Le blues mandingue de Moh Kouyaté

Entretien de Julien Le Gros avec Moh Kouyaté

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Chanteur et guitariste de blues, issu de la nouvelle génération de la scène guinéenne, Moh Kouyaté a écumé les scènes parisiennes avec d’autres artistes de renom, tels le bluesman Corey Harris, les chanteuses Mariama et Fatoumata Diawara ou encore le pianiste de jazz Antoine Hervé.

Peux-tu te présenter ?
Moh Kouyaté, Mohammed Kouyaté. Mon nom administratif est Mamadou. Le nom artistique « Moh » vient de ma grand-mère, qui m’appelait souvent comme ça. C’est le diminutif de mon grand-père : « Modigui », en malinké, en langue mandingue. Je suis un Guinéen qui vit à Paris, issu d’une famille de griots.
Comment t’es-tu installé à Paris ?
Il y a des raisons familiales. Je suis venu en tournée à Paris, en 2007, et j’ai rencontré ma femme. Je ne savais pas qu’elle allait devenir ma femme. Je venais, je partais et puis on a décidé de se marier. Depuis je suis là. Je m’y sens bien. J’aime bien Paris. Je n’ai pas perdu ma culture pour autant ! Il y a mon balafon qui m’entoure, ma guitare. Je fais des va-et-vient entre les deux pays.
Où en est la musique guinéenne ?
C’est une musique qui continue son envolée. Il y a eu le « Bembeya jazz » national, à partir des années 60. Et puis, dans les années 80, des gens comme Mory Kanté se sont fait remarquer sur le plan international. Aujourd’hui c’est en très bonne voie. Il y a une nouvelle génération, qui se développe sur la scène internationale. Des jeunes, comme Ba Cissoko, font des tournées et propagent cette musique. Il y a un autre jeune, Takana Zion, qui chante du reggae, et fait parler de lui et de notre musique.
Quelle est l’ambiance à Conakry ?
Il fait chaud. Il y a de l’émotion dans l’air. Les gens aiment la musique. Ils se mettent tout de suite à danser. Je prévois d’ailleurs de retourner jouer dans une des salles de Conakry cette année. La musique fait partie de la vie quotidienne des Guinéens. Le climat musical est superbe. Dès que tu commences à jouer les gens t’accompagnent. Ici les gens se contentent de t’écouter. A Conakry quand ça se passe bien c’est l’ambiance, c’est la fête !
Tu es un remarquable guitariste. Il y a des vidéos live sur le net à Conakry où tu joues dans un style blues rock. Quelles sont tes influences ?
J’en ai pas mal, notamment à travers ma musique-racine : la musique mandingue. C’est une musique très proche de la musique noire américaine : la soul et le blues. J’ai écouté George Benson puis BB King. Quand j’ai écouté BB King je me suis dit : « ça c’est de la musique africaine ! » George Benson ça sonne comme du jazz mais BB King c’est très proche de ce qui se fait chez nous. Je me suis trouvé naturellement dans le blues. J’ai pris ma guitare et j’ai joué. J’ai cette influence musicale en moi. J’écoute d’autres choses qui m’influencent aussi. Dans la nouvelle génération des musiciens guinéens on a écouté un peu de tout, en suivant notre voie traditionnelle. Cela se ressent dans ma musique. George Benson était le premier guitariste non-africain que j’écoutais. Je me suis dit : « Mais qu’est-ce qu’il joue ? Ce n’est pas de la musique ! » J’ai écouté à de nombreuses reprises et puis, à force d’écouter, je m’y suis habitué. D’ailleurs j’ai la même guitare que lui : une Ibanez. Il y a d’autres guitaristes que j’ai écouté, et certains que j’ai rencontré : Corey Harris, notamment, avec qui j’ai beaucoup parlé du blues.
Peux-tu évoquer ta rencontre avec Corey Harris, ce bluesman noir américain du Mississippi, que l’on voit dans le documentaire de Martin Scorsese : Du Mali au Mississippi ?
