entretien d’Olivier Barlet avec Rasmané Ouedraogo

Ouagadougou, 28 février 2003
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Quel objectif poursuivaient les acteurs en se réunissant au Fespaco ?
Nous voulions faire une sorte de critique sur notre profession : quelles sont ses contraintes, ses exigences, nos devoirs, avant d’aller vers une collaboration dans la production des films. Nous avons trouvé qu’il était nécessaire de créer un réseau de solidarité entre les comédiens africains pour revoir notre formation sous la forme académique ou bien de stages d’initiation des jeunes par les anciens. Nous avons ainsi créé un comité de pilotage élaborant des textes réglementaires et préparant une assemblée générale constitutive d’une structure fédérative.
Il s’agit donc de construire un réseau ?
Il n’a pas de banque de données nous concernant en dehors de celle que fait Casting Sud avec peu de moyens. Il faudrait pouvoir avoir en images ce que chacun peut apporter. Il y a parmi nous ceux qui ont un capital d’expériences à prodiguer. La création d’une école est coûteuse et pas forcément viable mais on peut faire profiter les jeunes de notre expérience.
Sur quelle base sélectionner les candidats ?
Le mot professionnel nous enferme un peu. Ce n’est pas le diplôme qui fait le talent. Si on veut se consacrer à ce métier, c’est être professionnel. Ce n’est pas une profession non plus qu’on fait quand on a rien d’autre à faire. On risque de ne pas mobiliser effectivement si on part d’une définition trop globale du comédien. Le professionnalisme signifie que c’est un métier, qu’on peut en vivre mais cela suppose un travail où on voit des films et où on lit. Nous ne sommes pas seulement une enveloppe charnelle qui dit un texte. Si on me prend dans un film, c’est qu’on a écrit le film en pensant à moi : je peux y participer.
N’est-il pas dangereux que le comédien participe à la conception d’un film ? N’y a-t-il pas confusion des tâches ?
Nous ne revendiquons pas la totalité du film mais nous disons que nous sommes une personne de réflexion qui peut contribuer. Si je perds deux ou trois jours avant le tournage mon père ou ma mère, suis-je utilisable ? Il faut qu’on soit proche avec le réalisateur pour qu’il en tienne compte. Les salutations matinales créent un lien qui signifie être proche.
Un professionnel peut-il jouer tout et n’importe quoi ?
On en triche pas sinon à fait du mime. Le cinéma, c’est de l’émotion. Quand je ris, je ne montre pas seulement mes dents : toutes me fibres doivent signifier que je suis heureux.
Quel a été votre rôle le plus marquant ?
« Poko », un court métrage d’Idrissa Ouedraogo, il y a vingt ans. Dans tous les films d’Idrissa, il y a au moins une image de « Poko ».
Qu’attendez-vous de l’internet pour la promotion des acteurs africains ?
C’est le point central pour la collecte des informations et leur publication. Le Fespaco nous a permis de mettre des photos d’acteurs issus de l’exposition réalisée au Zaka de Ouagadougou durant le festival sur leur site internet. Mais dorénavant, il faut créer le nôtre, plus actif, plus attrayant !
Quel est votre sentiment général à la fin de cette 18ème édition du Fespaco ?
Elle manque de fièvre, de passion. On est quelque peu dispersés. A part la mobilisation sur les comédiens de la part de la structure, il n’y a pas eu de mobilisation majeure de l’ensemble du festival. On est envahis ou confondus avec d’autres choses. La distance n’est pas forcément physique mais il faut se chercher pour se parler… Au niveau de la réflexion, il y a une maturité à trouver. Il faut serrer davantage sur le cinéma.
Ce thème était aussi un piège mais la presse a joué le jeu. Nous avons été sollicités de toutes parts, aussi bien en presse écrite que sur les télévisions et radios.
Mais la reconnaissance pourrait avancer : on a jamais donné un prix à un comédien pour l’ensemble de son œuvre alors qu’on le fait pour Sembène.
Sentez-vous une concurrence avec les acteurs noirs vivant en Europe ?
Le cinéma européen, par paresse ou par choix justificatif, prend les Noirs sans aller loin dans l’approfondissement des rôles. Ce sont des rôles alibi et prétexte. Un Européen aurait pu le jouer. La présence d’un Noir est souvent pour colorer le film. Si les cinéastes veulent utiliser les Noirs, il y a ici un véritable vivier, une pépinière d’acteurs. C’est ce qu’on fait les frères Dardenne : il voulaient un Noir pris dans la tourmente de l’immigration. Un Noir qui vit en Europe n’aurait pas joué de la même manière. De plus, nous représentons un vrai marché pour les films dans nos pays ! Nos compatriotes vont voir les films où nous jouons.
Mais il n’y a pas d’opposition entre les acteurs noirs d’ici et d’Europe. Nous sommes tous sous-utilisés ! Mes films ont été diffusés et je suis connu : il n’y a pas de concurrence.
Bien sûr, les acteurs noirs vivant en Europe ont une supériorité sur nous en vivant dans le monde du cinéma mais nous avons l’avantage en terme de nombre de films. Ils ne sont pas assez utilisés et ne le sont pas sur le Continent où on ne peut mettre à profit leur talent. Ona besoin d’eux pour trouver des pistes en Europe. Il faudrait qu’ils acceptent des boulots mal payés ici pour confirmer leur leadership !
Quels sont les pas en avant qu’aura permis ce Fespaco ?
1) Nous allons monter un scénario pour la lutte contre le sida, en suivant l’exemple de « Philadelphia ».
2) Nous allons mettre en place notre structure de coordination et de concertation.
3) Au niveau national, nous allons agir en termes syndicaux pour un statut officiel de l’artiste, avec un cadre juridique approprié.

///Article N° : 2783

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