Intervention des fonds européens et des télévisions européennes dans la production des films du Sud

Table-ronde au festival de Cannes 2007

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Destinée à donner des informations et répondre aux questions sur tous les fonds et la façon dont ils aident les cinématographies du Sud, cette table ronde était organisée au festival de Cannes 2007 par le ministère français des Affaires étrangères et animée par Jacques Bidou dans le cadre du Pavillon des Cinémas du Sud. Les intervenants représentent successivement Arte, TV5, la chaîne allemande ZDF, l’Organisation Internationale de la Francophonie, le World Cinema Fund, Open Doors, Visions Sud-Est et Ibermedia. On en trouvera ci-dessous l’exacte retranscription.

I) PRESENTATION DES FONDS.
Souad Hussein, bonjour.
Bonjour. Je représente l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Je suis originaire de Djibouti, un petit pays coincé dans la corne de l’Afrique qui, malheureusement, ne produit pas de films. Cela me permet d’être ici sans parti pris. Je gère un fond d’aide à la production, le Fonds Francophone de Production Audiovisuelle du Sud. Il a à peu près 20 ans ; nous avons donc un recul par rapport à la gestion de ce mécanisme. Il a subi beaucoup de modifications et de réorientations qui lui ont permis d’être davantage à l’écoute des effets économiques dans les pays concernés. Au départ, nous avons soutenu des films dont la définition du cinéma africain était la nationalité du réalisateur. Aujourd’hui, nous avons d’autres préoccupations davantage économiques. Ce fond permet d’offrir à la cinématographie des pays du Sud, qui comprend la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique, l’Asie du Sud-Est, le Maghreb et Moyen-Orient. Nous sommes censés couvrir une très large zone géographique francophone. Nous soutenons la production de courts métrages, moyens métrages mais aussi fictions et documentaires. Nous intervenons également sur la télévision.
La francophonie est-elle une notion large ? Pourriez-vous nous citer des pays francophones qui pourraient nous surprendre ?
Oui. Tout le monde sait qu’Haïti est francophone mais peu de gens savent que Sainte Lucie et Saint-Domingue aussi.
Et le Cambodge ?
Tout à fait. Le Laos et le Vietnam de même.
Ce sont des pays où on a un jour parlé français.
Voilà ! (Rires)
Continuons avec Meinolf Zurhorst.
Bonjour. Je suis responsable du cinéma à Arte/ZDF. Je fais la même chose qu’Arte France Cinéma fait à Paris, sauf que nous n’avons pas le même budget que nos amis français. Notre premier critère est la qualité d’un projet ; nous n’avons pas de quotas. Nous investissons beaucoup dans les coproductions, généralement européennes. J’ai fait des préachats avec des pays du Sud, pour l’instant avec l’Amérique Latine. Je laisse tout ce qui est francophone à mes amis français et je m’occupe du reste du monde, ce qui est déjà beaucoup !
Vous n’avez pas de problèmes pour convaincre la direction de la chaîne d’investir dans les cinématographies du Sud ?
Cela dépend des projets. Pour l’instant, rien ne m’a été refusé.
Combien de films par an soutenez-vous ?
En général, tous confondus, il y a huit coproductions par an ainsi qu’un nombre de préachats différent chaque année (de cinq à dix environ). Il y a d’autres unités à la ZDF à Arte qui s’occupent également de la fiction pour la télévision. De temps en temps, avec la coopération d’un laboratoire pour les premiers et deuxièmes films, trois à cinq films de plus par an sont soutenus. Au total, nous pouvons compter environ quinze films par an.
Pouvez-vous nous donner un exemple de film du Sud qui vous laisse un souvenir fort ?
En ce moment, je travaille beaucoup avec l’Amérique Latine, le Mexique et le Brésil. J’ai beaucoup aimé un des films qui est passé à Berlin cette année.
Passons à Åsa Larson du Göteborg Film Festival.
Bonjour. Nous avons un fonds avec le gouvernement suédois qui soutient les projets en développement et en postproduction. Nous soutenons également l’éducation, la formation et l’instauration d’équipement technique. Nous travaillons avec les pays du Sud depuis 1998 et avons soutenu 64 projets jusqu’ici ainsi qu’une douzaine d’ateliers de formations.
Quelle est votre politique ?
Trouver un maximum de projets intéressants. Nous n’avons aucune limite en ce qui concerne les sujets. Nous cherchons surtout parmi les jeunes femmes réalisatrices ; ce n’est pas un but en soi mais nous essayons d’aider ceux qui auront le plus de difficultés à trouver un soutien.
