Jacaranda de Gaël Faye

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Avec ce roman-fresque, Gaël Faye occupe encore une fois une place d’honneur dans l’espace littéraire français et francophone. Retour sur ce succès littéraire de la rentrée 2024, publié chez Grasset et en lice pour le prix Renaudot et le prix Goncourt.

Jacaranda est à inscrire dans la veine des romans de formation. On y suit trois jeunes : Milan, Stella et Claude, qui grandissent au fil des pages et apprennent à jeter un regard nuancé sur le monde qui les entoure. Milan, le personnage central, nait en France de père français et de mère rwandaise mais d’elle, il ne connaît guère les origines et le parcours tant elle a embrassé la culture hôte et refuse de partager ses souvenirs africains. Le garçon grandit amputé d’une partie de ce qui le constitue jusqu’à ce qu’arrive 1994, l’horreur du génocide des Tutsi, minorité rwandaise, et que Claude débarque dans son quotidien. Claude est un enfant mutique, blessé, rescapé de l’horreur. Les deux s’apprivoisent sans comprendre qui ils sont l’un pour l’autre.

La nuit, il continuait de pleurer dans son sommeil, je m’allongeais auprès de lui et cela avait le don de le calmer. Un jour, au dîner, il avait finalement goûté à la crème Danette. Ses yeux s’étaient écarquillés de délice et nous avons tous ri quand j’ai dit « miam » et qu’il a levé un pouce en l’air (p.34).

Puis l’enfant rwandais repart dans son pays aussi vite qu’il était arrivé. Quelques années après, Milan s’envole pour Kigali où il rencontre sa grand-mère et retrouve Claude qui devient à son tour le guide d’une ville nouvelle et d’une généalogie à s’approprier. A ce moment nait Stella, bébé d’une femme qui a perdu mari et enfants durant les mois terribles de 1994 et qui tente de se reconstruire. Ainsi s’amorce la narration et le roman suit les trois personnages, Milan, Claude et Stella, alors qu’ils grandissent, se séparent, se retrouvent, forment progressivement une famille choisie.

Ainsi fait, Jacaranda est également un roman historique qui, en suivant ces trois actants en quête d’identité, restitue l’Histoire du pays aux mille collines et du génocide. Les témoignages des survivants ponctuent la narration et strient la vitalité des autres épisodes. Le texte permet de faire entendre les voix enfouies dans les traumatismes et le temps qui passe, de sorte à approcher l’horreur absolue. Alors, le livre remplit parfaitement ce que le survivant de la Shoah et romancier Aharon Appelfeld écrivait dans son livre recension de conférences passées, l’Héritage nu (2006) :

Qui peut racheter les peurs, les douleurs, les tortures, et les croyances cachées des ténèbres où elles sont ? Qui les fera surgir de l’obscurité et leur donnera un peu de chaleur et d’éclat, sinon l’art ? Qui prendra l’immense masse que chacun appelle simplement l’ « horreur effroyable » et la brisera  en ces minuscules et précieuses particules ? 

On mesure avec Jacaranda ce que la littérature peut permettre de transmettre à l’Histoire : un témoignage et un objet esthétique en quête du Beau. En cela Faye est talentueux, sait manier les mots, alterner les phrases courtes et les propositions plus longues, aller d’un personnage à l’autre en conservant toujours ténu le fil qui les relie. Les dialogues abondent. C’est un roman situé du côté de la vie, des personnages, de leur caractère, de leur évolution. Un roman positif. En effet, comme l’énonce l’un d’entre euxs, « l’indicible, ce n’est pas la violence du génocide, c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout » (p.135). Jacaranda est la force de vie qui donne à lire cet indicible. Milan, en récupérant l’héritage rwandais que sa mère ne lui avait volontairement pas transmis, parvient à devenir un homme, tout comme Claude qui dompte finalement ses fantômes. Quant à Stella, inscrite dans une fratrie dévastée, elle symbolise la résilience, non sans difficultés, de tout son peuple.

Finalement, ce texte s’inscrit dans un cycle et une lignée propres à l’auteur. Un cycle d’abord, parce que ce second opus fait écho au premier, Petit pays, ( avec le personnage d’Eusébie, déjà  présente dans le premier roman) . Ensuite, Jacaranda semble faire écho à l’album Mauve Jacaranda de l’artiste, particulièrement à la chanson « Butare » qui pourrait être interprétée par Milan tant la narration et ces couplets s’abreuvent au même propos et campent la même ambiance. Pour ce qui est de la lignée, ce jacaranda romanesque est également celui de Beata Umubyeyi Mairesse dans Tous tes enfants dispersés, l’arbre qui protège le foyer et dont la coupe symbolise la disparition de l’enfance, ainsi que la renaissance. Ces deux écrivains, si proches par leur écriture poétique à mots sous-pesés, permettent de redynamiser la scène littéraire francophone et se font passeurs d’une Histoire traumatique avec pudeur et génie.

Il est certain que le roman Jacaranda poursuivra sa trajectoire de succès littéraire et qu’il continuera de recevoir l’accueil positif qu’il mérite.

Emmanuelle Eymard Traoré

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Un commentaire

  1. En lisant cet article, même sans lire Jacaranda, on est déjà plongé au coeur du roman. Faye est un genie de la plume !!!!

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