Il y avait un américain à Conakry qui travaillait à l’ambassade des États-Unis. J’animais beaucoup les soirées là-bas, dans les différents lieux, les clubs. Ce monsieur est venu me voir, pour apprendre à jouer de la guitare. Il m’a dit : « J’ai un ami, un frère, musicien américain. Il faut que je vous présente. Il fait du blues. Ta musique mandingue est aussi très blues. » Je lui ai répondu : « Pourquoi pas ? » Trois, quatre mois après, je reçois un coup de fil de lui : « Moh où es-tu ? Mon frère américain, dont je t’ai parlé, est à Conakry. Il s’est fait inviter par l’ambassade des États-Unis pour faire un concert. » Je suis venu tout de suite. Il nous a présentés à l’hôtel. C’est comme ça que ça s’est passé. En Guinée il y a un Centre Culturel français et aussi un Centre Culturel américain. Ces centres invitent souvent les artistes. Les Américains, chaque fois qu’ils invitent leurs artistes en Guinée organisent des rencontres avec les artistes locaux. Il y a eu une soirée à laquelle j’ai participé où tous ces artistes étaient conviés. J’ai joué. Corey m’a écouté et s’est exclamé : « Qu’est-ce que tu joues là ? Tu as déjà été dans le Mississippi ! » J’ai fait : « Mais c’est quoi le Mississippi ? Tu es en train de jouer du blues là ! Ah bon ! Le Mississippi je ne connais pas ! Mais je joue. » [Rires].
Il était étonné : « Tu joues comme là où cette musique a pris vraiment effervescence, dans le sud des États-Unis. » On a discuté. Il a apprécié ma façon de jouer. Et puis il m’a invité aux États-Unis.
Comment s’est concrétisée cette collaboration ?
On a fait beaucoup de maquettes, qui ne sont pas sorties. Nous avons aussi fait beaucoup de live. On a tourné dans pas mal d’États américains mais aussi en France. En 2006, on a joué au New Morning, à Paris. L’année d’après, il m’a invité sur sa tournée en France. On a gardé le lien, de très bonnes relations.
Vos musiques se sont rejointes, au-delà des barrières culturelles.
Il n’y a pas tellement de différences. Quand je suis parti avec lui, dans le Mississippi, j’ai visité l’endroit. J’ai rencontré mes frères noirs américains, musiciens de blues. J’étais vraiment fasciné. Ils parlent en anglais. De mon côté je parle en français ou dans ma langue. Mais quand on regarde les comportements, les manières, les façons de faire il n’y a pas beaucoup d’écarts entre nous. Musicalement c’était exceptionnel. J’ai joué avec beaucoup de groupes là-bas qui sont venus me voir. Ils étaient très contents de me rencontrer. J’en ai profité pour leur donner beaucoup d’infos sur la musique africaine.
Quand tu dis que tu chantes dans ta langue, quelle(s) langue(s) utilises-tu ?
J’ai cette chance – parce que je suis né et que j’ai grandi à Conakry – de connaître trois langues. A Conakry on parle plus le soussou mais on parle aussi le malinké et le poular. Ma mère est soussou (1) et mon père malinké. Etant malinké, mes ancêtres se sont installés chez les garankés (2). Je parle aussi garanké très bien. J’arrive à chanter dans toutes ces langues.
Quels thèmes abordes-tu dans tes chansons ?
Je parle beaucoup de l’avenir de mon pays. J’interpelle nos dirigeants africains en leur disant de penser aux générations suivantes. Aujourd’hui en Afrique rien n’est fait pour les jeunes. Le système d’éducation pour les jeunes est insuffisant un peu partout. Particulièrement en Guinée. Rien n’est fait pour qu’ils puissent s’exprimer ou apprendre. C’est un gros problème. Parmi tous nos aînés qui pouvaient de manière orale transmettre aux jeunes, beaucoup sont en voie de disparition, beaucoup sont morts. Les politiciens qui sont en place ne prennent pas de mesure pour perpétuer le savoir. Je parle donc dans mes chansons des injustices, mais aussi bien évidemment de l’amour !
Depuis que je vis en France je vois les choses autrement, avec plus de recul. Je continue de suivre le problème africain, plus spécifiquement guinéen. Ça fait partie de mes combats.
Où en est la liberté d’expression dans ton pays d’origine ?
En Guinée, avant le décès de l’ancien président, Lansana Conté (3), vers la fin de son mandat, il y a eu beaucoup de révoltes, de grèves de réclamations. Les jeunes dont moi, étions dans la rue. A un certain moment on avait un peu la liberté de parole. Sous Conté, cela restait tendu. On ne pouvait pas tout dire. En ce moment ça va mieux. Plus ça va plus on arrive à dire ce qu’on pense en Guinée. En dehors de moi, il y a beaucoup d’artistes de rap ou de reggae qui parviennent à s’exprimer. Des jeunes qui réclament la démocratie. Les artistes guinéens de la nouvelle génération mènent ce combat.
