La Vie scolaire, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir

Ne pas baisser les bras

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Sorti le 28 août 2019 dans les salles françaises, le nouveau film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir après Patients (2017) est-il juste un autre film de banlieue ou un film juste ?

Samia, une CPE (conseillère principale d’éducation) novice, débarque de son Ardèche natale dans un collège réputé difficile de la ville de Saint-Denis. Elle se donne à fond, malgré la difficulté, notamment pour soutenir Yanis, un ado qui se cache derrière son insolence. Durant cette année scolaire, entre parents, élèves, personnel administratif et profs, elle va découvrir et devoir gérer une multitude de personnalités et de situations pour tenter de conjurer les échecs scolaires annoncés…

Zina Hanrot et Soufiane Guerrab – Copyright toutes photos Laetitia Montalembert – Gaumont – Mandarin Production – Kallouche Cinéma

Les films tournés en banlieue sont si nombreux que l’on parle d’un genre (le film de banlieue) qui trimbalerait toujours les mêmes clichés. La question des clichés est en effet centrale dès que l’on situe un film dans un territoire spécifique, que ce soit la banlieue, l’Afrique ou n’importe quel autre espace soumis à projection imaginaire. Alors, La Vie scolaire est-il pétri de clichés ou non ? On pourrait le penser de prime abord dès lors que le prof vertueux Messaoud (Soufiane Guerrab) qui fait autorité auprès de ses élèves d’intelligente façon est opposé à l’antipathique Thierry Bouchard (Antoine Reinartz), certes un peu paumé, qui ne pense qu’à la punition. On hésite aussi à convoquer les stéréotypes devant les auxiliaires de vie scolaire qui ne pensent qu’à leurs vannes face à leur nouvelle chef, Samia, à laquelle Zita Hanrot donne une belle épaisseur. On pourrait dire aussi que nombre d’élèves sont très typés selon des traits développés pour enclencher le rire…

Qu’est-ce qui fait que ces personnages sont crédibles et que ce film gagne la gageure d’être à la fois drame et comédie ? Sans doute faut-il s’intéresser à sa fabrication pour répondre. Grand Corps Malade et Mehdi Idir se sont appuyés sur des personnes existantes pour écrire les personnages. Il n’y a pas de stars dans La Vie scolaire. Tous les figurants sont issus du quartier (Les Francs-Moisins à Saint-Denis), et trois des cinq personnages principaux. En somme, presque tous jouent leur propre rôle. Il a bien sûr fallu les préparer : quinze jours de répétition dans une classe pour qu’ils sentent leur groupe et puissent simuler une classe en effervescence. Ils s’approprient leur texte sans être formatés.

Lorsque les jeunes se charrient, ils se traitent de tous les clichés en de savoureuses joutes verbales. Ce n’est pas l’impasse désincarnée du langage que mettait en scène La Haine. C’est une façon d’exister et de s’affirmer. C’est leur manière de jouer, pour le digérer par l’humour, avec le regard qu’ils doivent encaisser, celui de nombre de médias et politiciens axés sur l’accentuation des différences et friands de caricatures qui font vendre ou voter. Le jeune de banlieue ne peut dès lors appartenir à la nation française puisque cette identité blanche qui ne dit pas son nom se considère comme universelle en se construisant par opposition aux particularités. Le cliché ne se loge pas dans cette autodérision, au contraire. Cet humour sur soi, on le trouve aussi bien dans La Vie scolaire que dans – pour ne citer qu’eux – Rue des Cités (Carine May et Hakim Zouhani, 2011) ou bien Wesh wesh, ça me regarde ! (Rabah Ameur-Zaïmèche, 2001), des films sur la vivacité des solidarités, l’humanité des relations familiales et l’immense quête de reconnaissance des jeunes des banlieues, sur les traces du cinéma beur des années 80 avec Le Thé au harem d’Archimède (Mehdi Charef, 1985). Cette entreprise d’inversion du regard, de restauration et de réappropriation de sa propre image fonde ces films comme elle traverse La Vie scolaire.

Derrière l’humour pointe le drame. Genette ne disait-il pas que l’humour est un tragique vu de dos ? On sort d’une comédie mais on a vu un film grave, car le contexte social est là. Si la relation entre Yanis (Liam Pierron) et Samia est convaincante, c’est qu’ils partagent un vécu particulier en dehors du collège. Il fallait ce contexte pour sortir le film d’une série de saynètes, lui donner un fil directeur, un récit. L’humour continue, mais l’émotion se loge dans les intervalles, sans que ce ne soit jamais tire-larme.

La musique d’Angelo Foley n’y est pas pour rien. Les tonalités se font âpres mais s’éclairent à bon escient. Sans oublier la reprise de Samourai de Shurik’n durant le cours de musique et bien sûr au générique final Je viens de là, la bande originale écrite en 2008 par Grand corps malade et reprise par tous les acteurs.

Ce film destiné à un large public n’a pas pour programme de dresser un constat accablant. Il n’est pas un cri de colère ou un appel à tout changer. Il suggère au contraire que la tâche est rude vu le contexte social et l’inadéquation des politiques publiques, et que ce n’est pas près de changer. Mais il n’invite pas pour autant à baisser les bras. Des profs comme Messaoud se battent et surtout, le potentiel des jeunes est là, difficile à mobiliser mais présent si l’on veut bien y croire. Ce qui rend ce film optimiste, c’est leur élan, leur énergie, leur vitalité bien palpable – même travaillée par le doute comme chez Yanis. Encore faut-il que leur exclusion de fait, tant historique que territoriale dans une France qui se replie dans le déni et la peur, ne se double pas de l’exclusion de leur imaginaire. Ce film contribue de belle façon à restaurer sa positivité.

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