À présent, passons la parole à Mme Bianca Taal qui représente le Hubert Bals Fund.
Bonjour. Le Hubert Bals Fund fait partie du Rotterdam Film Festival. Nous travaillons de la même manière que le Göteborg Film Fund. Nous soutenons des projets des pays du Sud, en les aidant dans le développement de leur scénario et en postproduction. Récemment, nous avons créé une nouvelle catégorie qui soutient les films dans l’étape de la production. Ces films sont des films à petit budget, en numérique. Nous avons deux séries de sélection par an. Nous y sélectionnons environ trente projets. Nous soutenons aussi la distribution dans ces pays-là pour y faire projeter les films.
Vincenzo Bugno du World Cinema Fund-Berlinale…
Bonjour. Je travaille pour le World Cinema Fund pour l’Allemagne et pour l’Italie. Nous avons commencé notre activité en 2004. Nous soutenons la production en Amérique Latine, en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie Centrale. À partir d’août 2007, la région Caucasienne et l’Asie du Sud-Est seront ajoutés à cette liste. Depuis 2004, nous avons soutenu environ trente projets, dont certains projets de distribution en Allemagne. Nous avons reçu 650 dossiers de candidature sur deux ans : un bon nombre étant donné que nous ne travaillons que sur les scénarios. Nous avons eu beaucoup de films soutenus financièrement par le World Cinema Fund, en compétition dans plusieurs festivals internationaux. Par exemple, El otro, un film argentin de Julio Chavez, qui était Lauréat au Festival international du film de Berlin. À Cannes, nous avons aussi soutenu le film mexicain de Carlos Reygadas, Batalla en el cielo.
Je m’occupe aussi d’un autre projet, Open Doors. Ce n’est pas vraiment un fonds. Le but est de sélectionner douze projets pour un atelier de coproduction à Locarno. Nous nous concentrons sur une géographie différente tous les ans. L’année dernière, nous avons travaillé sur l’Asie du Sud-Est et cette année, sur les pays du Machreck (l’Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie, l’Iraq et l’Égypte). Nous sommes partenaire avec le Swiss Development Agency : nous disposons de 40 000 euros pour la production de deux projets que nous aurons choisis. Même chose avec le Centre International de la Cinématographie, avec une bourse de 10 000 euros.
Suzanne Laverdière de TV5…
Bonjour. Je suis à la direction des programmes de TV5 Monde. Je suis ici pour vous présenter ce que TV5 fait mais je suis aussi en attente de commentaires de votre part. Jusqu’ici, TV5 diffuse du cinéma sur une base très régulière. Nous présentons des films francophones. Nous nous sommes aperçus que le rôle que l’on jouait n’était pas maximisé et que très souvent, les films que nous diffusons à l’international ne sont pas contextualisés. Les gestes que l’on pose pour faire connaître des cinématographies, des auteurs, des films, tombent à plat. On m’a donc confié la mission de définir une vraie politique cinéma pour TV5, pour faire en sorte que la chaîne soit une vitrine culturelle mais également qu’elle permette la commercialisation des films en faisant en sorte de faire connaître des scénaristes, des réalisateurs, des producteurs et des acteurs. Jusqu’ici, TV5 a fait beaucoup de préachats et d’achats de films destinés à la diffusion mondiale, pour la plupart. Mais il arrive qu’on décide quand même de s’impliquer dans un projet pour permettre une diffusion continentale. Par exemple, une diffusion sur l’Europe uniquement ou sur l’Amérique Latine. Tous les projets dont nous faisons l’acquisition doivent être en français puisque le mandat de TV5 est de faire la promotion de la langue française à travers le monde.
Je passe la parole à Johannes Gehringer de l’Union Européenne, un fond pour les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
Bonjour. Je travaille à la Commission Européenne. Je m’occupe des fonds pour les pays subsahariens. La commission apporte son soutien depuis vingt ans. À présent, avec ses partenaires, elle a décidé d’un nouveau programme qui est aujourd’hui géré par la secrétaire du groupe ACP. Nous avons des fonds pour un montant de 6,5 millions d’euros et nous organiserons sûrement des réunions sur les deux prochaines années pour connaître les propositions. Nous soutenons la production de films pour le cinéma et la télévision, la distribution et la promotion ainsi que la formation. Nous cherchons à soutenir les industries audiovisuelles locales dans les pays ACP et à aider la communication entre les pays pour mieux distribuer. Notre principal objectif est de développer les entreprises. Nous visons à mieux partager les fonds dans les pays ACP, non pas uniquement dans les pays francophones comme nous le faisions auparavant.