Tu as collaboré avec un grand artiste de jazz guinéen Momo Wandel (4). Peux-tu en parler ?
Des vieux comme lui, il n’y en a plus beaucoup. Il fait partie de ces anciens qui m’ont ouverts les yeux sur la musique. J’ai beaucoup appris de lui. Il m’a rapporté beaucoup d’histoires sur la musique et sur ses propres expériences. Je l’ai croisé en Guinée. J’apprenais à jouer de la guitare. A un moment, on m’a parlé de lui. Il a entendu parler de moi de son côté : « Il y a un jeune qui s’intéresse au blues, au jazz. » Un jour je suis venu le voir chez lui. Il m’a bien reçu. Depuis on est devenu de très bons amis. Bien qu’étant beaucoup plus vieux que moi, il m’a aimé. On a beaucoup joué ensemble. Il sait lire et écrire la musique. Pour moi, ce monsieur est la mémoire de la musique guinéenne.
Dans la jeune génération tu es souvent associé avec le joueur de kora Ba Cissoko.
On a travaillé ensemble, on travaille ensemble, on a toujours travaillé ensemble ! C’est un ami. On a commencé à jouer à l’Hôtel Camayenne à Conakry. Il se produisait là-bas. J’ai un autre ami, le guitariste Abdoulaye Kouyaté, qui jouait beaucoup avec lui à l’époque. A ce moment je jouais avec Momo Wandel et d’autres vieux musiciens. Après l’hôtel Camayenne, je n’ai pas cessé de travailler avec Ba. En France, on se retrouve sur des festivals. Il m’appelle sur ses projets, notamment quand son guitariste n’est pas disponible.
Tu as aussi eu une expérience musicale avec Antoine Hervé, pianiste et ancien directeur de l’Orchestre National de Jazz.
J’ai été invité sur le festival des « Droits humains et des cultures du monde » par son directeur Georges Boukoff. Antoine Hervé était aussi sur le festival. Je jouais du balafon et je chantais. Le directeur nous a présentés. Antoine Hervé faisait un concert de jazz. Il m’a invité sur scène. Ça s’est très bien passé.
Comment se sont déroulées tes collaborations féminines avec les chanteuses Fatoumata Diawara, originaires du Mali, et Mariama de Sierra Léone ?
Ce sont deux belles filles que j’apprécie ! Elles chantent très bien. J’ai rencontré Mariama lors d’un festival à Hambourg. On a joué sur le même plateau. Nous nous sommes tout de suite bien entendus. De retour à Paris, elle m’a invité à la rejoindre à son concert à Nantes. Depuis, on joue tout le temps ensemble. On partage beaucoup de scènes. J’ai croisé Fatoumata pour la première fois à Conakry, sur un plateau de tournage du film : Il pleut sur Conakry. Elle y jouait un rôle principal. On a gardé contact. Nous nous sommes revus à Paris. Mais ce n’était plus seulement la comédienne que j’ai découvert alors, mais aussi la chanteuse ! On a collaboré ensemble. Nous avons d’ailleurs fini récemment son album, sur lequel je fais surtout de la guitare.
Quels sont tes propres projets ?
J’en mène beaucoup à la fois. J’accompagne Mariama et Fatoumata mais je fais aussi des choses à côté. Je fais beaucoup de maquettes en studio. Je suis aussi un artiste de scène. Je compose et je joue avec mon groupe, sur Paris et les festivals. Dernièrement, j’étais au Satellit Café avec mon petit frère Kandia au chant. J’ai fait son premier album à Conakry avant de m’installer à Paris. C’est sa première fois ici. Je suis content parce que ça a été l’occasion pour les parisiens de nous voir ensemble. Et puis j’ai aussi des propositions de la part de maisons de disques. Si tout va bien d’ici la fin de l’année je pourrai mettre un album sur le marché…

1. Groupe ethnique mandingue, d’Afrique de l’Ouest qui constitue environ 30 % de la population en Guinée-Conakry.
2. Castes d’artisan du cuir, de cordonnier chez les malinkés.
3. Successeur d’Ahmed Sékou Touré, il a été président du pays de 1984 jusqu’à sa mort en 2008.
4. Ancien membre de l’Orchestre national de Guinée à l’époque de Sékou Touré, membre par la suite de la troupe guinéenne Circus Baobab.
Lien : http://www.myspace.com/mohamedkouyate///Article N° : 10005

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