Le premier roman du dramaturge Koffi Kwahulé est un chant d’amour polyphonique.
En France, où les champs artistiques sont généralement compartimentés, il n’est pas toujours aisé de naviguer d’un genre à l’autre. Beaucoup d’écrivains s’y essayent mais peu y parviennent avec bonheur. Bien entendu, on peut toujours citer l’exemple de Jean-Paul Sartre ou évoquer la prouesse des encyclopédistes. Mais dans l’ensemble, la France n’aime pas cette confusion de statuts. Avec son premier roman, Babyface, l’Ivoirien Koffi Kwahulé, reconnu jusqu’à présent comme dramaturge, réussit son « entrée en roman ».
Babyface aborde un thème classique de la littérature : l’amour en temps de guerre, l’amour et la mort. Toutefois, l’originalité de Koffi Kwahulé réside dans le fait d’avoir mis en abyme l’histoire d’amour entre Mozati et Babyface. Son récit est construit à partir du journal intime de Jérôme, écrivain du dimanche et compagnon de Mozati qui, tout le long du roman, décrit l’amour-passion de sa compagne. D’où tout un jeu de miroir, qui nous fait naviguer sans cesse entre la réalité et la fiction, entre le journal intime et la narration à la troisième personne.
Née dans une famille modeste, violée par un maître d’école peu scrupuleux et fantasque, devenue par nécessité la maîtresse d’un expatrié français, Mozati rencontre avec Babyface l’amour, pour la première fois, et abandonne mari, copains, parents et amis pour se consacrer à celui qu’elle appelle affectueusement, « mon bébé ». Banale, voire anecdotique à l’origine, la relation entre Mozati et Babyface grandit page après page et devient ce qu’André Breton appelle « l’amour fou ».
Alternant méditations sur l’art du roman et pages poétiques, journal intime et intrigue policière, anecdotes et rumeur, mythe du Mami-Wata et roman politique, le tout sur fond de jazz, Koffi Kwahulé nous donne à lire un beau chant d’amour polyphonique.
Il y a quelques années, Ahmadou Kourouma écrivait, après une longue méditation sur le rapport entre les mots et les choses : « Chaque fois que les mots changent de sens et les choses de symboles, les Diabaté retournent réapprendre l’histoire et les nouveaux noms des hommes des animaux et des choses ». À lire Babyface, on constate que la leçon du maître n’est pas tombée en terre stérile. Au moment où la Côte d’Ivoire saigne, Koffi Kwahulé réapprend, en bon maître de la parole, l’histoire et le nom des bêtes. Le résultat est sous nos yeux : admirable !
Babyface, de Koffi Kwahulé, 2006, Gallimard, coll. » Continents Noirs « , 213 p.///Article N° : 4292