David Melo de Ibermedia
Bonjour. Ce fond a été formé par dix-sept pays, dont six sont présents ici. Les dix-sept pays sont tous d’Amérique Latine, à part le Portugal et l’Espagne. Chaque pays donne de l’argent au fonds tous les ans, ce qui nous permet de distribuer tous les ans cinq millions de dollars. Nous fêtons notre dixième anniversaire cette année. Nous avons soutenu la coproduction de 248 projets, le développement de 250 projets, la distribution de 200 projets et la création de 35 programmes de formation. Nous avons un concours au mois de février et de juin : nous cherchons des projets coproduits par deux pays d’Amérique Latine et auquel peut participer à 30 % tout autre pays du monde. La majorité de nos films sont sortis dans le pays de leur plus grand coproducteur mais nous avons des problèmes pour les faire projeter dans les autres pays. Nous visons donc à renforcer la distribution en Amérique Latine et sur d’autres marchés dans le monde. Je vous invite à venir assister aux marchés des coproductions à Guadalajara en mars, au festival de film de Cartagena, à Lima en août ou en juillet et à La Havane en novembre ou décembre.
Walter Ruggle du fonds suisse Visions Sud-Est…
Bonjour. Je suis responsable de Trigon Film, une association qui distribue les films du Sud et de l’Est depuis vingt ans. Il y a deux ans, avec le festival de Fribourg et celui de Nyons, nous avons fondé ce fond Visions Sud-Est qui soutient des documentaires et des films de fiction dans la production et postproduction. Nous avons soutenu une dizaine de films par an. L’idée de base est bien sûr la qualité ; nous avons entre 80 et 100 demandes par an. Nous visons les films destinés au grand écran. Nous recherchons aussi des thématiques intéressantes pour l’échange dans le monde car nous pensons que la situation du monde peut s’améliorer avec une meilleure connaissance de celui-ci.
Ginette De Matha du Fonds Sud Cinéma…
Bonjour. Ce fond a été créé il y a 22 ans. Il est abondé par le ministère de la Culture via le CNC et par le ministère des Affaires étrangères pour un montant d’environ 2,4 millions d’euros par an. Cela permet d’aider la production d’environ 30 à 40 films qui sont sélectionnés par une commission de professionnels indépendants dans lequel siègent aussi bien des professionnels du Nord que du Sud. La qualité prime ; les projets viennent de tous les continents. Notre conception du Sud est extrêmement extensive. Ces projets sont soumis à l’état de scénario et sont sélectionnés par la suite. Il y a aussi une petite partie du fonds affectée à de l’aide à la postproduction. Voici quelques exemples de films à Cannes auquels le fond a participé : Ezra, Caramel, El baño del papa…L’année dernière, il y avait Summer Palace, Voiture de luxe, Le hamac paraguayen…
Michel Reilhac pour Arte France Cinéma…
Bonjour. Je dirige le cinéma pour la partie française d’Arte. Nous investissons dans environ vingt films de fiction par an pour une moyenne d’environ 320 000 à 330 000 euros par film. Sur ces 20 films coproduits, une dizaine représente des coproductions étrangères, qui peuvent aussi bien être africaines qu’asiatiques ou sud-américaines. Les critères de choix des films ne sont pas absolument fixés ; nous nous intéressons aux films qui montrent une réelle démarche d’auteur et qui sont en cohérence avec la culture d’origine du réalisateur. Les critères objectifs sont les suivants : en tant qu’auteur étranger, vous devez passer par un coproducteur français ; le scénario doit être une version finale. Nous n’avons plus de date limite pour le dépôt des projets.
Christian Tison, responsable cinéma au ministère des Affaires étrangères…
Bonjour. Le fond Images Afrique est un outil spécialement destiné à soutenir les films d’Afrique subsaharienne. C’est une aide directe à la production d’environ 80 à 90 000 euros et nous avons la possibilité de soutenir une quinzaine de longs-métrages par an. La commission est constituée de professionnels du Nord et du Sud qui déterminent les projets choisis. Nous lançons cette année un plan d’appui à la production de courts-métrages en Afrique Subsaharienne. Arte est d’ailleurs partenaire.
II) QUESTIONS.
Il apparaît que la condition inévitable pour pouvoir soumettre sa candidature à un fonds est d’avoir un coproducteur. Avez-vous des conseils avant de se rendre à un festival de films ? Avez-vous une liste de coproducteurs potentiels que l’on pourrait approcher avant d’envoyer notre candidature?
