L’argent, la liberté, une histoire du franc CFA, de Katy Léna N’Diaye

Ce que cache la monnaie

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Il s’agit de pousser le voile de l’Histoire. Tous les jours dans les pays de la zone franc, on manie des CFA, sans trop se demander pourquoi ils sont encore là. On annonce l’Eco en 2019, et le temps passe. Les billets s’encrassent. En fait, le franc CFA, on l’utilise mais au fond, ce n’est pas un sujet.

Il fallait de l’intime pour entrer dans cette Histoire. Nous sommes au cinéma, pas sur les bancs d’école : c’est une fable que Katy Léna N’Diaye déploie, avec pédagogie mais aussi avec une dose de fascination qui nous captive. Comment fonctionne une monnaie ? Qui peut répondre ? Plutôt que de convoquer des absolus, il s’agit d’historiciser : ce qui semble naturel, voire surnaturel, est en fait complexe, un processus que le film détaille à partir des grands moments de rupture – économie coloniale d’extraction, Indépendance, dévaluation de 1994…

Ainsi, d’entrée, un regard personnel, impliqué, situé : ce ne sera pas un regard européen mais principalement celui d’experts africains, parfaitement cohérents, lucides, compétents : le Camerounais Martial Ze Belinga, le Béninois Lionel Zinsou, le Togolais Kako Nubukpo, les Sénégalais Abdoulaye Bathily et Felwine Sarr… Et très vite, la question de fond, brûlante d’actualité : la souveraineté. Et donc la relation asymétrique France-Afrique, le rapport franc français/franc CFA. Car la monnaie contrôle l’échange, la consommation, le pouvoir d’achat. Et dans sa subordination à la France établit une dépendance.

A l’heure des décolonisations, elle reste fédérative. La parité fixe devient une camisole tandis que l’endettement s’accroît et que chutent les prix des matières premières. Les plans d’ajustement structurels du FMI achèvent d’assujettir les Etats africains au capital privé international et conduisent au choc brutal de la dévaluation de 50 %. A la tutelle française s’est ajoutée l’européenne via l’euro. « La question n’est pas de sortir du franc CFA mais de savoir de quelle monnaie nous avons besoin pour transformer nos économies », conclut Martial Ze Belinga.

Comme le dit Katy Léna N’Diaye dans son débat-forum au Fespaco, « ce n’est pas un réquisitoire, c’est un point de vue ». Le film est passionnant : il fera date car il constitue une extraordinaire archive sur un sujet essentiel mais méconnu. Des projections en milieu scolaire et étudiant sont prévues, car sa clarté n’est pas seulement pédagogique : elle ouvre à comprendre l’Histoire, les héritages qu’il faut transformer, les souverainetés à construire, les nouveaux savoirs à mobiliser pour sortir du mimétisme. Le résultat est tout sauf un slogan mais une évidence politique à mettre en pratique, tant il faut connaître le passé pour décider le présent alors même qu’un avenir est à construire.

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