Etonnant personnage que Berni Goldblat, cinéaste handicapé installé au Burkina Faso, qui évolue en chaise roulante et réalise ses films sur sa moto à trois roues ! On imagine en voyant Ceux de la colline que ce ne doit pas être aisé tous les jours mais il en parle lui-même avec beaucoup d’humour !
Berni est très actif dans le soutien à des initiatives de diffusion en cinéma ambulant et de réalisation de films d’intervention locaux avec l’association Cinomade, avec qui il a par exemple réalisé une trilogie, Le Micro à ta portée, aux titres évocateurs : La Guerre des sexes, Affaire de caoutchouc et Sida palabres. Ces films sont issus de tournées de cinéma-débat interactif sur le thème du sida dans 183 localités et quartiers du Burkina Faso. 91 heures de micro-trottoirs ont été tournées, dont des extraits constituent la matière de ces trois films. Ils témoignent d’une étonnante liberté de ton, issu d’un véritable travail de proximité, et constituent un saisissant document sociologique sur les incompréhensions entre hommes et femmes sur la drague et le sexe, capable de faire réagir n’importe quel public. Comme dans son autre documentaire Doni-doni b’an bela (Nous avons tous une part de responsabilité), les interlocuteurs de l’équipe de Berni y abordent les méthodes de séduction, le pouvoir de l’argent, la domination de l’homme sur la femme, le dialogue dans le couple et les difficultés du port du préservatif. La force d’intervention sociale de ces documentaires est bien sûr de faire réagir mais sur un mode nouveau car ils ne présentent pas le sida comme l’affaire de quelques-uns mais comme lié à des comportements collectifs.
Avec des bouts de ficelles et une équipe entièrement burkinabée, Berni a également réalisé en 2006 un long métrage de fiction en français, Mokili, qui a rencontré un grand succès au Burkina. Dans la pure ligne des téléfilms locaux, il traite du mal de vivre des jeunes adolescents.
S’il profite de la continuité de cet ancrage et d’une équipe technique africaine qui a l’habitude de travailler ensemble, Ceux de la colline est un projet documentaire de belle facture à destination d’un public international. Aller ainsi sur la colline de Diosso à la rencontre de ces fous qui risquent leur vie dans des trous instables pour trouver les pépites qui les rendront riches revient à tenter de comprendre un rêve. Il y a quelque chose de semblable entre les orpailleurs et les brûleurs qui tentent de traverser les mers pour accéder à l’Eldorado occidental, un imaginaire commun où le rationnel importe moins que la réalisation de soi. Ce qui frappe chez ces orpailleurs, c’est qu’ils sont ce qu’ils appellent eux-mêmes des « refusants » : ils ont quitté quelque chose, souvent en catimini, leur famille ignorant où ils se trouvent. Ils portent une souffrance passée qu’ils taisent mais qui s’exprime dans leur façon de brûler leurs atouts, leur jeunesse, de côtoyer la mort sans trop même y penser. Ces loosers ont perdu l’espoir dans le monde réel et mènent cette chasse au trésor comme on prend une drogue.
C’est bien sûr à ce niveau que le film dépasse la simple sociologie. Dans la fiction, le beau Rêves de poussière de Laurent Salgues réussissait à faire sentir cette dimension pour élargir son propos à une méditation sur la dérive humaine de l’Afrique. Ponctué des explosions qui retentissent sourdement, Ceux de la colline se contente d’un regard mélancolique. Ne s’attachant pas à un seul personnage, il dépeint de rencontre en rencontre la complexité de cette ville improvisée, jusqu’à s’attarder sur les négociations de prix ou les revendications des dynamiteurs qui menacent de faire grève, ou encore sur les multiples profiteurs ou les prostituées. Sans voix off ajoutée, il laisse des hommes et des femmes exprimer par eux-mêmes tant leur rêve de richesse inaccessible que leur attachement à ce lieu hors norme, lieu de tous les dangers mais aussi de toutes les libertés, y compris celle de s’y perdre.
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