Vincenzo Bugno : Je répondrai à cette question du point de vue du World Cinema Fund. Vous pouvez nous soumettre votre projet avec un producteur originaire du pays du projet ou avec un partenaire allemand. Si vous n’avez pas de partenaire allemand, nous pouvons vous aider à en trouver un. Au WCF, nous travaillons avec des producteurs allemands mais notre budget doit être dépensé à l’étranger.
Et pour l’Union européenne?
Johannes Gehringer : Le bénéficiaire de nos subventions peut être producteur dans un pays ACP autant qu’européen. Nous ne demandons pas à ce qu’il y ait absolument un coproducteur européen et nous encourageons les coproductions entre pays du Sud.
Jacques Bidou : Chaque fonds a une politique différente. Très souvent, c’est de l’argent public et il est compliqué de le voir se faire gérer loin. Effectivement, cela implique la contradiction d’obliger à travailler avec un producteur du pays qui émet le fond. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. En tant que producteur, je trouve votre question complexe. La coproduction est par définition le cauchemar de tout producteur. Trouver des bons producteurs, être en situation de confiance et d’harmonie avec eux, est toujours complexe. Le problème est surtout un problème de réseau. Les formations de producteurs au niveau européen et international, qui ne sont pas extrêmement prenantes (peut-être trois semaines par an) sont très intéressantes pour constituer des réseaux.
Michel Reilhac : Recommander un producteur est une très grosse responsabilité. Une coproduction est un mariage et nous ne voulons pas porter la responsabilité en cas de désaccord. Cela arrive très souvent. Je pense que le choix du coproducteur doit être pris en prenant en compte la facilité de communication avec la personne, la similitude dans les envies et les projets…Votre propre réseau vous aidera énormément. Malheureusement, il est déjà arrivé que deux coproducteurs ne s’entendent pas, qu’ils arrêtent de se parler et que nous soyons obligés de servir d’intermédiaire. Souvent, ces tensions détériorent même la relation entre un directeur et son équipe. Chez Arte, nous sommes donc réticents à donner des noms de coproducteurs que nous approuvons car cela impliquerait que ceux qui ne sont pas sur la liste sont de mauvais coproducteurs. Ce serait faux car il faut raisonner au cas-par-cas. Vous pouvez obtenir des listes de coproducteurs aux festivals mais le mieux est de trouver quelqu’un dans votre propre réseau.
Walter Ruggle : Faites attention si vous signez des contrats. Nous connaissons quelqu’un qui avait obtenu de l’argent d’un fonds qui exigeait d’avoir un coproducteur et le coproducteur a empoché plus d’argent que le pays du fonds. En Amérique Latine, par exemple, certains ne peuvent pas faire autrement car c’est impossible de vendre son film soi-même. Soyez vigilants par rapport à ce que vous signez quand vous travaillez en tant que coproducteur avec un fonds.
Y a-t-il un filtre qui peut rassurer les gens à aller dans la production et s’investir autant qu’il le faut ?
Michel Reilhac : À Arte, nous avons choisi de ne pas recommander de producteurs puisque, déontologiquement, nous considérons que nous devons travailler avec tout le monde et que nous pouvons nous être trompés sur un film. Par contre, lorsqu’un producteur étranger vient nous voir avec une liste de noms et nous demande de commenter les possibilités, nous entrons dans ces conversations en conseillant certaines personnes qui seront peut-être plus compatibles avec son projet. Nous ne nous autorisons pas à faire des jugements de valeur mais des opportunités qui nous paraissent pouvoir être optimisées auprès des producteurs.
Johannes Gehringer : Pour nous, c’est important que le projet soit bien dirigé. Nous avons eu quelques problèmes avec des projets. C’est arrivé que la maison de production fasse faillite ou que la somme initialement prévue pour le projet, égale à la subvention, soit dépassée. Dans une coproduction, quand nous donnons plus de 100 000 euros, le bénéficiaire ne peut pas toujours récupérer la liste de toutes les transactions faites par les coproducteurs. Nous avons créé un mécanisme pour que les professionnels de l’industrie cinématographique aient accès à des conseils en matière de droits. Le but est de diminuer le nombre de litiges.
Bonjour, je suis un cinéaste originaire du sud de l’Inde. Si je présente un projet à un fonds et que je dépasse le budget qu’ils m’ont donné, partageront-ils avec d’autres fonds ou refuseront-ils mon projet ? Puis-je soumettre ma candidature à plusieurs fonds en même temps ?
