L’évocation du couple notionnel Masculin / Féminin fait facilement penser exclusivement au féminin, ou aux rapports de genres défavorables aux femmes. Pris isolément, l’un des termes, le premier, ne poserait pas problème. Mais le second renvoie à l’institutionnalisation, puis à la cristallisation de l’infériorité de la femme, infériorité tenue pour universelle et dont les complexes contenus se recoupent quelle que soit la société prise comme objet d’analyse.
Posé sous cet angle, le complexe problème du Masculin / Féminin entraîne, hélas, des discours un peu trop convenus, sinon relativement défraîchis, pour ne pas dire carrément dépassés. Car, dès que l’on réduit les choses au débat féministe, il y a déjà une chose importante qui est occultée automatiquement : le féminisme, bien qu’il soit une lutte légitime, n’a jamais été l’expression des aspirations égalitaires de toutes les femmes. Il est, comme toute théorie destinée à éclairer une lutte sociale et politique, une tentative de mobilisation qui s’appuie sur des concepts qu’il combat d’ailleurs le plus souvent. Par exemple, le féminisme ne pourrait avoir la moindre crédibilité s’il n’acceptait comme réelles les catégories de femme et d’homme. Même s’il insiste sur le caractère manipulateur du concept de femme (on ne naît pas femme, on le devient), il ne peut exister sans élever au rang d’une réalité tangible ce même concept. Il y a des femmes, il y a des hommes et c’est des rapports entre ces deux réalités que naissent les problèmes à résoudre.
Ainsi, le féminisme apparaît-il aussi comme un nouveau contenu, une nouvelle manière d’être, de s’appréhender, qui, loin d’être un écho naturel des aspirations des femmes, s’impose plutôt à nombre d’entre elles. Comprendrait-on autrement que parmi les plus terribles adversaires de ce combat, il y ait des femmes ? Elles ne se retrouvent pas dans la définition des nouveaux rôles et des nouvelles attitudes de la femme en société à l’égard de l’homme. Elles se sentent même parfois dégradées par cette nouvelle philosophie, surtout lorsqu’on la réduit à sa dimension sexuelle, c’est-à-dire à l’ensemble des revendications en vue d’une libération sexuelle. Ou, pour résumer les choses, à tout ce qui semble nous convaincre que pour la femme révoltée, l’homme, dans toutes ses bêtises, demeure le modèle, l’idéal vers lequel il faille tendre.
Enfin, le problème du Masculin / Féminin devrait être élargi, nous semble-t-il, aux processus de constructions sociales, politiques, économiques, religieuses, etc., rendues possibles, voire nécessaires, par les irréfutables différences dans la morphologie des êtres des deux sexes. On ne naît pas femme on le devient : c’est aujourd’hui admis. Mais on ne naît pas plus homme. Dans ce cas, serait-il plus facile de devenir l’un ou l’autre ? Ne s’agit-il pas dans les deux cas d’un contenu de base, modifié au fil des siècles, relatif aux différentes cultures, qui s’impose au masculin comme au féminin ? Pourquoi dit-on par exemple que tel homme n’est pas un vrai homme sinon parce qu’il devait être conforme à ce contenu ? Comme la femme.
L’homme et la femme, en tant que réalités absolument distinctes, ont d’abord été des constructions sociales justifiées entre autres choses par la différentiation des tâches et des responsabilités. Que de là il y ait eu un glissement vers l’attribution des caractères moraux à chaque genre, généralement aux dépens des femmes, est une chose compréhensible : distinguer, c’est créer l’autre, et l’autre ne peut exister s’il ne correspond à un portrait imaginaire à travers lequel sa réalité est jugée. Inutile de reprendre ici toutes les injustices que cela crée toujours. Mais, là où le problème s’est compliqué, c’est surtout lorsque cette construction socialement nécessaire est devenue aussi intellectuellement indispensable. L’homme et la femme sont des catégories de la réflexion, de la pensée sociale, politique, morale et religieuse. En tout cas, on ne peut penser la société sans les utiliser.
De cette manière-là, on en vient à renforcer la distinction, la différenciation, entre les genres, à raisonner comme si les attributs à chacun de ces genres étaient naturels, propres à lui. Les femmes et les hommes tombent dans ce piège et personne ne peut le leur reprocher dans la mesure où la complexité du problème entraîne inévitablement cette contradiction.
Peut-être verra-t-on dans les contributions qui vont suivre l’illustration de cette contradiction. Ce ne serait pas lié à la faiblesse de la réflexion des auteurs, mais au fait que personne n’y échappe, qu’il s’agit d’un problème qui semble assez connu sans l’être jamais assez.
///Article N° : 1725