Comment toucher un public aussi dépossédé de cinéma que celui de la RDC ? La réponse de Mweze est de faire sur place un cinéma populaire utilisant les deux ficelles qui avaient fait l’immense succès de son film vieux de 18 ans La Vie est belle : la musique et l’humour. Tourné à Kinshasa avec un faible budget et dans des circonstances elles-mêmes dignes d’une comédie (cf. sur le site les détails donnés par le réalisateur lors de la table-ronde sur littérature et cinéma en RDC du festival de Brown 2005), Les Habits neufs du gouverneur retrouve Papa Wemba en griot Makassi (« la force », en lingala) qui nous raconte en musique un conte sur la corruption du pouvoir, librement adapté d’un texte d’Andersen, conteur danois du 19ème siècle. Le souci pédagogique est évident : avec cette histoire de manipulation politique et de réconciliation, Mweze en appelle à la tolérance entre groupes ethniques aussi bien qu’à la vigilance. C’est sans doute là que, malgré une image soignée et un récit bien maîtrisé, le film perd la légèreté si appréciable de La Vie est belle. Dès le départ, le propos est grave : le film débute en beauté avec l’enterrement du narrateur (« Toi la mort, tu es un voleur, tu es notre rédemptrice, sauve-nous des malheurs de ce monde ») et se situe dans l’opposition entre deux groupes ethniques, les Zerbo et les Krowas. Le couple « zerbo-krowate » Féli/Mopaya sera déchiré par leur appartenance ethnique différente, la Krowa Mopaya devant se tenir cachée pour ne pas compromettre la nomination par les groupes d’intérêt internationaux de Féli, son mari zerbo, à la place enviée de gouverneur.
Les quelques clins d’il, l’apparition kitch de Papa Wemba en macaron ou certains textes de chanson comme lorsque la belle Miss Zerbo drague un Féli installé dans la plénitude des délices du pouvoir (« Féli tu es chic, tu es choc, tu es chèque ! ») peinent à restaurer de la spontanéité et un humour plombé par la teneur du message. On ne rit pas en regardant Les Habits neufs du gouverneur et la douce voix de Papa Wemba qui chante régulièrement la morale de l’histoire nous berce jusqu’à risquer l’assoupissement. Qu’est-ce qui aurait pu éviter au film de dodeliner ainsi ? Le jeu des comédiens ne peut se déployer car ils sont condamnés à mimer les textes chantés par la vedette ou bien à adapter leur rythme à une lancinante mélodie. La caméra accompagne la musique en tournant doucement autour des personnages mais finit par participer elle-même au mouvement général tandis que le commentaire précède souvent l’action, lui enlevant ainsi son impact narratif. Faute d’entraînantes chorégraphies de groupes, les seules étant les quatre vendeurs du magasin de tissus ou les cuisiniers du restaurant, le film se résout à une succession de saynètes s’apparentant davantage au clip qu’à la comédie musicale. Faute de pouvoir tourner en extérieurs et multipliant les scènes de nuit, l’enfermement est général, effet de toute façon recherché pour signifier la solitude de Mopaya et de son fils Petit-Prince, tandis que les gros plans soulignent la douleur des personnages. La belle voix grave du narrateur, Dieudonné Kabongo, instille elle-même de la distance alors même que le passage du récit du conte à la réalité cinéma risque l’invraisemblable, notamment lorsque Féli caresse le tissu supposé invisible que les larrons tailleurs prétendent lui avoir confectionné pour la « fête de l’éternelle jeunesse » (à Kinshasa, on appelle « l’enfant » le jeune président Kabila qui a été désigné sans élection pour succéder à son père).
Il est clair que les Congolais se reconnaissent dans les allusions à la situation de leur pays et apprécient l’ancrage du propos autant que les références culturelles. Mais en ce qui me concerne, même à la seconde vision, et malgré l’indéniable savoir-faire de Mweze et la belle volonté du film, je n’ai pu vraiment participer à ce drame musical, seulement bercé par la lancinante mélopée d’un Papa Wemba qui lui-même mise davantage sur sa voix que sur son corps.
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