Editorial

Ecouter les initiés

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« On n’appartient jamais dans la vie à une ethnie, à une race ou une communauté par la naissance ou par le sang. On en devient membre par la culture et le respect de certaines traditions. »
Ahmadou Kourouma, Yacouba chasseur africain, Gallimard 1998

Issu de nobles chasseurs-guerriers malinkés, Kourouma a appris à chasser avec son père et son grand-père. Est-ce en écoutant la grande geste des chasseurs qu’il a forgé l’indocilité de son écriture et de sa thématique ? Est-ce au contact de l’enseignement de ces « chasseurs, héros africains » – titre d’un autre de ses livres – qu’il a aiguisé son insolence comme sa lucidité ?
Cela n’aurait rien d’étonnant. Les chasseurs furent les premiers à s’élever contre l’esclavagisme. Ils furent de tous temps et sont encore aujourd’hui protecteurs et guérisseurs ; ils veillent à la sécurité de la communauté ; défenseurs des valeurs traditionnelles, ils revendiquent l’équité et s’insurgent contre la corruption et la perte des principes moraux. Il est logique que cela n’aille pas parfois sans ambiguïtés ou malentendus, comme en témoignent les conflits avec les Administrations que répercutent abondamment les journaux africains.
Alors que les chasseurs français, du moins les extrémistes dont parlent les médias, représentent une caste rétrograde se repliant sur un corporatisme obsolète au mépris des exigences écologiques de la modernité, les chasseurs d’Afrique de l’Ouest constituent une force étonnante, profondément ancrée dans le tissu social rural, et jouant un rôle loin d’être négligeable dans la préservation des équilibres, le soin et la protection des populations.
Ils mettent au service de leurs semblables un savoir acquis par initiation. Contrairement à la culture judéo-chrétienne qui privilégie l’identification avec des modèles paternels (« faire comme le Christ ou les Saints »), l’initiation africaine laisse chacun libre de définir sa modernité dans le cadre des valeurs collectives universelles : un contenant où chacun peut définir son contenu. C’est ainsi que la geste des chasseurs transmet comme les mythes traditionnels cette connaissance ancestrale sur ce qui fait l’homme et permet à la communauté de se définir un avenir.
On n’est pas chasseur par naissance mais par initiation. A l’heure où de Côte d’Ivoire nous parviennent des discours politiques donnant dramatiquement droit de cité à la xénophobie, la parole des chasseurs d’Afrique de l’Ouest, dont la solidarité ignore les frontières, remet les pendules à l’heure et trouve une brûlante actualité. Ils se rencontrent en un rassemblement exceptionnel regroupant six pays. Toujours soucieuse d’être en phase avec ce qui bouge en Afrique et de documenter ses expressions méconnues, Africultures est heureuse d’accompagner cet événement en leur consacrant ce dossier.

///Article N° : 1618

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