Pièces d’identité

De Dieudonné Ngangura Mweze(RDC)

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Avec ce deuxième long métrage, le cinéaste congolais Mweze Dieudonné Ngangura remporte l’Etalon de Yennenga de la seizième édition du Fespaco. Dans un style alerte, il déroule sur un ton empreint d’humour et de poésie, entre le Congo et la Belgique, l’histoire rocambolesque d’un vieux roi africain, Mani Kongo, confronté à des personnages en proie à des problèmes d’identité.

Les désillusions d’un sage africain
Présenté en première mondiale, en mars 1998, à la huitième édition du Festival du cinéma africain de Milan, Pièces d’identités obtient le prix du public, signe du succès populaire d’une œuvre où pétillent le rire, l’émotion et la poésie. Construit selon les conventions de la comédie dramatique coulée dans une trame policière, le film relate sur un ton aigre-doux l’histoire d’un vieux roi africain, Mani Kongo, personnage incarné par Gérard Essomba, une des têtes d’affiche du cinéma camerounais. Dépeint comme une figure emblématique de l’Afrique traditionnelle, le vieux roi débarque à Bruxelles pour rechercher sa fille Mwana qui s’y trouve, depuis vingt années pour des études, sans daigner donner signe de vie. La douane aéroportuaire exige de lui une taxe à l’importation parce qu’elle perçoit sa toque, son collier en perles et son sceptre ciselé dans du bois rare, comme des œuvres d’art. Il s’en acquitte.
Son voyage s’ordonne en un cheminement initiatique que nous percevons comme la métaphore de la marche périlleuse de l’Afrique vers la modernité. Ses illusions sur le modèle culturel occidental s’effacent au contact de différents personnages typés qui traversent son parcours bruxellois à la recherche de sa fille. Tout le long de son périple, ses certitudes entretenues, depuis l’exposition universelle, sur les relations belgo-congolaises, sont mises à rudes épreuves. La caméra épouse le regard du vieux roi, à travers Bruxelles, pour dresser un vaste portrait haut en couleurs des populations d’immigrés africains. Sur la vaste toile tissée par le cinéaste se meuvent des personnages confrontés aux problèmes d’immigration et d’intégration, de pièces d’identité, subtile prétexte pour aborder la problématique à travers celle des relations nord-sud. Depuis La Vie est belle, premier long métrage, co-réalisé par Mweze Ngangura et Benoît Lamy ; Changa, Changa , Rythmes métissés, Le roi, la vache et le bananier, le cinéaste a fait de la problématique tradition et modernité, centrale dans Pièces d’identité, sa thématique de prédilection.
Pour traiter les problèmes d’identité, de permis de travail et d’intégration, différents personnages entrent en scène. Un jeune métis belgo-congolais, Chaka-Jo, trouve en Jean-Louis Daulne, célèbre auteur compositeur (dont la musique du film porte la griffe), un interprète au jeu convaincant. Dépeint comme un rebelle en rupture de paternité, à l’image des métis abandonnés par leurs géniteurs dans des orphelinats en Europe, au début des indépendances, Chaka-Jo braque des cabarets estampillés, une manière à lui de poser un acte contre l’exclusion. L’itinéraire du roi Mani Kongo croise celui de ce jeune nostalgique de l’Afrique qui lui témoigne sympathie et respect. Il l’aide dans ses recherches de sa fille Mwana, personnage magistralement campé par Dominique Mesa (prix d’interprétation féminine du Fespaco). Nous découvrons, en même temps que Chako-Jo que la charmante et sensuelle jeune femme est la princesse que le vieux roi recherche. Et que Chaka-Jo est épris de Mwana qui, pour résoudre ces problèmes de carte de séjour, est devenue indicatrice pour le compte d’un inspecteur traquant sans répit son prince charmant…
Entre-temps, le roi s’est fait escroquer par un jeune sapeur congolais, représentatif de la masse de jeunes désoeuvrés qui arpentent les rues des capitales européennes. Pour résoudre ces problèmes d’argent, Mani Kongo, enfreint la tradition pour gager ses attributs royaux auprès d’un antiquaire qui s’empresse de les mettre en vente à la vitrine de son bazar. Le périple du roi Mani Kongo se transforme en un cauchemar qui lui fait perdre toutes ses illusions.
Connaissant parfaitement la communauté africaine de Bruxelles, le cinéaste dresse une série de portraits où se reflètent les comportements des immigrés. Il réussit, en mettant en évidence hypocrisie, cupidité et escroquerie à traiter du racisme, des relations Nord-Sud, jouant sur les décalages des uns et des autres par rapport à l’Afrique et à l’Europe. Au terme de son long voyage au bout de ses illusions, le roi prend conscience que la tradition n’est pas immuable. Il se convainc que les changements doivent être opérés de l’intérieur. Maîtrisée de bout en bout, la peinture sociale de Mweze Ngangura est illuminée par le jeu de ses personnages filmés avec beaucoup de tendresse. Il a su choisir les plages musicales contribuant à ce climat tonique qui fait la qualité du film.

///Article N° : 833

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