Réalisé en 1989 et sortant en mars 2007 en dvd, ce documentaire avait recueilli toutes les éloges lors de sa diffusion sur La Sept-Arte et dans les festivals où il ramassa de nombreux prix. Il n’a pas pris une ride et enchante de bout en bout. « Ce n’est pas moi qui ment, mais ceux qui nous ont précédé », dit le premier conteur. Cela démarre effectivement par un conte d’origine du monde sur des images d’une incroyable beauté. L’eau y est omniprésente, de la mer à la terre gorgée et au ciel plombé. Ces images superbes nous emportent dans la contemplation jusqu’à ce qu’apparaisse le conteur, homme ordinaire dans son intérieur tout simple. Car si le mythe est le sujet, les Paes ne cultivent pas la mystification. Il n’y a aucun exotisme dans ces images incroyablement lumineuses et parfaitement cadrées. Seulement la fascination pour l’harmonie du monde. Mais lorsque la caméra rebondit sur les hommes, leurs activités, leurs visages marqués, la dureté de la vie des paysans interminablement plongés dans les rizières s’impose. Et lorsque la fête de Famadihana réunit les familles pour exhumer leurs aïeuls afin de changer joyeusement leur linceul de soie et les balader un moment en une grouillante chorégraphie où les vivants osent prendre les restes des morts à pleines mains, c’est une culture du lien mais aussi du relatif qui se révèle, qu’un vieux pointera en disant qu’on est tous des étrangers de passage, une relativité et une spiritualité essentielles pour aider à vivre les souffrances qui creusent les rides et portent le regard au loin.
Angano
Angano
éclaire la méthode que le couple Paes, lui Brésilien et elle née à Tananarive, ont développé ensuite dans leurs longs métrages Saudade do Futuro et Mahaleo. Rien d’étonnant à ce que César Paes ait pu s’associer pour réaliser Mahaleo avec le réalisateur malgache Raymond Najaoranivelo : celui-ci avait lui aussi développé dans ses deux longs métrages, Tabataba et Quand les étoiles rencontrent la mer, cette façon de donner aux éléments de la nature le statut de signifiants à part entière, de les faire parler et vibrer. La nature n’est pas décor mais moteur d’une harmonie dont profite l’activité humaine. Ainsi, les magnifiques images d’Angano
Angano
ne sont-elles jamais illustration des contes merveilleux qui en font la trame mais un second récit, tandis que la bande-son qui résonne davantage des bruits du quotidien que de musiques d’accompagnement constitue elle aussi un autre degré de perception. C’est parce que ces trois niveaux se répondent sans se superposer, raccordés en écho mais toujours autonomes, que la poésie qui en résulte ouvre une formidable émotion. C’est alors que ces femmes, ces hommes et ces enfants apparaissent dans toute leur dignité, et donc dans leur beauté.
Aucun commentaire ne vient rompre la relation. Seules les personnes filmées ont ici la parole, et la prennent pour conter ou se raconter. Ils le font avec un humour ravageur qui donne à l’ensemble une impressionnante légèreté. Et c’est bien d’impression qu’il faut parler pour décrire le travail des Paes, ou plutôt d’impressionnisme au sens d’une peinture privilégiant les impressions fugitives et le mouvement des choses tout en restant ancrée dans la réalité sociale. Plutôt que d’immortaliser des récits et des gens, leur film les rend présents, au point qu’ils peuvent rire de s’entendre dans les écouteurs. « Le conte, c’est l’héritage des oreilles », note l’un d’entre eux. Conscient du fait que le cinéma est mémoire sensible, et donc de sa proximité avec la tradition orale, il remercie les réalisateurs d’avoir choisi sa voix pour qu’on se souvienne de ses récits, ici comme dans d’autres pays. Et de lui-même, bien sûr. Car dans une culture où le rapport aux ancêtres imbrique tant la vie et la mort, la conscience de vivre est une conscience de soi. Sans doute est-ce pour cela que les Paes ponctuent leur film de visages qui nous regardent droit dans les yeux. Ces regards caméra nous interpellent, leur humanité en partage, leur altérité en point d’interrogation. Ils nous invitent à être un peu complices de ce monde lointain qui porte tant d’avenir en lui en mariant ainsi le réel et l’imaginaire.
A noter que les bonus du dvd sont de vrais cadeaux magiques, enregistrements musicaux sur le vif en différents points de la Grande île, à commencer par la fête de Fasina où l’on est pas prêt d’oublier la maîtrise rythmique des danses et des pieds d’enfants martelant des plateaux de bois.
le dvd est disponible sur www.laterit.fr///Article N° : 4703