Rarement, pour ne pas dire jamais, un artiste africain aura suscité un tel engouement – presque consensuel – dans la capitale culturelle parisienne. Les médias ont tôt fait de s’emparer du « phénomène » qui est devenu presque incontournable. Tout le monde connaît à présent la légende du kiné devenu sculpteur et travaillant à partir d’une mystérieuse alchimie de matériaux. Derrière le masque, se cache un homme discret, heureux de ce qui lui arrive mais suffisamment lucide pour considérer son succès avec un certain recul.
Entre le Louvre majestueux et l’Institut de France tout d’élégance classique, s’élance par-dessus la Seine le pont des Arts, envahi jusqu’au 20 mai par les géants d’Ousmane Sow.
Du sculpteur sénégalais, tout a été dit ou presque, sauf peut-être qu’au-delà de l’expression artistique, ce qui prime ici est ce qui est dit. Car Ousmane Sow est d’abord, comme l’a souligné le professeur américain S. Hassan, » un conteur moderne dont les mots parlent en volume et dont les histoires sont des structures en forme de récits en trois dimensions « .
Guerriers massaï, lutteurs nouba, Peuls, Zoulous, Indiens d’Amérique sont là pour dire la vie, la mort, la guerre, la souffrance, la dignité… bref, l’Histoire. C’est l’Afrique, porteuse de valeurs, soudain présente au-dessus du fleuve, et largement écoutée, tandis que des berges monte, inattendu, le son d’un djembé.
Marie-Isabelle Merle des Isles.
Les Indiens tiennent le haut du pavé de votre exposition. Pourquoi avoir choisi ce thème après avoir travaillé sur les Noubas, les Massaïs et les Peuhls ?
Ce n’est pas parce que je suis Africain que je suis obligé de ne raconter que des histoires d’Afrique ! Il est cependant vrai, qu’il y a des similitudes entre les Indiens d’Amérique et les peuples africains tant dans les moeurs, que dans les croyances et les traditions. Il y a des correspondances dans les pratiques rituelles et dans l’utilisation des objets sacrés. Ce n’est pas un hasard si les Indiens ont été parmi les premiers à aider les esclaves à s’évader et à s’intégrer dans leur société. Actuellement, on voit encore des Indiens noirs.
N’est-ce pas également dans le combat pour leur liberté et leur dignité que ces peuples se retrouvent ?
Oui, mais il n’y a pas que cela. Bien sûr la bataille de Little Big Horn est celle d’un peuple opprimé qui repousse l’envahisseur. Ce fut la dernière grande victoire des Indiens. A ce titre elle peut être symbolique. Mais c’est un combat qui s’adresse à tout le monde et pas seulement aux Africains ou aux Indiens. Les gens s’étonnent du thème des Indiens, mais c’est un thème universel. Qu’est ce qu’un employé dont le patron vole indûment le temps de travail ? N’est ce pas encore un « Indien » ? Les Indiens, on leur a volé leurs terres, mais à ceux-là on a volé leur temps !
C’est la première fois qu’il y a un tel engouement autour d’un artiste originaire du continent africain. Comment le vivez-vous ?
Il faut un commencement à tout ! J’espère qu’il ouvrira la voie à d’autres artistes africains, sinon ça ne sert à rien. Quant à moi, je suis satisfait. Je suis touché que ce public déjà tant sollicité trouve le moyen de se déplacer pour voir mes sculptures, alors qu’il pourrait se contenter d’apprécier mon travail par le biais de la télévision, de la presse écrite ou de la vidéo. Je trouve ça fantastique ! Je sais que ce qui se passe sur le Pont surprend beaucoup de monde…
Parce que vous êtes un artiste africain ?
Oui. On ne me le dit pas, mais je le sens. Peut-être que certains sont surpris par le volume de mes sculptures et donc par la masse de travail qu’elles peuvent représenter. On nous imagine encore trop souvent sous les cocotiers ! Certains pensent encore que nous ne pouvons pas avoir un langage cohérent et qu’un Africain qui s’exprime clairement est une exception. Nous ne savons pas nous montrer tels que nous sommes réellement. L’image que nous donnons est celle de gens dont on doit avoir pitié, alors que l’Afrique regorge de gens exceptionnels. Il y a une sorte de complexe. C’est un carcan dont nous avons du mal à sortir.
Ne trouvez-vous pas dommage qu’un artiste africain doive d’abord passer par l’Occident pour être reconnu ?
Oui, mais nous ne sommes pas les seuls à avoir ce travers. Et il n’y a pas que les artistes à en être victimes. Ce que je trouve vraiment dommage, c’est que les Africains ne parlent pas des gens issus du continent qui font des choses extraordinaires. Regardez par exemple le Malien Cheick Diarra – ce scientifique qui travaille pour la Nasa aux Etats-Unis. Cet homme est né en Afrique ; il y a grandi avant de réussir dans aux USA. Il vient de se voir confier une mission de haut niveau par les Américains et il faut que je vienne en France pour l’apprendre. Alors que n’importe quel journal africain aurait dû en parler ! C’est un cas que l’on devrait citer dans les écoles. Et voilà que se sont les étrangers qui nous apprennent que nous avons un génie chez nous ! Cheick Anta Diop, qui parle de lui aujourd’hui ? On ne parle jamais de ce grand homme. Ils l’ont seulement fait quand il est mort. Quel intérêt y a-t-il à déifier quelqu’un après sa mort ?
Vous est-il arrivé d’enseigner la sculpture ?
Non. Je n’ai jamais eu de proposition en ce sens. Je suis un sculpteur autodidacte et j’ai peut-être été « victime » de l’importance accordée au diplôme. Certains ont pu penser que je n’étais pas capable d’enseigner ou de faire des conférences. De plus, je ne suis par sûr que l’enseignement m’aurait plu. Comment enseigner quelque chose que j’ai refusé de me faire enseigner ? Si j’avais été appelé à enseigner, peut-être aurais-je mis les pieds dans la fourmilière. J’aurai peut-être détruit tout ce qu’ils ont mis tant de temps à échafauder. Il y a eu une période où il était honteux de faire de l’art figuratif. Par contre, je reçois régulièrement des jeunes artistes. Je crois que je préfère ces démarches individuelles.
Une tournée de l’exposition est-elle prévue en Afrique ?
Non. C’est malheureux à dire, mais les contraintes imposées par une telle exposition ne peuvent pour l’instant pas être respectées sur le continent. De toute façon, il aurait fallu sélectionner des pays et je trouve injuste d’exposer dans un pays en paix et d’ignorer le voisin qui est en guerre. L’Afrique est embrasée et les pays en conflits ont d’autres préoccupations que d’accueillir une exposition. L’art ne peut se nourrir que de la paix. L’artiste peut continuer à travailler dans les situations conflictuelles, mais il ne peut pas avoir la prétention d’intéresser les gens à ce qu’il fait.
A lire :
– Ousmane Sow, le soleil en face – catalogue de l’exposition (Ed. Le P’tit jardin) ;
– Ousmane Sow, la splendeur sauvage des hommes, d’Olivier Cena (hors série Télérama) ;
– Ousmane Sow, de Jean-Loup Pivin (Revue noire).
A voir :
– Ousmane Sow, documentaire de Béatrice Soulé (qui prépare pour Canal + un autre film sur la réalisation de la bataille de Little Big Horn et l’exposition du Pont des Arts).
– Le Jardin des corps, documentaire du malgache Raymond Rajaonarivelo.///Article N° : 867