Tout a commencé avec l’excitation de la rumeur « – Cette année, il paraît que le IN programme un Focus Afrique ! » Rumeur excitée car le théâtre africain et le Festival d’Avignon, ce n’est pas une longue histoire. C’est plutôt un amour de vacances noyé dans 71 années d’indifférence, quand en 2013 Dieudonné Niangouna, artiste associé à Stanislas Nordey, monte son Sheda halluciné sous les étoiles de la Carrière de Boulbon. Avant et après, de rien à pas grand chose, d’où la colère qui a enflé quand la rumeur s’est confirmée : le « focus Afrique » attendu programmera neuf spectacles classés dans les catégories « danse », « indiscipline » et « musique ». Donc pas de « théâtre » à proprement parler. Dans sa tribune intitulée « Une fois de plus, le déni » relayée par Sceneweb et Africultures, Dieudonné Niangouna décrit cette programmation comme un « coup d’état du sens » et un « déni total », une « censure qui ne dit pas son nom » car « zéro théâtre ». Ce morceau fulgurant de rhétorique tansienne dénonce un acharnement à « tuer le langage articulé venu du continent africain », à en « refuser la poésie ». Le directeur du Festival d’Avignon Olivier Py avait choisi de ne pas réagir « pour ne pas ajouter d’huile sur le feu ». Africultures l’a rencontré. Mais avant cela, décryptage et contextualisation des interrogations autour du « Focus Afrique ».
« Ici, la question n’est plus la présence des créateurs africains au Festival d’Avignon mais celle de la présence du théâtre issu du continent africain et de sa diaspora. Comment peut-on fuir la question THÉÂTRE à ce point dans l’une des plus grandes messes du théâtre en Europe? Fuir la question du texte pour des gens qui disent penser le théâtre me paraît complètement dichotomique. Inviter un continent sans sa parole est inviter un mort. C’est une façon comme une autre de déclarer que l’Afrique ne parle pas, n’accouche pas d’une pensée théâtrale dans le grand rendez-vous du donner et du recevoir. Et insister en invitant cette Afrique sous cette forme muselée c’est bien pire qu’une injure. C’est inviter un mort à sa table, lui envoyer toutes les abominations à la gueule, sans se reprocher quoi que ce soit, parce que de toute évidence on sait que le mort ne parlera pas, et c’est bien la raison de cette invitation. » Dieudonné Niangouna, « Une fois de plus, le déni »
En 2005, Olivier Py prend part à la querelle esthétique qui passionne le Festival d’Avignon : pour un théâtre de texte ou pour un théâtre conceptuel ? L’actuel directeur du Festival, auteur de théâtre prolifique, compte alors parmi les défenseurs du théâtre de texte. Il y consacre même une tribune dans Le Monde : « Avignon se débat entre les mots et les images »…
« Avignon résonne d’une controverse inattendue. Pour la première fois dans l’histoire du Festival, le théâtre du dire est mis en minorité par rapport à toutes les autres formes. La cour du Palais des papes elle-même, lieu paradigmatique d’Avignon, n’accueille pas cette année de théâtre, au sens traditionnel. C’est cette année que s’invente la formule « théâtre de texte », qui serait passée autrefois pour un pléonasme mais s’entend désormais comme une catégorie théâtrale. Un grand nombre d’artistes invités, mutatis mutandis, avouent, par leurs oeuvres, qu’ils sont ou que nous sommes lassés des mots… Faire de cette controverse une polémique, c’est en réduire sa profondeur, la limiter au petit microcosme théâtral avignonnais, c’est ne pas vouloir la comprendre. Ce qui s’est discuté ces jours-ci est plus substantiel et engage tout le commerce symbolique de notre société, de celle que nous voulons défendre et de celle qui sera, que nous la voulions ou pas… C’est donc un corps plus violenté que jamais qui s’offre à notre regard quand il est privé de parole, ou quand la parole n’est plus que décorative ou instrumentalisée, voire cantonnée au commentaire. L’interprétation a remplacé l’incarnation. Et le théâtre peut-il encore se dire théâtre quand il va sans dire ? … Et peut-on imaginer que le théâtre reflète le monde sans en imiter son fonctionnement même : le refoulement, voire l’interdiction de la fiction et de la littérature ? L’oralité peut être le refuge de l’écriture, mais un refuge suffit-il au verbe ? »
Mais depuis 2005, une nouvelle catégorie s’est popularisée : l’indiscipline ou je-m’en-lave-les-mains, équivalent esthétique du Citoyen du Monde ou je-m’en-lave-les-mains, qui permet de « faire rentrer » ce qui vous chante sur un plateau, avec le pouvoir de clôturer un débat esthétique qui ne vous concerne pas[1], ladite indiscipline étant désormais convocable comme argument d’autorité et capable de formuler que la danse c’est du texte. Du coté du traitement médiatique de la polémique, seule Clarisse Fabre du Monde.fr est capable de situer l’origine décoloniale de la dispute, loin d’y voir le caprice mégalomaniaque d’artistes « blessés » de ne pas avoir été programmés. La Palme d’Or de la médiocrité revenant à France Culture qui convoque la rédactrice en chef de Télérama, Fabienne Pascaud, qui avait soutenu l’ouverture d’un « Bal Nègre » en plein Paris il y a quelques mois. Alors, que pense Fabienne Pascaud de la polémique lancée par Dieudonné Niangouna ?
