En tant qu’avatar de la colonisation, le musée assume et affiche certains réquisits de la modernité. Au nombre de ces dispositifs qui ensemble créent et activent un système néocolonial de production et de consommation d’objets, constituant le musée en épicentre, on peut retenir : la logique libérale du marché, l’idée de collection, le modèle esthétique.
« Quel avenir pour notre art dans un monde où les artistes vivants sont pour la plupart opprimés ?… une seule solution, c’est d’être accepté en France. Il paraît que, un artiste accepté en France est sans doute acceptable partout dans le monde entier. Et qui dit France, dit le musée d’art moderne. Oui mais, ce musée d’art moderne n’est-il pas raciste ??? » Ces mots sont ceux de Chéri Samba qu’il a peint sur le premier tableau de son triptyque intitulé « Quel avenir pour notre art ? » Ces mots, pour leur franchise comme pour leur pointe d’humour, peuvent résonner longtemps
comme de nombreuses maximes du grand peintre congolais. Sa voix sonne juste pour ouvrir ce numéro d’Africultures consacré « aux musées africains et à l’Afrique au musée ».
Notre dossier paraît alors que le monde des musées, désormais mondial lui aussi, est en pleine ébullition. Il y a un an ouvre à Paris, dans un climat de controverse, le fameux « Musée des arts premiers » finalement baptisé Musée du quai Branly. Quelques mois plus tard, trois personnalités du monde de l’art font paraître dans le quotidien Le Monde un article retentissant intitulé « Les musées ne sont pas à vendre », dans lequel ils dénoncent le projet, piloté par l’État français, de construction d’un « Louvre » à Abu Dhabi
Les projets de musées grandioses fleurissent à travers le monde. Bref, ce secteur culturel est en pleine révolution… Pour le meilleur ou pour le pire ?
Les avis sont partagés et les situations contrastées. D’une part, bien sûr, beaucoup saluent la métamorphose qu’ont opérée nombre de ces institutions depuis vingt ans. Elles ont su renouveler leurs approches muséographiques, attirer de nouveaux publics, s’inscrire dans le tissu culturel des villes
devenir des lieux de sociabilité, vivants et attractifs. Ces musées représentent désormais pour les pays du prestige, de l’influence et de la visibilité internationale. Mais ils n’échappent pas à la mondialisation et la marchandisation galopantes de tous les secteurs culturels. Tout en se revendiquant du principe d’universalité, ils se frottent de plus en plus aux lois du marché. La concurrence, le souci de rentabilité à court terme et la course aux moyens financiers s’accroissent proportionnellement. D’aucuns dénoncent avec inquiétude cette mutation commerciale. Les musées vont-ils devenir des entreprises comme les autres ?
Dans ce contexte de mutation problématique, quelle est la situation des musées en Afrique ? A-t-elle évolué ces dernières années ? Comment et pourquoi ? Quels sont encore les principaux freins au renouveau des musées sur le continent ? Quels sont les projets et les expériences porteurs d’espoir ? Ce dossier tente notamment de répondre à ces questions. L’Afrique n’est pas en marge de la révolution muséale en cours. Une génération de professionnels compétents et déterminés oeuvrent pour améliorer la considération, la conservation et la valorisation des patrimoines matériels et immatériels dans leur pays, leur région ou leur continent. Certes, la faiblesse des politiques culturelles et le désintérêt des dirigeants africains, en général, pour le patrimoine sont encore criants. Mais des initiatives privées et publiques se multiplient pour uvrer au développement et à la modernisation des musées, qu’il s’agisse, entre autres, de l’École du patrimoine africain (EPA) et de la Fondation Zinsou, au Bénin, ou de la rénovation exemplaire du Musée national au Mali.
L’Afrique s’est-elle enfin appropriée ces institutions souvent héritées du passé colonial ? Depuis le cri d’alarme lancé en 1991 par le président d’alors du Conseil international des musées (Icom), Alpha Oumar Konaré, le rapport des musées aux populations locales semble globalement avoir peu évolué. Tout reste encore à faire dans ce domaine. Les expériences passionnantes des Banques culturelles au Mali et des Scénographies urbaines à Kinshasa, qui sont relatées dans ces pages, montrent que l’Afrique ne peut se contenter de copier l’Occident. Elle doit réinventer ses musées selon ses propres critères et exigences, sortir du « fonctionnement du système muséal » qui, comme le souligne Yacouba Konaté, « procède à une mise à mort symbolique du sujet créateur africain ». Elle doit inventer de nouvelles formes de monstration.
Nous ne pouvions donc envisager un tel dossier sans interroger les nouveaux enjeux muséographiques liés à la présentation d’objets dits « africains » dans les musées d’Europe. La réflexion de l’artiste Hassan Musa à ce sujet, qu’il nous livre dans son très beau texte intitulé « Les fantômes d’Afrique dans les musées d’Europe », est particulièrement stimulante. Que tous les contributeurs – artistes, chercheurs, professionnels ou journalistes – qui partagent leur expérience ou leur expertise au fil de ces pages soient vivement remerciés. La confrontation de leurs points de vue s’avère tout à fait éclairante.
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