Samo, a tribute to Basquiat est le nouveau spectacle de la Compagnie 0,10. Une pièce de théâtre signée Koffi Kwahulé et Laëtitia Guédon, qui nous amène à la découverte d’un Basquiat aux multiples facettes. Danse, musique, vidéo, poésie et peintures sont au rendez-vous de ce rêve plurisensoriel.
Sur le plateau, les lumières sont tamisées, elles illuminent l’essentiel. Tour à tour les yeux immenses aux longs cils d’un Basquiat boxeur, sarcastique et rebelle (Yohann Pisiou), le corps souple d’un autre Basquiat danseur, muet et charmeur (Willy Pierre-Joseph), puis les mains d’un père-conscience, offrant ses paumes et sa voix à une interprétation prophétique de la vie de son fils (Blade MC AliMBaye). Et aussi les joues d’un musicien aux saxophones luisants – prolongation de lui-même dans la recherche d’une atmosphère à la Charlie Parker (Nicolas Baudino).
Samo, l’anagramme de « the same old shit », tag de Basquiat, artiste-peintre newyorkais des années 80, est un spectacle-rêve, une immersion qui apprend à respirer autrement. Avec un texte du dramaturge Koffi Kwahulé imprégné de jazz au point de pouvoir parler d’une écriture-partition et une mise en scène de la visionnaire Laëtitia Guédon, fondatrice de la compagnie 0,10 et directrice du Festival au Féminin ainsi que des Plateaux Sauvages, cette pièce de théâtre nous fait cadeau d’un autre sens du temps et du corps. On y trouve des sauts, des positions plastiques, des mouvements sinueux, mais aussi des combats de boxe où plus que donner des coups, Basquiat apprend à les esquiver. Il s’agit d’un jeune-homme qui danse dans les clubs nocturnes, aux rythmes du hip-hop des années 80, du blues, du funk, de la beat-boxe. Derrière lui, des vidéos recréent l’univers de la rue, alors qu’il tourne en rond, erre, un peu dandy un peu clochard, dans un court-circuit dont il est l’artisan lucide et conscient. Il sait que ses tortionnaires psychologiques sont aussi ceux qui lui ont donné la possibilité de toucher la royauté dont il rêve depuis toujours. « J’aurais la patience d’un roi pour me hisser jusqu’à la couronne de mon destin. Je suis américain ».
Un newyorkais au sceptre haïtien ?
De parents d’origine haïtienne et portoricaine, Basquiat est constamment renvoyé par la critique à Haïti et à l’Afrique. Alors, si pour pouvoir se dire newyorkais et « faire entrer dans les plus grands musées du monde / La rue, les têtes crépues trouées de rires joyeux et inquiétants/ Le monde incohérent et brutal/ De l’autre côté du crépuscule », il doit creuser dans l’ombre de lui-même, se soustraire à la joie d’un quotidien quelconque, insouciant, pour représenter la misère des bas-fonds qu’on s’attend de lui, eh bien, il le fait. D’ailleurs, c’est peut-être à cause d’eux qu’il cherche à s’imbiber dans des souvenirs qui ne lui appartiennent pas et que « toutes sortes de drogues » le traversent. Eux, ce sont les bourgeois qui souhaitent tirer de son œuvre « un film d’horreur que/ On regarde en famille », un primitivisme fictif pour qui il dissimule, il ment, mais surtout il se tait. Et il peint : « Je leur sers du ventre vide/ Les pieds dans la neige/ Alors je leur sers de la gorge aride/ La tête dans le soleil/ Alors je leur sers de la bagarre avec des homeless/ Pour un mégot/ Pour une gorgée de mauvais alcool/ Pour du crack/ Je leur sers de la rue ».
Mais il y a aussi son père, le seul à l’appeler « Jean », qui promet de voir ses expositions, mais qui est en réalité distant de tout cela car « l’apprentissage du regard » c’est la mère qui le lui a transmis, aussi bien que la sensibilité artistique. Une mère internée, fragile, les électrodes au crane comme une couronne d’épines. Une mère mystique et mythifiée. Et lui-même, Basquiat, le voilà parsemer son propre chemin de doutes et obstacles, et trouver qu’il y a « Si peu de Noirs/ Dans ce merdier pseudo-artistique » qu’il faut faire quelque chose pour retrouver la mémoire perdue d’Haïti et de l’Afrique. Et pourtant comment y arriver en se soustrayant à l’exotisme dont on ne cesse de le recouvrir ? Quoi qu’il en soit de sa quête identitaire, tout le monde attend de lui une seule chose : un tableau inquiétant. Cette pièce de théâtre nous restitue donc tous les troubles et l’ironie d’un jeune « à la grâce tourmentée », un artiste à qui on a proposé une couronne trop lourde, mais qu’il a quand même essayer de la porter.
Texte : Koffi Kwahulé / Mise en scène : Laëtitia Guédon
Avec : Yohann Pisiou, Willy Pierre-Joseph, Blade MC Alimbaye et Nicolas Baudino.
Musique : Blade MC AliMBaye et Nicolas Baudino
Lumières : David Pasquier
Scénographie : Emmanuel Mazé
Vidéo : Benoit Lahoz
Photo : « Basquiat » de Henri Guédon, 1990, technique mixte.
13 Avril à 21H00 / 14 Avril à 21H00 à La Loge (75011 Paris)
Le 21 avril à 20H30 au théâtre Victor Hugo (92220 Bagneux)