée, cet engagement d’un groupe de musiciens pour consolider les valeurs qui fondent la communauté se conjuguent pour redonner courage, de même que ce film qui trouve là une des fonctions essentielles du cinéma documentaire.
Il tomberait à plat s’il n’apportait pas cette beauté qui émeut et motive : sensibilité pour les proverbes que ces gens cherchent sans cesse à mobiliser pour appuyer leur propos et communiquer, angles de prise de vue et cadre permettant aux êtres d’apparaître dans tout leur éclat, humour découlant de la spontanéité et de la sincérité des séquences où le réel réserve toujours des surprises, montage subtil, au rythme d’un roadmovie alignant les découvertes mais prenant le temps de l’escale et de la rencontre, connivence et empathie avec les personnes filmées
Ce documentaire ne cache jamais son jeu et c’est aussi là que se situe sa force, mais s’il s’impose naturellement, c’est aussi et sans doute surtout parce que sa forme correspond à son propos, que son existence tient elle aussi de la débrouille qu’il décrit, et qu’il puise sa détermination dans ce qu’il défend avec une belle intensité : cette solidarité que les Malgaches appellent le fihavanana, et qui est avant tout respect des différences et art de vivre ensemble.
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