Rares sont les romanciers d’Afrique francophone qui s’adonnent à l’exercice de l’essai. Ce qui n’est pas du tout le cas chez les anglophones : Wole Soyinka, Nadine Gordimer, Nuruddin Farah, Ngugi wa Thiong’o ou Chinua Achebe, pour ne citer qu’eux, passent allègrement et régulièrement de la réflexion à l’imagination. Ce dernier vient de nous offrir un petit recueil riche de trois essais (My Home Under Imperial Fire, The Empire Fights Back & Today, the Balance of Stories) précédés d’une préface très sobre. L’ouvrage est issu d’une série de conférence données à Harvard fin 1998.
Pour nous bien faire sentir l’influence de l’Europe sur les cultures africaines, Chinua Achebe n’hésite pas à explorer sa propre biographie, dévoilant une partie de l’enfance de l’artiste, les années de formation sans oublier ses relations avec ses parents, dont un père missionnaire anglican dans une société largement animiste.
A soixante-dix ans révolus, il nous rappelle combien les conversations entre ses parents et leurs amis dans la concession de la maison paternelle ont nourri son oeuvre. Mieux, combien elles lui ont donné les clefs pour s’introduire dans l’intimité de son peuple – les Igbos de l’est du Nigeria. « Je suis toujours en quête de cet instant où une vieille histoire acquiert brusquement un sens nouveau ». Son premier roman, Le Monde s’effondre, écrit à 25 ans, devenu un best-seller mondial traduit en 50 langues, est le fruit d’une grosse colère contre un autre livre, Mister Johnson de Joyce Cary, récit colonialiste au racisme plus que latent qui se passait dans son pays et qu’il avait lu au lycée.
Le second essai (The Empire Fights Back) scrute la littérature écrite sur l’Afrique par des écrivains étrangers comme Conrad, Cary, Elspeth Huxley ou Greene avant d’analyser les conditions d’émergence des premiers romanciers africains, Amos Tutuola, Cyprian Ekwensi, Camara Laye ou Mongo Beti, publiés à Londres ou à Paris dans les années 50. Il s’attarde sur la fabuleuse aventure de la collection African Writers Series lancée par Alan Hill chez Heinemann.
Enfin, le dernier essai, (Today, the Balance of Stories) s’ancre dans la période contemporaine. Il est question d’exil et de patrie, de retour au pays natal et d’écriture. Chinua Achebe se montre assez critique envers Sir Vidiadhar S. Naipaul qui ne cesse de dénigrer les civilisations non-occidentales et d’épouser le point de vue des grands de ce monde réunis à Davos ou retrouvés dans les pages du magazine américain Forbes. A preuve, cette citation de Naipaul relevée par le romancier Caryll Phillips : « Je ne prends pas en compte pas le lectorat africain, je ne crois pas qu’on puisse le prendre en considération. L’Afrique est encore une terre de brousse, pas vraiment une terre tournée vers la littérature » (The New York Times of Books, 1980).
Avec Home & Exile on comprend mieux comment l’Occident continue toujours à dépeindre l’Afrique comme une terre des ténèbres. On saisit mieux aussi la trajectoire féconde et cohérente de son auteur.
Home and Exile, de Chinua Achebe, Oxford University Press, 2000, 115 pages, £ 9.99.///Article N° : 1919