J’ai pas cherché… ? de Soraya Thomas (2007)

Une première chorégraphie originale inspirée du texte Jaz de Koffi Kwahulé.

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Avec J’ai pas cherché, Soraya Thomas nous plonge dans un univers intemporel et épuré où seule une vingtaine de néons verticaux en fond de scène et le balancement d’un micro au centre donnent le relief à un décor au service d’une chorégraphie qui tente à la fois de questionner les rapports humains d’aujourd’hui tout en proposant un regard sur la violence des relations homme-femme depuis nos origines.

« Avec cette pièce je veux dire la laideur, je veux la danser pour qu’elle puisse devenir beauté.
Le corps, siège de nos émotions, se fond dans un paysage musical
en tension pour être déstabilisé et être malmené. »
Soraya Thomas

Cinématographique et musicale, cette mise en scène, incarnée par des interprètes de qualité, interroge le viol dans ce qu’il a de plus dégradant pour la femme : la culpabilité. Et cela, sans accuser frontalement l’homme, montré, ici, depuis la folie perverse de celui qui bascule soudainement dans une violence animale, barbare sans retenue. Il n’y a pas de jugement moral, le spectateur est face à une situation interpersonnelle dont il sera le seul juge : A-t-elle cherché ? A-t-elle provoqué ? Y a-t-il manipulation ? L’homme est-il conscient de cette violence originelle qui ne demande qu’à resurgir ? Autant de questions, qui reviennent indéfiniment dès qu’on s’interroge sur « le viol », dont Soraya Thomas et son équipe artistique se sont emparés avec justesse.
I didn’t mean to… Ce n’était pas mon intention…
Au cœur de cette proposition, un leitmotiv déstabilisant : I didn’t mean to… qui revient, samplé, scandé, amplifié tout au long du spectacle. De quelle intention s’agit-il ? L’intention provocante de la femme ou celle désavouée du violeur ?
Perchée sur de hauts talons aiguilles et costumée d’un bustier noir transparent laissant apercevoir ses dessous, on pourrait d’emblée l’accuser de provocation. Quant à lui, cheveux longs, piercing… il n’a pas l’air d’un saint… Dans cette stratégie des clichés voici deux figures qui commencent par se découvrir avec romantisme mais rapidement le flirt vire à la rixe, les corps qui se portaient à l’instant dans un tourbillon de légèreté et de sensualité deviennent lourds, se heurtent, se poussent, se bousculent sans toutefois embarquer le public dans l’insupportable, et c’est là le paradoxe et la qualité de cette mise en scène : réussir à témoigner de la rudesse du viol grâce à la beauté des corps même brutalisés. Une préoccupation qui hante le travail de Soraya Thomas :

Depuis toujours, la beauté esthétique est un questionnement dans ma propre recherche chorégraphique. En effet qu’est-ce qui est beau sur scène, pourquoi le devient-il, et pour qui l’est-il ? La violence peut-elle devenir esthétique ? À quel moment et comment cette même beauté devient laideur ? Est-il possible de rendre à la laideur sa part de beauté ? C’est dans ce questionnement que toute cette pièce s’est construite.

Le paysage sonore créé en direct par le sample des bruits des corps, et de la beat boxe du comédien-danseur, Nico Garo amplifie l’étrangeté de cette situation. Dans le micro, axe central qui sous-tend toute la dramaturgie du spectacle, ne résonnent pourtant que quelques bribes du texte Jaz, deux courts passages qui synthétisent les problématiques de cette pièce :

« Je t’ai dit déshabille-toi et tu t’es déshabillée
Je t’ai dit écarte les jambes et tu as ouvert les cuisses »

et
« on dit qu’en nous rythme une musique »

L’ambiance sonore matérialisée et créée par le micro agit comme une tierce polyphonique, un troisième personnage qui va et vient entre les danseurs, les frôle, les sépare, manque de les blesser, c’est toute l’histoire de Jaz qui est représentée, là, entre ces trois lignes de fuite et de rencontre, dans le mouvement métronomique des corps de la femme, de l’homme et cet objet métaphorique autour duquel le viol s’organise. Le micro devient l’outil de persécution psychologique et physique : la parole qui manipule et le sexe qui transperce le ventre d’où jaillit un cri terrible, celui du frottement de la peau contre l’instrument. C’est aussi en témoin, comme le public, qu’il est emporté dans cette histoire et ne ressortira pas inchangé.
L’ambiguïté qui fait l’originalité de ce travail réside dans la conservation de la force esthétique des corps maltraités par le viol et par la rythmique sombre presque railleuse qui s’en exhale. Comme dans Jaz, pièce dans laquelle l’héroïne malgré l’ignominie ambiante rayonne de beauté et d’amour, dans cette adaptation libre, l’héroïne violée, abusée conserve le sens de l’amour. Une petite musique la protège, une musique délicate demeure – cette berceuse qui nous a tous bercés, Brahms Lullaby – dans laquelle la femme s’isole pendant l’acte, une petite musique, sa petite musique intérieure qui la préserve du déluge masculin et perpétue l’espoir de se reconstruire ; en témoigne la superbe image finale de ce dos nu battant tel un cœur après l’amour.

La Chapelle du verbe incarné

Danses en l‘R – Compagnie Eric Languet (St Denis – Réunion)
Liens :
> www.dailymotion.com/video/xe1hjq_itv-jai-pas-cherche_creation »
> www.youtube.com/watch?v=jd6Oup0hheE »///Article N° : 9707

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Les images de l'article
J'ai pas cherché... ? © Sébastien Marchal
J'ai pas cherché... ? © Sébastien Marchal





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