Le sacre de Tierno Monénembo

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Tierno Monénembo a reçu le lundi 10 novembre le Prix Renaudot 2008 pour son roman Le roi de Kahel. Sacre mérité pour ce romancier révélé en 1979 par Les Crapauds-brousse publié au Seuil. S’il est reconnu par ses pairs et connu des « initiés », Monénembo est un auteur « discret » qui gagnerait à rencontrer un large public. Ce prix est une belle invitation à entrer dans son œuvre.

Né en 1947 en Guinée – Conakry, Tierno Monénembo, est très tôt confronté à la dictature de Sekou Touré. Il s’exile au Sénégal, puis en Côte d’Ivoire, avant de s’installer en France, où il passe un doctorat en biochimie, enseigne au Maroc et en Algérie, visite le Brésil.
Cet exil, qui aurait pu faire de lui un homme aigri, l’a au contraire converti au nomadisme. Tournant le dos à l’auto compassion conventionnelle de l’exilé et aux « Tristes tropiques » de la Négritude, le romancier guinéen évoque l’exil avec une rare lucidité. Dans la plupart de ses romans, il donne à voir les mesquineries des exilés au sein de la communauté guinéenne. Ainsi, dans l’admirable Un attiéké pour Elgass, la soirée d’adieu organiséepour fêter le départ à Bruxelles d’une compatriote, tourne à un règlement de comptes, mettant à nu les faux-semblants de tous. Dans Un rêve utile, roman faulknérien, Tierno Monénembo opte pour une attitude distanciée face à l’exil, l’évoquant de manière oblique. Quant à Peuls, roman épique, aux allures bibliques, il célèbre l’errance.
À l’inverse de son ami, Williams Sassine, pour lequel l’exil a été une parenthèse avant le retour au pays natal, qui le condamne au statut de poète maudit, Tierno Monémembo, fait de son exil une errance gaie. En réalité, son retour vers son identité peule n’est nullement un enfermement. C’est un détour vers « une identité rhizome », problématique par ailleurs de son roman Pelourhino, dont l’action se situe à Salvador de Bahia, la ville de Jorge Amado, et qui raconte la quête d’un écrivain africain venu trouver ses racines au Brésil. Il s’agit là d’une inversion originale entre l’Afrique et sa diaspora. Si celle-ci a ses racines en Afrique, la diaspora afro-américaine est en revanche à l’origine de la modernité africaine. Il suffit de penser au rôle joué par le panafricanisme dans l’avènement politique du continent, de méditer le rôle joué par de la musique cubaine dans l’essor de la rumba congolaise, de s’arrêter sur la place d’Aimé Césaire et Frantz Fanon dans l’histoire intellectuelle continentale. En cela, Pelourhino est un roman de la traversée, qui déplace le centre de l’Afrique vers le Brésil.
De là, procède, me semble t-il, toute la modernité de Tierno Monénembo. Car ses problématiques, ses techniques narratives d’inversion, de suggestion, de détournement, de juxtaposition et de bricolage sont des manières fines de dire ce que l’on pourrait appeler l’insoutenable tragédie de l’Afrique. En témoigne L’Aîné des orphelins consacré au génocide rwandais. Ce roman servi par une écriture blanche (l’expression est de Roland Barthes), est sans doute le plus beau récit consacré au génocide, en tout cas une contribution essentielle à notre mémoire en lambeaux. Voilà pourquoi, il faut saluer son dernier roman, Le roi de Kahel, une biographie romancée de Aimé Olivier de Sanderval, un don quichotte, qui fonde en 1880 le projet de conquérir à titre personnel le Fouta- Djalon et d’y construire un chemin de fer. On pense irrésistiblement à L’homme qui voulait être roi de John Huston. La seule différence, c’est qu’ici l’histoire de notre vicomte est vue de l’intérieur par l’écrivain. Ce qui crée une empathie entre l’auteur et son personnage. Incontestablement, il y’a dans le projet littéraire de l’écrivain un besoin de revisiter la mémoire coloniale franco-africaine, participant davantage de savoir que de stigmatisation. Longtemps préoccupation des historiens, la mémoire est devenue le viatique littéraire de Tierno. En cela, Le roi du Kahel complète admirablement Monné Outrages et défis d’Ahmadou Kourouma et Oui Mon Commandant d’Ampâté Bâ.

Tierno Monénembo, Le roi de Kahel, éditions du Seuil, avril 2008///Article N° : 8176

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© John Foley





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