Jacques Bidou : À peu près tous les fonds représentés ici sont des fonds sélectifs, qui n’ont pas d’automaticité. Les commissions choisissent les projets. Les critères qui ont été évoqués sont la qualité, la lisibilité, et l’identité. Dans votre question, il y en a une autre : ces fonds sont très sollicités et encombrés. Les fonds ont-ils décidé de trouver plus d’argent, de partager ou ont-ils une autre solution ?
Bianca Taal : Il arrive qu’avec le Hubert Bals Fund, nous partagions un projet avec un autre fonds. C’est déjà arrivé avec le Göteborg Fund. Je pense au contraire que le nombre élevé de candidatures est un bon signe puisqu’il reflète la hausse de production de films du Sud. En ce qui concerne l’argent des fonds, nous cherchons bien sûr à en proposer plus mais il faut trouver cet argent et la plupart des fonds ont des problèmes avec leur ministère.
David Melo : À Ibermedia, nous avons des règles en ce qui concerne la participation des équipes artistiques et techniques à un film. Souvent, nous ne pouvons pas financer des projets entièrement donc nous sommes ouverts au partenariat entre les fonds.
Souad Hussein : Au niveau du Fonds francophone audiovisuel du Sud, nous sommes aussi arrivés à un tournant. Nous avons constaté la baisse budgétaire. Nous avons toujours la même zone géographique de 37 pays et nous n’y toucherons pas. La demande a aussi augmenté : nous avions 150 dossiers par an en 1999 mais 300 demandes en 2007. Tout cela nous amène à réviser le mode de fonctionnement et les critères du fond. Nous avons plusieurs pistes : séparer le fonds télévision du fonds cinéma ou prendre plus de risques, ce qui implique de donner plus.
Bonjour, je m’appelle Isabelle Gamiette. Je participe à l’organisation du festival FEMI (Festival international Femme et Cinéma) en Guadeloupe. La Guadeloupe est un département français, en même temps situé au cœur de la Caraïbe. Pour la Grande Caraïbe, quels sont les dispositifs ? Dans quels fonds rentrent-ils ?
Ginette De Matha : Les fonds représentés ici, y compris le Fonds Sud Cinéma, s’adressent à des cinéastes de pays étrangers du Sud. Dans votre cas, le système d’aide qui peut s’appliquer à des cinéastes français résidant en Guadeloupe ou ailleurs sur le territoire français, est le système d’aide français. Le conseil que je donnerais à un cinéaste qui cherche à financer son film, c’est le principe du tour de table : il faut s’adresser aux banques, aux fonds ou autres institutions. À moins d’avoir un film à très petit budget ou un généreux donateur privé, vous ne pourrez pas faire votre film avec une source unique de financement. Il faut prendre son courage à deux mains et faire le tour de tous les fonds.
Jacques Bidou : Cependant, les films peuvent se faire avec très peu d’argent aujourd’hui. Il faut penser à comment défendre la création avec moins d’argent. De même, comment protéger les films contre l’argent ? En ce moment, je produis un film palestinien avec huit pays du Sud coproducteurs, pour 850 000 euros et deux ans et demi de travail. Beaucoup de gens ici soutiennent ce type d’initiative. Telle est la situation actuelle : une accumulation de travail de tour de table, avec de moins en moins d’argent. Restent quelques survivants de la télévision qui continuent à défendre ces cinématographies ; il n’y a pas toujours beaucoup de possibilités. Le tour de table est donc de plus en plus encombré ; par de très grands cinéastes qui plus est. Voyez Abderrahmane Sissako, membre du jury cannois, petit cinéaste mauritanien-malien : même les cinéastes comme lui ont les mêmes difficultés que les autres à trouver le moyen de faire des films engagés, importants, de ces cinématographies.
Abderrahmane Sissako : Je trouve anormal que les fonds baissent. La question est la suivante : comment faire pour qu’ils augmentent ? Il y a une envie de faire de plus en plus de films ; davantage de gens viennent au cinéma. Comment toutes ces institutions qui défendent ces cinématographies comptent-elles agir ? Je pense qu’il faut les aider. Il y a un manque de mobilisation dans le monde du cinéma. D’ailleurs, le cinéma est souvent un travail solitaire ; il faut se battre ensemble.
Christian Tison : Je ne suis pas persuadé que l’argent des fonds baisse. Le véritable problème semble être l’encombrement des demandes et surtout le retrait de l’argent du marché.
