Mon frère, de Julien Abraham

Les origines du pathos

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En sortie le 31 juillet 2019 dans les salles françaises, le troisième long métrage de Julien Abraham (La Cité rose, Made in China) est un film choc qui ouvre peut-être à d’autres questions que celle qu’il veut poser.

Julien Abraham ne fait pas un film en l’air. Il avait accompagné son premier long métrage, La Cité Rose, à plus de 200 débats dans les MJC, les centres sociaux, mais aussi en prison, dans les foyers, en CEF… Un Centre Educatif Fermé, où sont placés les mineurs délinquants en attente de jugement, c’est justement le cadre de Mon frère, qui porte lui aussi sur la violence et les jeunes. Il a fallu plus de trois ans pour développer le film avec Sadia Diawara, son producteur, et écrire le scénario avec Jimmy Laporal-Trésor, son co-scénariste et Almamy Kanoute, un éducateur engagé qui tient dans le film le rôle de Papou, un éducateur balaise qui en impose. Le lien avec les jeunes est permanent, jusqu’au choix de l’affiche !

Aïssa Maïga dans Mon frère © Sébastien Répécaud

Le déclic ? Un livre de Richard Hellbrunn, A Poings nommés, qui raconte la genèse de la psychoboxe, une discipline inventée par des psychologues pour libérer la parole grâce à la boxe. Aïssa Maïga fait de la boxe et dans le film, elle est une psychologue, femme parmi des garçons violents, qui sait garder la distance tout en étant à l’écoute. Si le CEF évite aux mineurs la prison, cela ne les empêche pas de se répercuter la violence qu’ils ont subie.

L’acteur et réalisateur Jalil Lespert incarne un éducateur qui lui aussi sait écouter les jeunes, tout en restant très ferme sur les comportements. Lorsque Teddy arrive dans le CEF, il repère ses capacités et son refus de la violence. Teddy aussi porte des blessures qu’il ne sait comment gérer, tout comme Enzo (Darren Muselet), un jeune sans famille, à fleur de peau, dont l’agressivité masque mal le trauma.

Jalil Lespert dans Mon frère © Sébastien Répécaud

La fiction rejoint la réalité : à l’heure où nous écrivons, le rappeur MHD est depuis sept mois en détention provisoire, soupçonné d’avoir participé à une rixe où un jeune a perdu la vie. Il est parfait dans le rôle de Teddy : silencieux et intérieur, d’une impressionnante présence. Les souvenirs qui remontent à la faveur de la psychoboxe campent peu à peu son drame. Son décalage avec les autres jeunes, notamment avec un autre Noir, Mo (Najeto Injay), qui le manipule, permet de rompre la fatalité de la violence et d’un destin tracé.

Visiblement sincère et profondément ancré dans le réel de ces jeunes fracassés, Mon frère impressionne par sa maîtrise du rythme soutenu par la caméra portée qui épouse les élans et capte les regards : le film est d’une grande tension tout en ménageant l’intensité humaine. S’ils évitent la pesanteur des confidences, les flash-backs sur la violence du père, la protection du petit frère et la scène du drame de Teddy ont cependant eux aussi leur poids de pathos explicatif.

MHD dans Mon frère © Renaud Konopnicki

Ce ne serait pas forcément gênant si cela ne risquait pas d’occulter le trauma induit par la société elle-même, ses exclusions, ses parcours obligés, son racisme. Le film est un choc, certes, qui nous place devant la question de la violence faite aux jeunes et de celle qu’ils répercutent, en recherche de solutions (le CEF n’est pas vraiment présenté comme un havre de paix, même si les éducateurs veulent croire au potentiel des jeunes !). C’est sa force et sa fonction.

Cependant, « un film, c’est comme l’amour », disait Jean-Louis Bory : « il est beaucoup plus que ce qu’il est ». Il nous fait bouger quand il rencontre en nous une part d’irrésolu, une question sans réponse, autre chose que ce qu’on pensait y trouver. C’est là qu’il nous relie au monde et nous fait avancer. Dans Mon frère, comme on peut l’escompter, le poids est sur la famille : sa violence ou son absence. La seule référence à la société est qu’elle n’offre pas de voie de secours (« Le bac ? Ça ne sert à rien », dira Teddy qui a perdu espoir). Dès lors, la psychoboxe qui expurge la violence familiale risque de ne pas suffire…

C’est alors que la spécificité culturelle de Teddy se pose : une famille antillaise. Pourquoi antillaise alors que MHD, Mohamed Sylla, est de père guinéen et de mère sénégalaise ? Ils ont certes la peau noire… Avec un tel amalgame, que le personnage central de Mo vient accentuer, le spectateur de ce film largement distribué ne risque-t-il pas de rejeter l’origine de la violence sur un machisme venu d’ailleurs ?

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2 commentaires

  1. Dommage que le film n’explore en effet pas davantage les parcours sociaux de ces jeunes pas gâtés par la vie. Le film termine par une ordonnance de 1945 rappelant que la France ne doit pas laisser tomber ses jeunes, on aurait pu aussi insister sur le volet politique à l »heure où le travail social est plutôt en souffrance. En outre, la psychoboxe aurait pu être davantage mise en avant, d’autant qu’elle ne sert pas uniquement aux jeunes à exprimer leur trauma mais également aux éducateurs pour appréhender la violence corpelle et comment l’apprivoiser (voir par exemple cet article : https://www.lien-social.com/Pour-une-approche-alternative-de-la-violence). Néanmoins, il a sans doute (?) le mérite de faire approcher la complexité de la violence juvénile à un public qui peut être tenté par un regard simpliste à son égard.

  2. L’année dernière, j’ai lu le livre du même nom de la collection de classiques du monde et, enfant, j’ai regardé un vieux film, et maintenant j’aimerais vraiment voir une nouvelle version de cette histoire instructive

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