Incroyable ! Un téléfilm presque entièrement joué par des acteurs noirs (excellents) sur une problématique africaine en prime time sur la 2 ! Je rêve, ou quoi ? Je rêve et je déchante un peu
Fatou est née en France dans une famille malienne qui a réussi (le père tient un magasin bien achalandé, leur appartement est bourgeois). Elle est coiffeuse et sait ce qu’elle veut : travailler pour les grands couturiers. Côté cur, elle attend de réussir socialement pour se poser la question. Mais un cousin prétendant arrive du pays, soutenu par les tantes car il est riche et généreux. Les parents se résolvent à l’imposer « pour le bien de leur fille ». Fatou résiste à ses avances mais la famille s’organise pour célébrer leur mariage malgré elle. Séquestrée, elle sera violée une semaine durant, jusqu’à ce que sa copine Gaëlle la délivre
Ce pourrait être l’excision, c’est le mariage forcé : le thème est le choc des cultures. « En défendant une certaine image de l’Afrique, on pouvait être tenté de faire une sorte de colonialisme à l’envers ou de placer la France en modèle », indique le réalisateur. C’est pourtant bien ce qui se passe : tout est clean dans le pays d’accueil, la famille n’a pas de problèmes d’intégration, l’avenir de Fatou est assuré. On ne sent ni racisme, ni préjugés : le thème n’est pas la condition de l’immigré. Il ne s’agit pas d’être représentatif : la mère parle parfaitement français alors que les femmes maliennes venues rejoindre leur mari sont en général non-alphabétisées et de milieu rural. Donc tout baigne (ambiance happy confirmée par le style enlevé d’un montage rapide et d’une caméra épaule un peu omniprésente), si ce n’est le fait que ces gens de bonne volonté sont piégés par la tradition, alors même qu’ils se « civilisaient ».
Il est vrai que loin du pays, les traditions sont souvent exaltées plus qu’il ne faut, par souci identitaire. Le film respecte ces coutumes, témoigne d’une réelle sympathie pour la communauté africaine et les scènes du mariage comme des repas à la maison sont assez attachantes. Sauf que le drame qui se joue empêche d’y adhérer car le message est clair : modernité contre tradition. Tous les personnages agissent pour confirmer cette idée, et sont si peu dénués de contradictions qu’ils apparaissent stéréotypés. On a du mal à y croire car ce type de caractères ne dégagent finalement aucune émotion : celle-ci ne surgit que lorsqu’une part de doute, d’incertitude, de non-dit leur permet d’échapper à la carte-postale.
Hormis les hésitations de ses parents, seul le personnage de Fatou développe une ambiguïté : porter plainte signifie rompre avec sa communauté. Cette rupture la place dans un entre-deux où elle n’est plus ni africaine ni française, décalée. C’est là que le film prend sa dimension mais aussi qu’il la rate en ne la développant pas.
En distillant la certitude évidente que le mariage forcé est inadmissible (ce qui ne fait aucun doute, entendons-nous bien), il se situe d’emblée dans l’état du débat culturel en France, tant sur l’excision que sur le voile islamique : une modernité universelle s’opposant au relativisme culturel. Le traitement du film est à l’image de la contradiction que comporte ce débat : en ne jouant que cette opposition, un terme est masqué, le sujet lui-même, la femme qui combat. Ballottée entre les projets qu’ont sur elle la famille ou sa copine scandalisée, Fatou n’a plus droit à la parole alors qu’il lui faudrait pouvoir être arbitre de cet antagonisme. Car l’enjeu pour elle n’est pas de se fondre dans la modernité pour renoncer à sa part africaine. Subtilité qui aurait appelé un scénario moins univoque.
Mais le film de Daniel Vigne a le mérite de rappeler le danger auquel sont encore confrontées tant de femmes qui, acculturées, ne le sentent pas venir et que la moindre résistance peut réexpédier en Afrique. Et il rappelle que la loi protège et qu’elle prévoit des sanctions.
Scénario Chantal Renaud sur une idée originale de Daniel Vigne, coprod. France 2-Cinétévé, avec Fatou N’Diaye (Fatou), Paulin Foualem Foudouop (Bakari), Elodie Navarre (Gaëlle), Mariam Kaba (Aminata, la mère), Pascal Nzonzi (Kebe, le père), Dioucounda Koma (Sidi), Claudia Tagbo (Hawa), Laurentine Milebo (Ma Sali), Meiji U Tum’Si (Maranna), Faïza Younsi (Leila), Maïmouna Coulibaly (Maïmouna), Rosine Young (Mme Cormier), Mamaille Tati (cliente).///Article N° : 2005