Dans le style lyrique qu’on lui connaît, Tierno Monenembo nous entraîne dans ses deux derniers romans (Pelourinho, 1995, et Cinéma, 1997) dans les bars crasseux de Bahia sur les traces des descendants d’esclaves et nous fait goûter aux aventures de deux voyous amoureux de westerns dans une petite ville guinéenne. Entretien avec un écrivain cinéphile.
Votre dernier roman s’intitule Cinéma et raconte la vie de deux voyous amoureux de westerns. Pourquoi cette idée de cinéma dans le roman êtes-vous un cinéphile vous-même ?
Je suis un grand cinéphile ! Quand je pense à ma propre enfance, c’est le cinéma qui me vient en premier à l’esprit, le local même. Il symbolisait la ville plus que tout : une ville n’était une vraie ville que si elle avait sa salle de cinéma. Enfant, c’était pour moi le lieu où on pouvait se laisser aller dans l’imagination.
Vous connaissez donc vous-même tous ces westerns dont il est question dans le roman ?
Oui, je suis un amoureux des westerns que je voyais quand j’étais enfant. C’était une sorte d’école, qui nous offrait des images d’héroïsme dans cet environnement où l’héroïsme au quotidien était souvent bien difficile. Il y avait aussi les films hindous, comme Mother India que je voyais 2-3 fois par an, mais ils plaisaient plus aux filles qui appréciaient larmes et histoires d’amour à l’eau de rose. Nous les garçons, nous préférions les vrais westerns.
Et le cinéma africain ? Qu’en auraient pensé les deux héros de votre roman, Bente et Binguel ?
Oh, ça ne les aurait pas tellement intéressé. Le cinéma africain tend vers une logique pédagogique
Il serait d’ailleurs grand temps qu’il s’oriente plus vers la distraction, avec plus d’humour, de joie, enfin de la »fiction fictive ». Pourquoi pas un western africain ? Il y aurait bien matière dans l’histoire de l’Afrique avec toutes ces guerres, ces héros
Binguel et Bente auraient certainement apprécié !
Pourriez-vous penser que vos propres romans soient adaptés au cinéma ?
Oui, pourquoi pas. Ça me ferait toujours plaisir ! Ce serait une toute autre écriture, une nouvelle aventure. Ceci dit, pour l’instant, le cinéma africain ne dispose pas de beaucoup de moyens, les cinéastes doivent tout faire eux-mêmes. Il serait d’ailleurs intéressant d’organiser des rencontres entre cinéastes et écrivains africains, pour créer une collaboration dans ce domaine. Il y a des passerelles à construire. J’espère que ce travail viendra
Avant Cinéma, vous aviez écrit un roman sur le Brésil et ses racines africaines (Pelourinho). Vous avez vous-même vécu dans ce pays. Est-ce votre expérience qui vous a poussé à écrire le roman ?
En fait, c’est l’inverse qui s’est passé. Je voulais écrire un roman sur le Brésil et c’est pour cela que je suis allé dans ce pays. Le livre est paru deux ans après mon séjour.
Dans votre livre, le personnage principal, écrivain africain lui aussi, part à la recherche des descendants de ses ancêtres esclaves, de ses cousins comme il dit. Il reste cependant incompris par les Brésiliens quant à sa quête. Comment voyez-vous les racines africaines de ce pays ?
Ce roman est l’histoire d’un malentendu, entre Escritore et ses cousins, entre l’exalté qui vient chercher de la mémoire et le commun des mortels – toutes les tragédies naissent de malentendus. Quant à l’Afrique au Brésil, elle y est tellement présente et de façon tellement naturelle que les Noirs brésiliens n’ont aucun besoin de s’en revendiquer. Tout est là : les dieux, la cuisine, les tambours, la langue yoruba
C’est très différent des Antilles d’une part, où il y a une sorte de refoulement du côté africain, et de l’Amérique noire d’autre part, où il est question d’une mémoire perdue que l’on essaie de retrouver avec des constructions intellectuelles. Ce n’est pas le cas au Brésil où la culture noire est présente non seulement parmi les Noirs de Bahia, mais parmi toute la population.
On commémore cette année l’abolition de l’esclavage. Quel est le rôle de l’écrivain ou de l’artiste en général dans cette commémoration ?
L’écrivain ne peut qu’apporter des points d’éclairage sur le passé. Quant aux États qui célèbrent cette commémoration, ce n’est que langue de bois et mensonges. Il y a une sorte de guerre idéologique : on se dispute le fait d’avoir été les premiers à abolir l’esclavage
Cette commémoration devrait se faire en Afrique, avec les Noirs américains. On devrait organiser une journée qui réunirait Africains et Noirs américains, ériger des monuments sur les lieux où les esclaves ont été embarqués. Mais malheureusement ce n’est pas ce qui se passe.
///Article N° : 403