Du 22 septembre au 2 octobre 2004 pour la Rétrospective puis du 5 au 9 octobre pour le festival, la ville du Port de l’île de la Réunion avait la chance d’avoir accès à des films rares et ancrés dans les différentes composantes de sa population.
« La Suisse de l’Océan Indien » : c’est vrai qu’à la Réunion,, on se sent moins en Afrique qu’en Guadeloupe ou Martinique. La départementalisation est passée par là : du SMIC au mobilier urbain et aux embouteillages, tout est comme en métropole, hormis bien sûr la végétation et la montagne superbes, le climat, le volcan en éruption qui coupe la route du littoral et, bien sûr, les hommes. Ce sont eux qui font l’intérêt de cette minuscule île par ailleurs magnifique, si isolée dans l’océan qu’on ne voit pas le moindre caillou pointer à l’horizon, mais à la démographie galopante. Car la Réunion est un grand mélange qui nous en apprend sur la créolité, ce métissage de siècles de vie commune, creuset fondant finalement et au-delà des regroupements communautaires une certaine unité dans un mode de vie partagé.
Il est donc difficile de différencier les origines au sein même d’une réelle créolisation qu’il ne s’agit pas de nier. Disons simplement que sur 700 000 habitants qui se pressent surtout dans les villes côtières de cette île de 2500 km2, 35 % sont d’origine africaine et malgache (on les appelle du terrible nom de « cafre »), issus de l’époque esclavagiste et très métissés avec la souche européenne, 25 % sont blancs d’origine européenne bien que souvent créolisés, dont 5 % sont des métropolitains (appelés « zoreils), 25 % sont originaires la côte orientale de l’Inde (Coromandel) et de la côte de Malabar (les « Malabars »), descendants des travailleurs « engagés », 4% sont des Chinois, originaires de la région de Canton, 3 % sont des Indo-musulmans du Gujerat (Nord de Bombay) (les « Zarabs »), enfin les originaires de Mayotte et des Comores complètent cette palette humaine.
Ce sont ces derniers qui continuent d’immigrer en masse et s’entassent dans des bidonvilles, notamment parce que la Marianne ne garantit pas les mêmes avantages sociaux à Mayotte. Ici, c’est un département, paradis du SMIC et des Allocs. Et comme il faut toujours un bouc émissaire quelque part pour tous les problèmes qu’on a, c’est sur eux que ça tombe. Un de ces bidonvilles fait justement face à la Médiathèque Benoîte Boulard du Port, ce qui a permis à nombre d’enfants de venir remplir la salle pour les projections de la journée comorienne. Le Port est à une quinzaine de kilomètres de St Denis par une route littorale qui, vu les écroulements des falaises, est une des plus chère du monde à entretenir pour protéger son important trafic. C’es,t dans cette île bien proprette qui vit beaucoup en circuit fermé, une ville neuve, qui cherche à contrecarrer sa réputation de ville mal famée, où se côtoient toutes les communautés et ce festival épris de diversité répond ainsi de façon remarquable aux besoins culturels de la population locale et non seulement des élites.
A la tête d’une équipe sympa, deux hommes se donnent à fond dans l’aventure. Le premier, Alain Gili, barbe et lunettes, est un fou de cinéma et de littérature, hyper-cultivé, éditeur de la revue culturelle « Vois ! » (16 numéros depuis 1994) et d’ouvrages d’auteurs locaux (éditions Ader), un touche à tout spontané, fantasque et brillant qui peut désarçonner les collets montés mais qui est l’homme de la situation : il se donne plus qu’à fond dans une aventure incertaine face à un milieu ambiant peu convaincu de l’importance de sauvegarder dans l’île une cinéphilie. La disparition des cinémas d’art et d’essai et de la Biennale cinématographique de St Denis qui avait connu des heures de gloire avec les plus grands cinéastes laissent un vide où se sont engouffrés la lénifiante télévision et les circuits commerciaux (un multiplexe est annoncé : 10 millions d’euros d’investissement). Une remarquable association « Perspectives du cinéma » animée par Jean-Claude Gayral sauvegarde encore quelques activités de connaissance et réflexion et participe à la programmation. Le deuxième homme est, comme on l’imagine, l’inverse du premier : Nicol Couézou, d’origine malgache, directeur du Centre culturel Village-Titan au Port, où ont lieu les principales projections, qui assure avec un calme olympien la gestion du tout. Le couple Gili-Couézou, c’est Monsieur Loyal et l’Auguste, et non seulement ça fonctionne mais ça ne fonctionne que comme ça !
Le résultat est un festival extrêmement convivial dont on perçoit avant que je vous ai même annoncé le programme l’importance locale, non seulement pour le cinéma mais aussi et surtout pour la reconnaissance et la défense de la diversité culturelle. Car ici, ce n’est pas la mondialisation le danger, mais la francisation d’en haut, associée au consumérisme universel. Je n’ai participé qu’à la première semaine, appelée Rétrospective, qui a le mérite de passer des films rares de la région et pour moi, tout était découverte ! Tout cela se passe avec l’école des Beaux-Arts toute proche et l’ILOI (Institut de l’image de l’Océan indien), tous deux créés par Alain Séraphine et par la ville du Port. La présentation des films des étudiants de l’ILOI fut ainsi un grand moment : il est toujours émouvant de voir des travaux d’école, recherches incertaines et sincères, ancrées dans les problématiques locales. Ça se cherche, c’est encore imparfait, mais c’est intéressant. On est encore loin, certes, de films merveilleux comme Koman Ilé le source (La Source City) de la regrettée Madeleine Beauséjour, dont le Mauritien Selven Naidu était l’assistant : un témoignage magnifique de proximité et d’empathie sur la vie des jeunes créoles, leurs problèmes de chômage ou de travail. Ce puzzle de tranches de vies tourne autour de Marie qui intègre tout ça comme une éponge, le film menant à une très belle scène finale devant une cascade où elle dit à son fils : « La tête de ta mère ne va plus ». Le fils qui était hors champ rentre par la bas du cadre et nous sourit, superbe ouverture à la vie.
La présentation des numéros spéciaux d’Africultures sur Haïti, les Comores et Madagascar étaient l’occasion de projections de films rares (cf le programme dans la fiche de l’événement liée), tandis que le soir, des longs métrages du répertoire étaient projetés en entrée gratuite. Quant au festival qui suivait la rétrospective, il réunissait les ingrédients d’un bon gâteau : films récents en compétition, des invités de marque, des jurys largement africains et créoles, et des prix documentaire et fiction. Les grands prix sont allés à Comedia Infantil de Solveig Nordlund (Suède/Mozambique) et Petite lumière d’Alain Gomis (Sénégal) pour le court métrage. C’est Traces, empreintes de femmes de Katy Lena N’Diaye (Sénégal) qui a emporté le prix du documentaire tandis qu’un prix spécial pour le documentaire était attribué à Freedom is a personal journey de la Sud-africaine Akiedah Mohamed.
En cette île envahie d’images télévisuelles ou vidéo, le festival d’Afrique et des îles fait figure de bol d’air face au formatage généralisé. Il réjouit tous ceux qui voudraient pouvoir résister mais n’ont rien à se mettre sous la dent. Plus encore, en cette lointaine terre française perdue au milieu de l’océan, il est un miroir de la diversité culturelle visible à chaque coin de rue et l’occasion de découvertes réciproques. La Métropole aurait beaucoup à y apprendre.
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