Le 5ème Panorama des Cinémas du Maghreb (8-11 avril 2010 au cinéma L’Ecran de St Denis) rendra cette année hommage à Djamel Kelfaoui, Algérien né à Paris mais mort en Algérie en mai 2009 des suites d’une violente altercation avec un officier de l’armée à Laghouat en Algérie. C’était un cinéaste militant des quartiers populaires de Bondy, qui avait créé l’association SOS ça bouge et lancé le festival « Y’a de la Banlieue dans l’air ». Le Panorama présente son portrait Cheb Hasni, je vis encore ! idole du raï assassinée en septembre 1994 à Oran, à l’âge de 26 ans. Invités d’honneur, Abdellatif Ben Ammar présentera Aziza, son grand classique (1980), et Lyes Salem ses courts et Mascarades (2008). La programmation table aussi sur les succès récents : Number One de Zakia Tahiri, Casanegra de Nourredine Lakhmari, Amours voilés d’Aziz Salmy, et offre en avant-première Les Secrets de Raja Amari tout en montrant son premier long, Satin rouge (2000). Nous nous concentrons ici sur une des forces du Panorama : les courts métrages, pour lesquels un jury lycéen décerne un prix et le public son « coup de cur ». Ne nous ont été communiqués que les sept courts de la compétition.
Que nous disent ces courts de nos années 2000 ? Ils sont aussi divers que nos confrontations culturelles, aussi déchirés que nos prises de consciences, aussi mouvants que nos repères. Ils sont davantage bourrés de questions que de réponses, faisant ainsi honneur au cinéma comme art et non comme certitude.
Question de la représentation d’abord. C’est vraiment en tête à claque qu’Amina Zoubir prend le bus caméra au poing dans Prends le bus et regarde. De quel droit assommer de cet il voyeur les paisibles voyageurs ? Surtout sans prévenir et sans mot dire. Les légitimes réactions ne se font pas attendre. Placé derrière la caméra, le spectateur est tout aussi gêné, agacé, trituré.
Dans un monde où plus on communique, plus on est seuls, le plasticien Mohammed Bourouissa convoque l’extrême de l’enfermement carcéral dans Temps mort: le téléphone portable permet non seulement de parler et d’échanger des textes, il autorise les images, que le grand écran pixellise mais qui témoignent d’autant plus de la précarité. A l’insu des grilles et des murs, les rues de la ville pénètrent dans la prison, qui se dit elle aussi en tristes plans de son austérité. Plus encore, c’est la sensualité qui se donne en cadeau pour tromper la solitude. Les murs existent, mais la représentation peut les sublimer.
Il faut pour cela une bonne dose de rêve, comme ce migrant Béninois de Paris-sur-mer de Mounir Abbar qui bloque sur la traversée de la Méditerranée mais se fait écrire une lettre à sa famille décrivant Paris en bord de mer. Le clin d’il est plein de poésie et donne épaisseur tant aux personnages qu’à la situation, à la différence de ces courts qui les stéréotypent si souvent sous couvert d’exercice de style.
Dans cette épaisseur, c’est le temps qui revient, le temps du cinéma qui transcende la durée du film pour évoquer un passé et un avenir au-delà du présent. La maîtrise du court n’est plus dans son brio mais dans cet élargissement du temps qui ne peut venir que de la dose d’humanité que portent tant les personnages que les situations. A cet égard, le réjouissant Sektou (ils se sont tus) de Khaled Benaïssa est à la limite de la carte de visite bien ficelée. Son Poulain d’or au Fespaco et sa tournée internationale des festivals montrent à quel point ça plaît. Ce qui réjouit, c’est son ton personnel et déjanté, soutenu par Mohamed Soudani à l’image, qui laisse déborder un imaginaire. Dans une émission de radio, on raconte ses rêves, des rêves pour réveiller ! Et quand l’animateur va se coucher et rêve, c’est l’Algérie qui se réveille ! Sa vision surréaliste mêle dans une rue d’un quartier populaire d’Alger message patriotique, drapeau, interdictions, peur d’un attentat mais aussi danses et gnawas
Sans doute cette distance est-elle nécessaire quand la réalité est kafkaïenne, mais Sektou, très officiellement porté, ne dérange ni grand chose ni grand monde.
C’est également le cas du fort classique Des enfants dans les arbres de Bania Medjbar. Convoquez des enfants plutôt mignons qui s’échappent et traversent la ville pour retrouver leur père incarcéré, et le sentimental arrive au grand galop. La méchanceté des autres gamins qui leur piquent leurs vélos en rajoute une couche. Si bien que la meilleure scène du film est davantage la descente de police dans l’appartement familial, où la réalité revient frapper à la porte.
Dans Fatah, la manière dont Abdenour Ziani inscrit son personnage dans son environnement de travail ou d’habitat procède de la même grâce d’un réel transcendé : c’est dans cet écart entre le trivial et le sublime que se glisse l’émotion. On peut alors voir dans ce peintre en bâtiment un personnage et non une bête de foire. C’est une personne et non un phénomène qui écrit et déclame ses poésies de révolte et d’espoir, et qui ne lasse pas de nous étonner !
Le projet de Teriague d’Ayan Ken est de chercher des lignes de fuite comme le ferait un Tariq Teguia dans Inland, au cours d’un déplacement vers le Sud de la Tunisie qui le fait marcher dans le désert ou rencontrer des Bédouins dans leurs festivités. Mais le simple accompagnement filmé du déplacement ou d’un concert ne suffit pas à établir la tension qui fait la qualité des films de Teguia. Le protagoniste marchera dans les pas des Bédouins mais il ne nous a pas fourni ce qui nous permettrait de le suivre. Sans épaisseur et sans passé, ce personnage n’existe que dans l’intention du réalisateur. Il n’a pas cette part de mystère qui aurait pu résonner en nous, tant il n’est que mystère, sans que le rythme que cherche le film dans des chorégraphies dans le désert ou dans des musiques ne le dévoile davantage.
Là est toute la difficulté du court métrage : donner aux personnages la liberté qui leur permet d’échapper au poids du scénario ou du projet, si bien que la vie se déploie à chaque plan. C’est dans cette liberté que s’ouvre pour le spectateur le sentiment du temps et du rythme qui lui permettra d’adhérer.
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