Les Barons

De Nabil Ben Yadir

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En Algérie, on les appelle hitites, « qui tiennent les murs » : au chômage et désoeuvrés, les jeunes attendent ensemble à l’ombre, adossés aux murs, que le temps passe. L’ironie des Barons est d’ériger cette inactivité en art de vivre, en Belgique. Ce groupe de copains qui s’attribuent le titre de baron ont une théorie : chaque pas nous rapproche davantage de la mort, le nombre de pas dans la vie étant compté. Mieux vaut donc ne pas bouger ! Le film commence ainsi sur les baskets nickels des trois Barons, Mounir, Hassan et Aziz, super propres puisque si peu utilisées ! Mais leurs voix les ont déjà précédés sur le générique, car quand ils ne somnolent pas, les Barons tchatchent. Et gravement. Pour tuer le temps, pour ne rien dire, des blagues pourries, ou décortiquant à l’infini la vie du quartier. Leur philosophie : rester hors d’atteinte. Leur légitimité : rester hors système, pas de compromis.
Des compromis, pourtant, ils en font. Comme Mounir qui organise des refus de priorité pour entôler les assurances. Mais la voix du père est là, avec laquelle il faut composer, avec son arsenal de conformité au modèle social pour lequel il a fait tous les sacrifices. Et la voix du père n’est qu’un des éléments de la norme patriarcale : le contrôle du frère sur ses sœurs, le machisme.
Deux personnages se détachent de cette vie prédéterminée : Malika y est parvenue, Hassan en est encore aux premiers essais. A la fois héros et narrateur, Hassan aime Malika, mais s’y prend comme un pied, embourbé qu’il est dans ses vieux réflexes. Malika est la sœur de Mounir et la sœur d’un pote, on n’y touche pas, « parce que c’est comme un pote, mais avec des cheveux longs ». Admiratif, Hassan retrace le parcours de Malika : « Elle a fait des trucs de tarés, pour devenir journaliste, elle a fait des études de journalisme, comme quoi des fois ça marche » ! Car Les Barons, sans jamais tomber dans la leçon de sociologie, n’oublie pas le social, et notamment comment les orientations scolaires coincent les rêves d’enfance. Le comique est toujours un tragique vu de dos, mais ici, l’humour tord si bien le cou à la gravité que l’élixir d’émotion et d’ironie fonctionne à merveille. C’est justement en convoquant l’ironie sur les stéréotypesque Les Barons évite de renforcer les clichés : plutôt que d’en dresser la liste, il les dynamise, montre qu’ils sont flexibles, évolutifs, qu’ils sont du vivant et non du définitif. Oui, la philosophie hédoniste et irresponsable des Barons les condamne à l’immobilisme et en définitive à la solitude. Mais ils sont aussi capables de s’organiser (une BMW achetée à huit), de réagir (saboter le mariage forcé grâce à la complicité de l’excellent Fellag alias Hergé !), de mobiliser leurs savoir-faire, de se prendre en mains, bref de se réveiller. Sans doute est-ce là l’appel du film aux jeunes issus de l’immigration : bougez-vous ! Il réussit la gageure de le faire sans lourdeur ni moralisme, sans condamner la culture dont cet immobilisme est issu, véritable révolte passive. Mais il s’adresse aussi à tous les autres en instaurant une heureuse familiarité avec ces jeunes qu’on ne peut plus juger avec les mêmes yeux.
Les Barons n’est pas sans évoquer les chefs d’oeuvre de Mahmoud Zemmouri comme 100 % Arabica, mais où la musique d’Imhotep (IAM) a remplacé celle de Khaled et Cheb Mami. La réussite du film, tient dans son cocktail bien dosé, dans ce qu’il ose sans s’y laisser piéger. Jamais le rythme soutenu ne fait clip, jamais le langage déjanté ne fait stéréotype. Au point que le théâtral reste crédible et que le récit reste imprévisible. Au point aussi que les emprunts à la culture du téléphone portable et à la bande dessinée fonctionnent sans coup férir. La mosaïque des Barons a les couleurs de la diversité joyeuse, ce qui fait sacrément du bien en ce moment !

///Article N° : 9157

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