« Je trouve ce texte d’une qualité littéraire médiocre, je ne suis pas fan de tout ce qu’a fait Niangouna, cette langue claudélienne folle, sanguinolente, furieuse. Je ne comprends pas tout ce qu’il raconte, mais on ne peut pas dire que les scènes subventionnées françaises ne l’aient pas accueilli. Ce cri de rage me semble un peu excessif et narcissique… On a reproché à Py, il y a une dizaine d’années, de ne montrer que du texte parce qu’il défendait le théâtre de texte. Il essaie de s’ouvrir et de montrer que le théâtre est autre chose que le texte, et maintenant c’est un soi-disant tenant de la modernité, Niangouna, qui lui reproche de ne pas servir le texte… Tout ça est cul-cul la praline et c’est des batailles d’ego indignes… Il y a aussi des impératifs économiques, vous pensez que Niangouna aurait rempli la cour d’honneur ? Enfin ! Alors là, il n’y aurait plus eu de festival l’année d’après peut-être. Je ne suis pas sure que Niangouna remplisse la cour d’honneur pendant 10 jours comme peut le faire Stanislas Nordey dans la cour d’honneur avec Emmanuelle Béart et Peter Handke! »
« … Le phénomène théâtre qui vient d’Afrique est toujours décliné ; la raison non entendue ; et les efforts des créateurs comme des épées dans l’eau », rappelle avec lassitude Dieudonné Niangouna qui devrait, selon Fabienne Pascaud, se satisfaire d’être « accueilli » sur les scènes nationales. « Une censure qui ne dit pas son nom » donc, une injonction au contentement qui facilitera l’argument colorimétrique et son double, celui de l’événementialisation. Sur le site de l’ACHAC, la chercheuse Sylvie Chalaye met en garde contre cette exceptionnalisation, cette phénoménalisation qui veut que programmer un.e artiste noir.e, c’est faire date, faire événement ( « Festival d’Avignon- Focus Afrique : ne nous trompons pas de débat ») . Et cette année, la concurrence sera rude pour le « focus Afrique » car la presse, sans doute convaincue qu’il s’agit là dudit « focus Afrique », s’enthousiasme surtout pour la performance de Christiane Taubira au jardin Ceccano … Une presse en quête d’oralité à se mettre sous la dent, parce que l’Afrique terre d’oralité c’est comme l’indiscipline, ça a valeur d’argument d’autorité. Et si l’on en croit Gustave Akakpo, cette époque est révolue :
« Et c’est assez aberrant d’appeler Jan Goossens [directeur du Festival de Marseille]à la rescousse pour lui faire déclarer : « La vision de Dieudonné Niangouna de l’art dramatique comme lieu exclusif du texte littéraire (une tradition plutôt française) n’est pas du tout centrale en Afrique où les traditions font plus de place au mouvement, au chant, aux traditions orales bien sûr. Le texte littéraire sur les plateaux n’est venu qu’avec les projets coloniaux. » C’est plutôt cette vision qui est extrêmement réductrice et occulte le foisonnement du monde. Afrique terre d’oralité, mon cul, pendant des siècles on l’a sommée de fermer sa gueule. Le texte n’est pas central en Afrique ? Mais de quelle Afrique parle-t-on ? Pourquoi vouloir encore la mutiler entre tradition et apport d’ailleurs ? Aucune civilisation n’a l’apanage d’une pureté, l’histoire est mouvement et fracas, c’est en cela aussi que la langue française entre autre est devenue aussi africaine. » Gustave Akakpo, compte Facebook de l’auteur.