Abderrahmane Sissako : Ce n’est pas le chiffre qui baisse, mais à partir du moment où les demandes augmentent, nous pouvons considérer qu’il y a moins d’argent.
Vincenzo Bugno : Au World Cinema Fund, nous avons mis en place une stratégie pour le partage des fonds. Notre budget n’est pas très élevé donc nous avons décidé de soutenir moins de projets mais avec plus d’argent.
Bianca Taal : À l’Hubert Bals Fund, nous raisonnons différemment. Nous essayons de soutenir le maximum de projets. Cela implique que la contribution au projet diminue mais nous pensons que le soutien au fonds peut servir de catalyseur pour que d’autres offrent un financement.
Pour chaque fonds, quelle est la contrepartie du financement ?
Jacques Bidou : Pour les diffuseurs, la contrepartie est bien évidemment le film et l’antenne qui rapportent à leur tour.
Vincenzo Bugno : En ce qui nous concerne, nous ne demandons rien. Les films sont libres ; nous ne possédons pas les droits des films que nous avons soutenus. Nous n’imposons pas la participation au programme Bernilane. Si le film a énormément de succès dans l’avenir, nous récupérerons néanmoins une petite part de l’argent récolté.
Walter Ruggle : En ce qui nous concerne, nous ne demandons rien ; nous proposons juste la distribution en Suisse au projet que nous soutenons.
David Melo : Chez Ibermedia, nous avons quatre modalités : la coproduction est un prêt qu’il faut rembourser si le film est un succès au point d’avoir récolté la même somme que le prêt. Jusqu’ici, un seul film a dû redonner l’argent au fonds. En développement, l’argent est un prêt ; si le film arrive à être produit, le prêt doit être remboursé. S’il ne l’est pas, il faut rembourser 25 % du prêt. Les formations ne sont pas remboursables et en distribution, cela fonctionne comme pour la production.
Johannes Gehringer : L’Union Européenne réclame un justificatif des dépenses. Nous demandons aussi des droits de projection non-commerciaux afin de montrer librement les films dans le cadre d’événements organisés par les bureaux locaux de l’Union Européenne dans le monde. Cependant, il est arrivé qu’un producteur nous demande de ne pas montrer son film au cours d’un événement car il venait de sortir et il ne voulait pas que nous intervenions dans sa stratégie de distribution. Nous avons bien évidemment respecté sa demande.
Åsa Larson : Nous demandons à ce que le film passe en avant-première en Scandinavie et que nous soyons en possession des droits pour la Scandinavie pendant cinq ans. Toutefois, si le producteur trouve un autre distributeur, nous le laissons libre de ses actions. Dernièrement, nous demandons au producteur de venir nous rendre visite à Göteborg avec son film !
Bianca Taal : Quand nous apportons notre soutien à postproduction, généralement sous la forme de 25 000 euros, nous demandons les droits pour la Belgique et les Pays-Bas en retour. Notre but n’est pas de nous faire de l’argent sur le dos des producteurs. Si jamais nous faisons du bénéfice grâce à un film, le producteur recevra immédiatement de l’argent. Nous aimons aussi être mentionnés dans le générique mais ce n’est pas obligatoire ! (Rires)
Ginette De Matha : Pour le Fonds Sud Cinéma, nous souhaitons pouvoir présenter les films dans le circuit culturel non-commercial français et étranger, après deux ans d’exploitation commerciale, pendant une période de sept ans. Nous avons aussi des obligations d’investissement en France mais je vous renvoie au règlement du Fonds.
Souad Hussein : Pour l’OIF, nous estimons que trois ans après la vie commerciale du film, nous pouvons en disposer à des fins non-commerciales pour le promouvoir à travers les manifestations que nous organisons.
Joëlle Levie: Je suis directrice générale du cinéma et de la télévision à la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles), un organisme de financement de films longs métrages, courts métrages et documentaires. Nous soutenons des coproductions, notamment impliquant les pays du Sud au même titre que deux ou trois projets d’Allemagne. Il y a des dépenses obligatoires au Québec. Pour accéder au fonds, il faut que le producteur ait un intérêt chiffré d’un distributeur pour une distribution au Québec. Il faut qu’à peu près 75% des dépenses québécoises soient dépensées au Québec.
Je m’adresse aux diffuseurs : avez-vous l’impression qu’il est possible aujourd’hui de réengager des combats pour ouvrir des fenêtres sur ces cinématographies sur nos antennes ? S’il y avait davantage de possibilités de distribution et de vision, cela aiderait au financement. Avez-vous déjà engagé ce débat parfois ?
