Les différentes tendances des arts plastiques

Entretien de Bibish Mumbu avec Prof. Célestin Badibanga

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De formation scientifique, Célestin Badibanga a aussi fait des études politiques, sociales et économiques à l’université de Kinshasa. Il a créé avec notamment Clémentine Nzuzi Fayik et Isidore Ndaywel « la pléiade du Congo », association de critique interdisciplinaire, puis l’émission « Coin des artistes » rebaptisée « Culture et arts » en 1974 et qui continue encore sur Téléstar. Il anime l’AICA, branche congolaise de l’association internationale des critiques d’arts. De 1978 à 1998, il a enseigné à l’Institut National des Arts, et est responsable de la section arts modernes à l’Institut des Musées nationaux.

Quelles tendances sont décelables actuellement, quelle recherche ?
La plus courante est la tendance académique enseignée à l’Académie des Beaux Arts et qui répond à la figuration académique. Cependant, les étudiants formés évoluent après dans des tendances autres tout en restant dans une tendance globalement conventionnelle.
Il y a aussi la peinture populaire, tendance majeure de l’art contemporain congolais. A côté, de jeunes talents ou jeunes courants émergent aussi depuis 5 – 6 ans, qui relèvent de la récupération, ce sont les libristes. C’est une tendance qua l’on retrouve dans toute l’Afrique, expérimentée ailleurs. Les artistes restent bien sûr dans le contexte de leur biosphère. Il existe aussi une tendance qui s’inspire de notre tradition et que je nomme le néonégrisme : les artistes se ressourcent dans les traditions afin d’enrichir leurs expériences actuelles.
Peut-on parler d’émulation ou de blocage, vu que la société congolaise est peu ouverte sur l’extérieur ?
L’émulation avec l’extérieur n’est pas très intense, cependant depuis un certain nombre d’années, des contacts se font entre artistes d’ici et d’ailleurs, français, belges, à travers certaines manifestations, ateliers dialogues ou ateliers créatifs qui s’organisent.
De temps en temps, les artistes circulent et participent déjà à des activités au niveau africain comme la Biennale des arts bantous, qui sont des occasions de rencontres, de croisements. C’est aussi pratique car les artistes se mesurent les uns par rapport aux autres et cela ne peut que les enrichir mutuellement. La Biennale de Dakar reste la plate forme principale pour l’émulation des artistes africain sur le plan échanges et contacts. Ce sont les deux manifestations importantes sur le plan continental qui font le lien avec les organisations locales, la Halle de la Gombe (CCF) ou le Centre Wallonie-Bruxelles pour le cas de Kinshasa.
Pouvez-vous faire un historique des différents courants congolais ?
En RDC, l’art moderne, du moins à partir de la première tendance, est né du travail des artistes en contact avec certains administrateurs coloniaux qui ont seulement fourni le matériel de travail aux artistes sans leur apprendre à réaliser la figuration moderne. Ces artistes sont partis de l’expérience du terroir. Les premiers aquarionistes, qui ont commencé à travailler en 1926 (Lubaki, Tshelandende, etc.) en sont l’exemple. A l’origine sculpteurs et fescistes traditionnels, les premiers étaient des décorateurs de case. Au départ, leurs décos étaient géométriques, connues partout ailleurs, mais après ils ont commencé à faire tout à fait de la figuration, plus ou moins objective parce que représentant sur des murs des cases des scènes de la vie courante, aussi bien locale que celle qui représentait les contacts avec l’Occident. Et lorsqu’ils ont reçu le matériel d’aquarelle des Occidentaux, ils ont commencé à transposer des scènes figuratives sur ce support. Malheureusement, nous ne disposons pas de témoignages palpables et matériels de ces créations mais il en existe notamment en Belgique au cabinet des Estampes, au Musée Royal de Central de Tervuren, dans des collections privées. Leur naïveté n’est pas une naïveté d’esprit car ces gens ne l’étaient pas du tout sur le plan intellectuel. Leur regard était descriptif et même critique.
Ensuite est venue l’Ecole de Kinshasa, qui est à l’origine de l’Académie des Beaux Arts actuelle, créée par un religieux, un frère belge de la congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes, qui a carrément tout calqué sur les Beaux Arts belges. Pourtant, au départ, il voulait donner aux Africains l’occasion de s’exprimer dans une vision moderne tout en respectant leurs traditions. C’est ainsi que dans l’école Saint-Luc, appellation de l’époque, on voit des meubles, des motifs traditionnels, une armoire sous forme d’un tambour traditionnel, etc.
Cependant l’évolution aidant, d’autant que le frère fondateur était lui même de Saint-Luc de Belgique, c’est-à-dire un artiste formé, ses vieux amours ont pris le dessus et il a commencé à enseigner à nos artistes les normes, canons académiques gréco, c’est la base de la formation à l’Académie des Beaux Arts jusqu’à ce jour.
C’est seulement après que les artistes ont commencé à trouver des voies propres. Je pense que cette manière d’enseigner est bonne mais elle ne facilite ni ne favorise pas toujours le décollage personnel des artistes, ça ne reste qu’académique !
