Une synthèse intérieure

Entretien de Catherine Ruelle avec Jo Gaye Ramaka

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Dans des courts métrages comme « Ainsi soit-il » ou dans les longs métrages comme « Nitt… Ndoxx ! Les faiseurs de pluie« , vous avez exploré la spiritualité sénégalaise.
Oui, c’est vrai que c’est quelque chose qui vient de loin. J’ai grandi dans une famille à une sorte de carrefour spirituel. J’ai un grand père que j’adorais qui jusqu’à la fin de sa vie est resté animiste. Mon père, qui est pourtant musulman, a voulu que les enfants suivent la religion de la mère, c’est quelque chose d’extrêmement rare. Et puis j’ai toujours constaté autour de moi que quand il y avait un enterrement d’une personne catholique, par exemple, les musulmans étaient là, les animistes aussi. Ça faisait une symphonie extraordinaire où chacun, partant de sa croyance, se retrouvait avec l’autre ou à côté de l’autre et communiait spirituellement. Ce qui fait qu’ayant une formation anthropologique, c’est dans ce domaine que j’ai commencé à travailler en me posant la question des croyances traditionnelles. Quelles étaient-elles ? Comment survivaient-elles dans un contexte ou entre temps le Sénégal avait été gagné soit par l’Islam, soit par le Christianisme. Et c’est tout le travail qui a été fait dans le long métrage Nitt… Ndoxx ! C’était un travail sur les animistes. J’ai travaillé avec des prêtres qui, tout en pratiquant les rituels issus de leur pratique et croyance ancestrales, étaient officiellement soit musulman, soit catholique. Cela m’intéressait de voir comment ils réussissaient à faire la synthèse. Et ce que j’en ai retenu, c’est ce que me disait un vieux : ce qui est important pour l’homme, quelle que soit sa croyance, c’est la part d’amour de l’autre qu’il a en lui ; à partir du moment où un homme aime son prochain, à partir du moment où on accepte que l’homme soit le frère de l’homme, quel que soit son point de départ, on se retrouve sur l’essentiel.
Et cette synthèse, ils ne la faisaient pas avec d’autres mais en eux-mêmes, ce qui fait qu’ils pouvaient être musulmans ou animiste, spirituellement ça ne les gênait pas, au contraire ça les renforçait.
Il y a une séquence que j’aime beaucoup dans le film : un moment où on part des rituels de pluies animistes, pour arriver dans une église où à l’occasion on priait également pour que la pluie tombe et on termine dans une mosquée. Je me suis rendu compte que c’était le même espace rituel ; c’était la même foi. C’étaient les mêmes hommes qui étaient là et c’est ce Sénégal-là que je connais, c’est ce Sénégal-là que j’aime.
Dans « Ainsi soit-il« , au-delà du problème de couple, il y avait l’animisme puisqu’on était baigné dans cette espèce de nuit fatale ?
« Ainsi soit-il » est parti d’une discussion avec Wole Soyinka que je n’ai pas pu terminer. Nous parlions d’une de ses pièces de théâtre ou il mettait en scène une sorte de Christ Noir. Je ne partageais pas les conclusions de la pièce de théâtre et je lui disais que j’aimerais continuer le débat avec lui à travers un film. C’est devenu « Ainsi soit-il » : je raconte l’histoire d’une personne qui revient au village, un village ancré dans un certain nombre de croyances, notamment celle qui veut que quand ça va mal, il faut pouvoir faire un sacrifice.
Dans la Bible, Abraham pour ne pas sacrifier un homme, sacrifie un agneau. Ou bien il faut sacrifier une bête, sacrifier un homme pour réussir à absoudre les péchés de l’homme. C’est une question récurrente de l’histoire de l’humanité.
Cet instituteur rentrait au village en refusant dorénavant de se fondre dans cette mouvance. Il décide de faire rupture mais il est dans une quête purement individuelle.

Nitt… Ndoxx ! Les Faiseurs de pluie, 1988, 16 mm gonflé 35mm, coul, 86 min., avec Joe Ramanjeliffa.
Ainsi soit-il, 1997, 35 mm, coul, 33 min., collection Africa Dreamings, avec Félicité Wouassi et Alex Descas. ///Article N° : 2192

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