Meilnof Zurhorst : Oui, nous avons ce débat constamment avec les chefs de la programmation. Nous arrivons toujours à montrer les films que nous voulons montrer sur Arte. La télévision allemande diffuse rarement des films africains ; au cinéma, les rares films africains sont du sud de l’Afrique. Le dernier était Tsotsi. L’Allemagne est un marché assez fermé pour les films étrangers. Tous les ans, les cinémas diffusent au maximum trois films sud-américains mais les droits ne sont pas achetés par la télévision. Nous avons un système de chaînes de télévision régionales. Depuis cette année, nous avons trois chaînes et seulement deux ont le budget pour acheter ces films.
Vous sentez-vous sous pression en ce qui concerne la barrière des langues ? Y a-t-il des problèmes pour le sous-titrage et le doublage ?
Meinolf Zurhorst : Non, car en Allemagne, tous les films sont doublés. Toutefois, nous tentons de revenir au sous-titrage car nous manquons d’argent. Le marché du film allemand est peut-être le plus fermé et le plus complexe. Arte ZDF cherche à montrer le maximum de ces films étrangers en Allemagne.
Michel Reilhac : Malheureusement, les films d’auteur sont repoussés hors du marché. Nous devons essayer de trouver d’autres moyens de diffusion : le multimédia ou internet. Il y a un an, Arte a créé son propre département VOD (Vidéo on Demand) qui n’a pas de poids économique pour l’instant mais qui représente l’avenir. Nous n’échapperons pas à cette transformation. Je travaille actuellement sur la question. Cependant, d’un point de vue purement économique, je ne me fais pas trop d’illusions. Nous sommes dans une nouvelle ère. Les prochaines cinq années vont être difficiles.
Le diffuseur devra endosser un rôle de promoteur pour ces films d’auteur.
Michel Reilhac : Oui, mais nous savons qu’il y a de la demande pour ces films. Comment pouvons-nous fédérer ces petits marchés ? C’est un de nos défis. Par exemple, plusieurs entreprises réfléchissent en ce moment à la façon dont on pourrait créer des sites web qui permettraient à n’importe quel individu dans le monde de visionner des films d’auteur. Le problème reste la barrière de la langue.
Suzanne Lavardière : Michel vient de décrire la réalité de TV5 actuellement. La plus grande partie des téléspectateurs de TV5 ne parle pas français ; ils sont francophiles. Nous diffusons à travers le monde et toute notre programmation est présentée en français avec douze langues de sous-titrage pour rejoindre les publics locaux. Cette question de la programmation n’est plus une question du cinéma africain, belge ou suisse, elle se pose aussi pour le cinéma français. Actuellement, nous aimerions créer une complémentarité entre l’antenne et d’autres supports de diffusion pour rejoindre, par exemple, la diaspora francophone autour du monde. La place du sous-titrage et du doublage est importante pour notre antenne. Nous avons une préoccupation du marché. Les opérateurs qui transportent le signal de TV5 à travers le monde, le câble ou le satellite, nous obligent à avoir une certaine pénétration sur le marché pour maintenir le signal. En travaillant avec eux, avec cette programmation diversifiée et le sous-titrage, toutes ces préoccupations font en sorte que des développements sont en cours. Nous nous sommes associés avec Joost début juin avec certains types de programmes produits par TV5. Notre objectif est de faire en sorte que sur une telle plateforme, on puisse aller vers d’autres types de programmes en partenariat avec les producteurs et les distributeurs.
Les fonds peuvent-ils et veulent-ils financer les documentaires ?
Bianca Taal : Nous nous intéressons essentiellement aux longs-métrages de fiction et aux documentaires destinés au grand écran. Aux Pays-Bas, il existe une autre organisation, le Jan Vrijman Fund, qui fonctionne sur le modèle du Hubert Bals Fund mais qui est rattaché au festival de documentaires à Amsterdam.
Johannes Gehringer : L’Union Européenne continuera à soutenir les documentaires destinés au petit et au grand écran. Dans l’avenir, nous soutiendrons aussi les documentaires sous forme de séries pour la télévision. Ils doivent aussi être de la même longueur qu’un long-métrage.
David Melo : Pour Ibermedia, une partie de notre fonds est consacrée au développement et à la coproduction des documentaires.
Michel Reilhac : Nous cofinançons trois documentaires longs-métrages par an chez Arte pour le cinéma. Chez Arte Allemagne aussi.