Africultures. En 2016, une enquête menée auprès des publics du Festival révèle que 70% des interrogés sont demandeurs de « découverte ». Est-ce là l’origine d’un « focus Afrique » cette année ?
Olivier Py. Chaque année, des enquêtes sérieuses sont menées par des sociologues auprès du public, avec des camemberts qui réfutent toutes les idées reçues sur le public d’Avignon. Ces camemberts sont quelquefois surprenants. Ils prouvent que le public est local, qu’il n’y a pas de différence entre public du In et public du Off, que ça circule. Ils prouvent que mon public n’est pas du tout une élite parisienne, que l’éducation nationale est très présente, que la moyenne d’âge est de 47 ans ce qui est plus bas que ce qu’on imagine. Que les jeunes ne sont pas sous-représentés, ce sont plutôt les trentenaires qui sont sous-représentés. Ces camemberts permettent d’avoir une approche objective du public et de ses désirs et d’éviter les fantasmes. J’ai été le premier surpris d’entendre le public dire que le festival doit être un lieu de découverte et pas qu’un lieu de reconnaissance.
Alors, pourquoi un « focus Afrique » en 2017 ? De quelle « Afrique » parlez-vous ?
C’est un focus subsaharien. On s’est dit qu’un focus sur l’Afrique donnerait une autre image car ses artistes ne sont pas encore très connus. On a fait le Moyen Orient l’année dernière, même si c’est un peu flou, le Moyen Orient. Et puis la première année [de son mandat à la direction du Festival]on a fait la Grèce.
Ces focus sont-ils aussi des choix politiques ? Quel fil rouge cette année, est-ce un florilège ?
Il y a toujours une dimension politique dans le choix de faire un focus. C’est clairement le cas avec la Grèce et le Moyen Orient, un point chaud du globe.
Il n’y avait pas de fil rouge avec la programmation du « monde arabe » qui avait malheureusement peu d’artistes femmes. Et s’il n’y a pas de fil rouge, c’est parce qu’un focus n’a rien d’exhaustif : c’est quelques spectacles en un temps fort. Et ce focus ne nous empêche pas de programmer ensuite des spectacles africains ou d’en avoir programmé avant.
À votre avis, d’où vient la polémique autour du « focus Afrique » cette année ?
Il y a chaque année des polémiques, des hystéries, des artistes qui se sentent censurés parce qu’ils n’ont pas été programmés. Ça prouve qu’on est attaché au festival et qu’on attend tout de lui ! Quand on fait l’Afrique subsaharienne, le Maghreb peut me dire « – Alors, que faites-vous pour le Maghreb ? », et quand on fera le Maghreb, que faites-vous pour les Coréens ? On ne peut pas être partout ni être exhaustif ! Mais le rôle, le prestige fait que la programmation est emblématique, qu’elle porte quelque chose. Et il y a quand même Radhouane El Meddeb qui est programmé cette année !
Oui, et il est tunisien : pourquoi n’est-il pas dans le focus Afrique ?
L’année d’avant j’avais fait le « monde arabe », qui avait été largement représenté. Et pour le Maghreb, je n’aurais pas forcément besoin d’un focus.
Parce qu’ils sont déjà « connus » des Européens ?
Non non, il y aurait des choses à faire ! On pourrait faire un focus Maghreb, bien sur, ça serait très intéressant ! Même un focus Algérie ça serait intéressant, même si ça ne serait pas facile à faire. Mais alors, bonjour les polémiques, ça serait reparti !
Comment avez-vous sélectionné les artistes programmés ?
Comme pour les autres spectacles, on connaissait les artistes à travers d’autres spectacles qu’on a vus en dehors d’Avignon.
Dans quel cadre ?
Nadia Beugré est venue au festival avec un Sujet à Vif [« Tapis Rouge »], en 2014. Dorothée Munyaneza, ça commence à fonctionner. Je reviens de New York où l’on ne parle que d’elle. Et puis on a été très aidés par le festival de Ouagadougou, les Récréâthrales. C’est héroïque d’arriver à faire un festival de cette ampleur à Ouagadougou !
Au sujet du « focus Afrique », Dieudonné Niangouna parle d’un recul du « langage articulé » et oppose le théâtre de texte à une programmation de danse. Ça vous rappelle la polémique de 2005 entre théâtre de texte et théâtre conceptuel ?
