Calixthe Beyala n’est pas la première romancière africaine. Avant elle, deux de ses compatriotes, Marie-Claire Matip (Ngonda, 1958) et Thérèse Kuoh Moukoury (Rencontres essentielles, 1969), avaient déjà produit des » autobiographies romancées « . Au niveau africain, la reconnaissance internationale de la littérature féminine négro-africaine commence avec Mariama Bâ, auteur de Une si longue lettre (1979), un roman qui dénonce la condition de la femme dans la société sénégalaise. Mais malgré la révolte qui le traverse, ce livre écrit dans un style classique reste essentiellement intimiste. Il faut attendre la parution du premier roman de Calixthe Beyala, C’est le soleil qui m’a brûlée (1988), pour que l’écriture féminine africaine francophone réalise son » devoir de violence « . Celui-ci s’opère d’abord sur le plan linguistique, car Calixthe Beyala revendique une » écriture brutale, volontiers provocante, qui adopte la truculence du langage parlé… « (1) Il se réalise ensuite au niveau de l’espace du récit : un bidonville de Yaoundé baptisé le Q.G. Enfin, cette violence est déjà présente chez la protagoniste du roman, Ateba, puisqu’elle est la fille d’une prostituée née d’un père inconnu.
Cette audace consistant à mettre en scène un monde totalement marginal justifie peut-être la bonne réception de ce roman et de toute l’uvre de Beyala en France et aux Etats-Unis, mais cette subversion pose problème dans la mesure où elle ne s’accompagne pas toujours d’un véritable travail d’écriture littéraire : » Calixthe Beyala est un écrivain contesté, qui n’accepte pas les obligations implicites pour entrer dans le milieu littéraire. Aussi pourrait-on dire d’un mot qu’elle est un écrivain populaire qui sait trouver son public en appuyant le trait et en frappant fort. Il se trouve que ce faisant, elle met en valeur l’essentiel du monde et des êtres sur lesquels elle veut porter témoignage : ils sont frustrés, brutaux, pathétiques et dérangeants. Et si cette écriture (ou absence d’écriture) était la forme la plus adaptée pour dire la dérive africaine des années 80 et celle des zones inclassables de la société française partiellement policée ? « (2)
Ce point de vue de Denise Brahimi est partagé par Ambroise Kom, qui considère l’écriture de Calixthe Beyala comme une production essentiellement fonctionnelle : » compte tenu du réalisme de son style, de la vigueur et de la verdeur de nombre de ses descriptions, on peut dire que l’écriture de Beyala est essentiellement fonctionnelle, pratique : savoir dénoncer l’ordre patriarcal qui gouverne les relations entre les hommes et les femmes dans les sociétés contemporaines. « (3)
Ceci explique (peut-être) pourquoi les livres de Calixthe Beyala sont publiés dans la collection poche J’ai lu, consacrée généralement à la diffusion de la » paralittérature « .
Le deuxième écueil de l’uvre romanesque de Calixthe Beyala se situe dans le rapport très ambigu qu’elle entretient avec le public occidental. Dans son célèbre article L’écrivain africain et son public,(4) Mohamadou Kane a bien montré comment l’écrivain africain est partagé entre un public de cur (africain) et un public de raison (occidental).
Bénéficiant des traditions culturelles établies, ce dernier constitue son principal lecteur et son principal client, au point qu’il donne une orientation thématique à son uvre. Pour illustrer son propos, Mohamadou Kane cite l’exemple d’un écrivain africain à qui un éditeur londonien avait renvoyé le manuscrit suivi de la mention suivante : » Excellent roman, mais très peu africain ! » c’est-à-dire peu exotique.
Ce problème de l’exotisme fonde le reproche qu’adresse le critique camerounais Ambroise Kom à sa compatriote Calixthe Beyala : » Beyala ne répugne à aucun stéréotype, si infamant soit-il, pou dénoncer les perfidies de la femme et pour montrer comment elle se fit prendre au piège du mâle (…) et l’on peut comprendre que les critiques n’hésitent pas à accuser Beyala de s’adonner passionnément à une écriture pornographique, technique destinée à accrocher un public en quête d’érotisme et d’exotisme bon marché. D’autant que chez la romancière camerounaise, la promiscuité sexuelle implique effectivement toutes les races est presque tous les âges : » J’aime les gonzesse bien foncées de peau ; ça fait exotique et ça excite les Blancs » (Maman a un amant, p. 165).
Moralité : semble plus lu en Occident que par ses compatriotes : » En vedette dans certaines grandes surfaces en France, les romans de Calixthe Beyala ont également réussi à se hisser au hit-parade des textes cités dans nombre d’universités occidentales, singulièrement nord-américaines, et même dans les colloques scientifiques où il est question d’études féminines, d’études africaines et/ou du Tiers monde. Mais, assez étonnamment, le grand public africain et le monde universitaire du continent noir ignorent Beyala. Même au Cameroun, son pays de naissance et univers d’élection de nombre de ses créations, tout indique qu’au-delà e ses bruyantes apparitions à la télévision d’Etat lors de ses occasionnelles visites au pays natal, Beyala et son uvre passent totalement inaperçues. « (5)
Soulignons toutefois que ce danger de l’exotisme guette tous les écrivains africains. Il va de même au-delà de la fiction et concerne autant l’écrivain que le » savant « .
Réfléchissant sur la situation de l’anthropologue africain dans le contexte international de recherche, le philosophe béninois Paulin Houtondji constate que toue production scientifique africaine fonctionne comme un produit d’exportation. Pour Houtondji, l’anthropologue africain d’aujourd’hui produit un discours extraverti : il écrit pour un lectorat extérieur à l’Afrique, le plus nombreux et le plus sûr, dont il doit prendre en compte les attentes et les exigences.(6) C’est dire combien le danger de l’exotisme n’est pas le propre de Calixthe Beyala. Il est presque consubstanciel à tout discours tenu par un Africain.
1. Madeleine Borgomano, Calixthe Beyala, une écriture déplacée, in Notre Librairie n°125, Cinq ans de littératures, 1991-1995, Afrique noire, 1995, p. 74.
2. Denise Brahimi, texte de présentation consacré au dossier Calixthe Beyala dans Notre Librairie, op. cit. p. 63.
3. Ambroise Kom, L’univers zombifié de Calixthe Beyala, Notre Librairie, op. cit. p. 69.
4. Mohamadou Kane, L’écrivain africain et son public, Présence Africaine n° 58.
5. 1995, p. 64.
6. Paulin J. Houtondji, Combats pour le sens, un itinéraire africain, Les Editions du Flamboyant, Cotonou 1997, p. 255.Bibliographie
Gallimore, Rangira Béatrice, L’uvre romanesque de Calixthe Beyala, le renouveau de l’écriture féminine en Afrique francophone sub-saharienne, L’Harmattan 1997.
Houtondji, Paulin J., Combats pour le sens, un itinéraire africain, Les Editions du Flamboyant, Cotonou 1997.
Awa Thiam, La parole aux négresses, Denoël 1978.///Article N° : 174