Joëlle Levie : À la SODEC, nous finançons du documentaire : documentaires télé et longs métrages. Nous gérons une quarantaine de documentaires par an, dont à peu près quatre longs-métrages. L’année dernière, nous avons ouvert notre programme d’aide à la distribution pour soutenir celle-ci sur les nouvelles plates-formes. Curieusement, nous n’avons reçu aucune demande.
Christian Tison : Le Fonds Sud Cinéma soutient également le long-métrage documentaire pour le cinéma.
Walter Ruggle : À chaque sélection, nous soutenons au moins un documentaire. Trigon Films a été créé en 1986. C’est aujourd’hui un fonds qui distribue des films d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. Au jour d’aujourd’hui, nous avons une collection de 250 films qui sont projetés en Suisse, en Autriche et en Allemagne. Notre problème est que les films du Sud et de l’Est ne sont pas soutenus dans leur distribution s’ils ne sont pas des coproductions européennes. Ils sont donc en compétition avec le cinéma européen ou suisse qui est soutenu dans sa distribution et dans son exportation. Notre défi est de préserver des niches pour tous ces films.
Sanvi Panou : Je suis surpris de constater l’absence des diffuseurs français car comme vous savez, le cinéma du Sud écrit, produit et réalise à 90 % en langue française. Peu de producteurs font des films sans télévision. En France, nous nous trouvons depuis longtemps dans une impasse où l’échelle publique occulte complètement cette diversité. Je sais que cette question ne s’adresse pas nécessairement à ces intervenants, mais une chose est sûre : la télévision publique française doit rencontrer les cinéastes du Sud pour qu’il y ait une véritable représentation de notre cinématographie dans nos salles. Nous avons la chance d’avoir Images d’Ailleurs qui diffuse quinze films du Sud par semaine mais c’est un acte symbolique. Arte consacre à peu près dix films à l’étranger : je trouve ces diffusions symboliques de la nécessité d’impliquer les télévisions dans nos productions. On nous dit qu’il faut avoir un outil partenariat, mais cet outil réduit le cinéma du Sud à se retrouver dans des couloirs isolés. Depuis dix ans, aucun grand prix du Fespaco n’a été diffusé, ni en salle, ni à la télévision. C’est scandaleux. Il faut que les diffuseurs soient plus présents pour que cette diversité soit réellement une réalité. En tant que représentants de la Guilde des Réalisateurs et des Producteurs, nous allons continuer cette action pour que cette diversité soit plus représentative.
Souad Hussein : Je suis tout à fait d’accord. Il est grand temps que les télévisions françaises se mettent à côté des cinémas du Sud, notamment du cinéma africain, car il y a une histoire et un partage. Il y a des populations qui évoluent et qui voyagent, qui parlent cette langue et qui y sont attachés. Il faut absolument valoriser ce lien historique. Aujourd’hui, on nous parle de diversité culturelle ; la diversité culturelle, ce n’est pas uniquement le regard entre l’intérieur et l’extérieur, ça se passe aussi au niveau de l’intérieur. La France doit se regarder avec des yeux différents et elle doit refléter les attentes des téléspectateurs français qui sont issus de beaucoup de pays d’Afrique. À l’OIF, nous avons aussi ces interrogations. Nous nous sommes demandés si les télévisions devaient être parmi le tour de table des décideurs et notamment de la commission de sélection. Nous pensons qu’Arte, un des partenaires du cinéma africain, devrait être aussi membre de notre commission. Il y a un vrai besoin de synergie. Beaucoup d’énergie est dépensée pour des projets qui, finalement, ne bénéficieront pas des moyens suffisants pour exister. Nous sommes en train de nous pencher sur la question et nous vous proposerons quelque chose de crédible dans les mois à venir.
Jacques Bidou : Je suis étonné de votre étonnement ! Les chaînes de télévision publiques françaises sont très occupées à Cannes, à part Arte qui a trouvé le temps de se joindre à nous. Je rajouterai aussi que vos remarques concernent toutes les cinématographies, pas seulement le cinéma africain. Nous pouvons même parler du cinéma indépendant en général.
Un mot de la fin ?
Ginette De Matha : Je vous remercie tous très chaleureusement d’être venu et d’avoir donné votre avis sur ce sujet très important. Nous avons oublié de vous dire que lorsque nous lancerons ce fonds d’aide au court-métrage en Afrique, il sera géré par le Festival des trois continents à Nantes.

///Article N° : 5970

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