Tout le monde attend tellement de choses du festival d’Avignon ! La plupart du temps, quand il y a une polémique à Avignon, on m’accuse de faire quelque chose qui est dans le programme. Tant qu’on attendra du festival qu’il sauve la société française, qu’il fasse la révolution, qu’il défende les poètes, qu’il ait la conscience du monde, tant qu’on attendra du festival toutes ces choses qui ne sont pas toujours à sa portée objective, le festival sera vivant, c’est certain !
La polémique de 2005 n’a rien à voir avec les artistes présentés ici. Dans cette programmation, il y a quand même beaucoup de mots. Chez Rokia Traoré ce n’est que du texte. Chez Dorothée Munyaneza – ça part des interviews de ces femmes et de ces enfants au Rwanda… Chez Serge Aimé Coulibaly, il y a le texte de Fela Kuti. Tout ça, c’est des mots. Peut-on parler d’une opposition entre théâtre de texte et une programmation de danse quand on voit les Ateliers de la pensée, le cycle d’orgue avec Sony Labou Tansi, les lectures RFI ? Il n’y a qu’un seul spectacle de danse à proprement parler. C’est un faux procès.
Pourquoi n’avez-vous pas répondu à la tribune de Dieudonné Niangouna ?
Tout ce que j’ai à dire est dans le programme. Il n’y a que ceux qui n’ont pas lu le programme qui se sont laissés entrainer dans cette polémique, qui en soi peut être intéressante mais qui n’est pas adaptée au programme. C’est une erreur de comparer Dorothée Munyaneza à la Vénus Hottentote.
Ce n’est pas ce qui a été dit.
C’est très exactement ce qui a été dit.
C’est plutôt comme ça que vous l’avez lu ?
C’est écrit, « la Vénus hottentote ». Si cette programmation-là est digne de la Vénus Hottentote, Dorothée ou les autres en sont dignes. Je pense que c’est une erreur.
Vous attendiez-vous à cette méfiance ?
Non, je ne m’y attendais pas à ça. Je n’avais pas mesuré à quel point ces artistes-là ne sont pas toujours connus par les Africains eux-mêmes.
Vous pensez que la méconnaissance va dans ce sens-là ? Je n’ai pas du tout cette lecture du texte de Niangouna… Ce n’est pas une attaque, mais une question qui vous est adressée : où est le théâtre de texte ?
Pour les artistes, ce texte est très maladroit ! J’ai programmé Akakpo l’année dernière. Cette année, il y a du Senghor dans la cour d’honneur, Sony Labou Tansi a un cycle qui lui est consacré. J’avoue que j’aurais bien aimé trouver une belle mise en scène de Koffi Kwahulé, mais je ne l’ai pas trouvée. Mais il est programmé dans les lectures de RFI. Il faut aussi pouvoir trouver la production à l’instant F du Festival.
Donc la programmation est aussi circonstancielle ?
À moins de me faire un procès d’intention en néocolonialisme, elle l’est. En plus, je voudrais préciser quelque chose. Les auteurs africains francophones sont très représentés. Léonora Miano était à la Colline il y a quelques semaines… Ils sont plus représentés que les Québécois. Et pas pour rien ! C’est qu’il y en a beaucoup, et de très bons ! Mais au sujet de la place des auteurs africains francophones, ceux qu’on cite comme Akakpo ou Kwahulé, ils ont une place que beaucoup d’auteurs français pourraient envier. Je pense que c’est une erreur de penser qu’ils ne sont pas entendus ni suffisamment montés. Il faut savoir que d’une façon générale, les auteurs ne sont pas suffisamment montés. Les metteurs en scène, aujourd’hui, ne s’intéressent qu’au roman. Et les auteurs français, si on regarde aujourd’hui la programmation et qu’on regarde les noms des auteurs africains qui sont présents, et qu’on compare ça aux noms d’auteurs français… eh bien il y a plus d’Africains et je dirais que c’est le cas presque chaque année ! Tant mieux, puisqu’il y a des bons auteurs. J’espère un jour travailler avec Léonora Miano, avec Marie Ndiaye – je lui ai même proposé dans la cour, mais il faut la production.
Ces questions ne viennent pas d’un silence de la programmation qui dure depuis 71 ans ?
