Maîtres, de Swen de Pauw

La juste distance

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En sortie salles en France le 1er février 2023, Maîtres interroge le droit des étrangers dans une société qui ne met pas en place les outils d’accueil qui respecterait leur humanité.

Bienveillance des avocats… C’est de leur point de vue que se situe Maîtres, le troisième long métrage de Swen de Pauw après Comme elle vient (2019), où un psychiatre raconte l’engagement de sa vie, et Le Divan du monde (2016), sur sa pratique psychiatrique. Il suit ici Christine Mengus et Nohra Boukara dans leur cabinet spécialisé en droit des étrangers. Suivre les dossiers des immigrés, cela ne veut pas dire les ménager ou les materner ! Conscientes des arcanes du droit, elles savent que la vie de leurs clients dépend des décisions judiciaires et ne leur promettent ni monts ni merveilles. Elles ont en face une administration parfois revêche et des juges pas toujours coopératifs. Le titre anglais est d’ailleurs A Sense of Justice.

Mais elles les rassurent aussi, car la compétence de leur expertise est la meilleure chose à opposer à ce système complexe et souvent inhumain. Elles guident leurs clients autant qu’elles le peuvent dans les méandres administratives et leur évitent le piège de la solitude.

Elles mesurent aussi leurs limites, leur impuissance dans certaines situations, leur fatigue. Passionnée, Christine Mengus s’emporte parfois tandis que Nohra Boukara garde un calme olympien pour éplucher les possibles.

Comparable à celui de La Permanence d’Alice Diop et tout aussi accessible malgré la complexité du droit, le dispositif de Maîtres est simple : dans le huis-clos étroit de leurs bureaux, les avocates tentent d’expliquer l’extrême complexité administrative à leurs clients, ces citoyens de seconde zone qui leur font part de la précarité de leurs situations. Pas de pathos ou de montée de tension artificielle : la caméra est fixe, centrée sur les visages, les récits, l’écoute, les réactions. Ce cinéma direct est à la mesure de la durée des procédures, parfois des années.

Un an de tournage, 90 jours de montage : la richesse de ces échanges est impressionnante. Ils dévoilent les absurdités, les contraintes multiples, les stratégies, les contradictions, les préjugés…

Centrer le film sur les avocates au travail ne va cependant pas sans contraintes : abordant un bon nombre de cas, il ne permet de saisir que par bribes la parole des migrants. Avec quelques plans sur le personnel et son quotidien difficile, il n’aborde aussi que peu la dimension collective du cabinet, voire les moments de réflexion ou de détente. L’humour est présent, mais au compte-gouttes.

Les deux femmes font preuve d’une impressionnante détermination, faite d’expérience et de métier. L’empathie de se fait discrète : la caméra conserve sans cesse une distance que l’on peut considérer comme juste car elle nous implique sans nous lier, préservant la possibilité du doute comme ferment de liberté.

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