A partir des années 70, il y a eu émergence d’un esprit de controverse dans le milieu artistique avec l’avènement de l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art). L’association a su apporter la remise en question qui poussé les artistes à réfléchir sur leurs créations, et à avoir recours aux traditions. En 1974, les « avant-gardistes zaïrois », sous l’influence de l’AICA, ont été les premiers à se ressourcer dans nos traditions et ont généré une nouvelle tendance : le « néonégrisme » qui va s’élargir avec d’autres artistes qui apportent chacun son cachet personnel. Dans cette mouvance de remise en question, certains artistes se dirigent vers les sources de l’art rupestre comme Kamba Lossa. Ils ont généré ce que j’appelle le « néorupestrisme« .
Après viendront les Botembe qui évoluent aussi dans le néonégrisme auquel ils ajoutent une nouvelle dimension symbolique. Alors que les premiers se sont davantage penchés sur l’aspect esthétique, Botembe va ajouter une dimension sémantique et sémiologique à l’esthétique traditionnelle. Et à partir des années 1997 ce sera au tour du « librisme » de gagner du terrain : des artistes qui sont dans la récupération. Au sein du groupe chacun a son cachet, comme Francis Mampuya, Katembwé, etc. – la caractéristique commune étant la rupture volontaire avec l’académisme.
Quels sont les créateurs qui se dégagent ?
Parlons contemporain et par tendances.
Dans la peinture académique, des artistes comme Liyolo, Lema Kussa, Mavinga ou même Ndanvu, décédé il y a quelques années, se démarquent.
Dans le néonégrisme, actuellement Botembe et ses disciples, Dikisongelé et Matemo, évoluent dans ce sens ainsi que Mavinga, Bamba, etc.
Chez les libristes, les porte-étendards sont Katembwé et Francis Mampuya, qui ont exposé ensemble à la Halle de la Gombé (CCF de Kin) dans le cadre du festival Emergences, projet proposé par l’espace Akhenaton. Francis en est le concepteur, et le groupe est né suite à la concertation d’un trio, Eddy, Germain et Francis. Ils évoluent chacun indépendamment de l’autre, avec des expériences très intéressantes mises en valeur lors d’expositions et travaillent tous dans la récupération, les uns de manière très savante, les autres avec une géométrisation assez remarquable.
Dans la peinture populaire qui est l’une des tendances majeures de notre art contemporain, il y a des artistes comme Chéri Samba, Chéri Chérin, Sim Simaro, Bodo, M’fumueto 1er, Chéri Benga, Lusavuvu, Boluka, etc. Il existe réellement une certaine effervescence dans la création.
Quelles sont les thématiques privilégiées par ces artistes ?
Depuis les années 90, ce sont surtout les problèmes de société qui sont au centre de la création à Kinshasa. Les héros des histoires de BD de Mfumu’eto, ou sa peinture, sont marqués soit par les politiques, soit par les musiciens et la polémique qui règne avec eux, les pasteurs ou les faits sociaux criant dans un quartier ou un autre de Kinshasa. Les installations de Francis Mampuya comme sa peinture racontent son observation de la ville marquée par des problèmes de transport, les expressions des visages des Kinois des années 90, etc.
Figuration ou abstraction ? Quelle en est la perception du public ?
L’art figuratif est dominant, avec ses différentes dimensions et variantes d’autant que toute la figuration n’est pas académique. L’abstraction n’est pas très courante !
Quant au public, il faut distinguer plusieurs types…
Il y a le public occidental qui s’intéresse à tout ce qui est création en ébullition, et a donc pour champ de collection librisme et peinture populaire. L’art académique intéresse surtout les « bourgeois », c’est-à-dire tous ceux qui aiment l’art de salon plutôt que l’art qui fait réfléchir et interroge.
Quant aux masses populaires, elles sont très accessibles à la peinture populaire qui d’ailleurs leur est servie le long de grandes artères sans qu’elles aient besoin de se déplacer dans des salles. Les artistes vivent « à ciel ouvert » au milieu des masses, qui en retour les inspirent !
L’art académique ainsi que les autres expériences comme le librisme ou le néonégrisme sont un peu réservés mais cela ne signifie pas que les masses ne soient pas capables d’accéder à ces arts. Du moins c’est ce que je pense. Je l’ai expérimenté en organisant certaines manifestations dans des centres culturels. Je ne crois donc pas que la culture ne soit pas faite pour les masses ou que la consommation de l’art soit une chasse gardée des intellectuels. C’est simplement une question d’éducation esthétique et artistique nécessitant une pédagogie appropriée. C’est pour cette raison d’ailleurs que l’espace Akhenaton existe depuis 1989. L’éducation artistique populaire s’y pratique systématiquement par l’organisation de séminaires où des gens de tous âges font le tour des différents lieux, musées, académie, ateliers, etc.
Les artistes kinois peuvent-ils exposer ?
Il existe deux types d’expos, les permanentes et les temporaires. Les premières concernent par exemple une salle comme celle de l’Académie des Beaux Arts de Kin ou la salle d’expo du collège Boboto, les plus connues. Elles sont fréquentées par une clientèle sélect composée surtout d’expatriés. Les secondes sont souvent organisées par les centres culturels des pays amis avec la collaboration de partenaires locaux. Depuis 1989, c’est le travail que fait l’espace Akhenaton. Et le festival qu’on organise depuis un an avec la Halle de la Gombé, Emergences, va sur le même ordre d’idées. Il y a aussi eu d’autres expos comme le Carrefour de peinture populaire en 1994. Ce festival avait pour but d’amener les artistes à s’exprimer sur un thème bien précis, chacun étant évidemment libre dans son expression.

///Article N° : 2712

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