Non, ce n’est pas vrai ! Je ne suis pas sur que la parole africaine a été la plus sous-représentée ! Les Asiatiques ont été bien plus sous-représentés ! Je pense que si j’ai un défaut, c’est plutôt sur l’Asie en général. Cette année il y a un Japonais. Je n’ai jamais programmé de spectacle chinois, c’est tout à fait dommage !
Et ceux qui sont nés ici, les afrodescendants ?
C’est encore une autre question, ce n’est pas l’Afrique. Comme les DOM TOM c’est une autre question, ce n’est pas l’Afrique. Christiane Taubira, j’espère qu’elle fera entendre la voix de la Guyane ! Elle n’a rien à voir avec le focus Afrique. Je suis content qu’on entende Césaire et Glissant aussi ! Cette année il va y avoir Glissant, Césaire, Senghor… Ce n’est pas l’endroit où je pense qu’on aura été le plus faible ! Les auteurs français en général, ça serait bien qu’il y en ait plus. Pour ça, il faudrait que les metteurs en scène fassent des propositions parce que je ne peux pas susciter plus de choses.
Les créateurs ont le sentiment d’être relégués dans des lieux estampillés « monde noir » comme les lectures RFI et la Chapelle du Verbe Incarné. Il y a la double question de l’accès et de la labellisation.
Mais ça on ne peut pas le reprocher à RFI.
Non, certes. Mais il y a cette question d’être compartimenté et l’autre question du label géographique. Au début de la conférence de presse du IN, vous parlez des artistes qui refusent les labels esthétiques au profit de l’indiscipline.
Oui, ça, c’est devenu très difficile à catégoriser.
Et un label géographique du coup, ça vous semble pertinent ? Vous aviez programmé dans le In Fatou Cissé sans qu’elle soit intégrée à un focus.
Si on peut programmer du Koffi Kwahulé ou du Léonora Miano ou plein d’autres on le fera, tant mieux. Un focus, c’est un coup de pouce.
Un coup de pouce pour quoi ?
Un coup de pouce ! Un focus met le projecteur si jamais ces artistes là avaient été programmés séparément, on en aurait sans doute moins parlé. C’est assez bien, ça leur donne une place plus importante dans le programme, je crois. Après, un focus géographique c’est discutable. On pourrait choisir aussi plutôt une thématique, pourquoi pas. De fait, elle existe toujours, ici là. Disons que c’est une manière aussi de travailler sur l’international autrement. Disons que pour éviter que l’international ne soit que les Allemands et les Belges, ça veut dire qu’il faut faire ce travail-là. Honnêtement, on ne peut pas être partout moi et mes collaborateurs. Chaque année, on se donne une ambition pour dans un an ou dans deux ans, et on concentre notre travail sur une partie du globe.
La programmation « Afrique », c’est une prise de risque selon vous, auprès des publics ? Fatou Cissé avait eu des retours assez négatifs, on l’avait dite « pas prête pour le In », comme si pas digne d’être programmée… Faut-il accompagner les publics davantage quand on programme des artistes noir.e.s ?
Je ne comprends pas tout sur les réactions des publics au festival. Elles sont éruptives, elles peuvent passer à coté d’un spectacle ou encenser des spectacles… C’est le festival. Je ne sens aucun racisme chez le public.
Mais une méconnaissance évidente, une difficulté à situer, à contextualiser ?
Le public d’Avignon ne connaît pas plus Dorothée Munyaneza que le Birgit Ensemble ou Antonio Latella. Je ne le vis pas comme une prise de risque. Je sens même plutôt – la billetterie n’est pas ouverte encore – que ça réagira bien. Mais on a besoin de proposer le plus d’accompagnement pédagogique possible pour tous les spectacles du festival, pas particulièrement pour les spectacles africains. Je pense que la polémique aura donné aussi une certaine médiatisation à ces spectacles. Les gens auront envie de voir si Dorothée Munyaneza c’est de la danse folklorique ou de la conscience politique… Je laisse le public se faire son avis.
[1] Car la polémique du « focus Afrique » a donné lieu à un véritable débat esthétique mené sur les réseaux sociaux et dans la presse par des créateurs africains et afrodescendants parmi lesquels Rokia Traoré, Étienne Minoungou, Gustave Akakpo, Eva Doumbia… dont Clarisse Fabre et Séverine Kodjo-Grandvaux proposent une belle analyse dans Le Monde du 3 juillet 2017 : « Festival d’Avignon : la scène africaine veut « décoloniser » les regards ».