à propos du texte et de la mise en scène de Fama

Entretien de Sylvie Chalaye avec Koffi Kwahulé

Paris, novembre 1998
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Comment s’est constituée la production de Fama ?
Le projet s’est monté avec le financement d’Afrique en créations, de la Commission Internationale du Théâtre Francophone, de l’Agence de la Francophonie et du PSIC, une émanation de la Communauté européenne. Il y a aussi des organismes qui n’ont pas contribué à une aide financière, mais qui ont permis la réalisation du travail comme le Centre Culturel Français d’Abidjan qui a mis à disposition la salle pour les dernières répétitions et a prêté son théâtre pour la création ; le CCF a aussi réalisé et financé les affiches ainsi que le spot pour la télévision. Et il y a bien sûr le Festival de Limoges qui a rendu le projet possible en nous accordant sa confiance. Le festival a en effet acheté le spectacle avant sa création et a ainsi largement contribué à crédibiliser le projet.
En quoi la production d’un spectacle africain est-elle particulière ?
C’est essentiellement différent au niveau du coût. Si le budget que nous avons réuni m’a permis de travailler confortablement, avec le même budget je n’aurais pas pu en France monter une pièce comme Fama avec treize comédiens, un scénographe, un créateur lumières, un régisseur… Ensuite, les bailleurs de fonds qui soutiennent les projets africains inscrivent leur action dans une perspective de coopération. Ils est important pour eux que les créations qu’ils aident soient l’occasion pour les artistes en Afrique d’une formation, c’est-à-dire que ceux-ci puissent bénéficier du savoir-faire supposé des pays partenaires francophones en travaillant avec des créateurs européens ou québécois par exemple.
Pourquoi les coûts de production sont-ils inférieurs en Afrique ?
La vie est moins chère. Par exemple, en ce qui concerne les costumes de Fama, il y a eu à un moment des erreurs, des couleurs ne me convenaient pas. Nous avons été obligés de refaire certains costumes, de refaire des teintures. Nous avons dû aussi en racheter de nouveaux pour mieux coordonner les couleurs. Dans une production en Europe nous n’aurions sans doute pas pu le faire.
Le documentaire de Frédéric Delesques (1) qui est passé en France sur La Cinquième montre que vous avez dû parfois acheter des costumes sur les marchés. Pourquoi ?
Il n’y a pas d’atelier de réalisation de costumes en Côte d’Ivoire. Il y a quelques années, l’Institut National des Arts à Abidjan avait un atelier, parce qu’il y avait une école de costumier. Mais l’école n’existe plus aujourd’hui.. Nous avons dû travailler avec un artisan tailleur qui coud les habits de monsieur tout le monde. Il a réalisé ce que nous voulions à partir des maquettes de Claude Goyette. Quant aux autres costumes, nous les avons achetés sur les marchés de Treicheville, d’Adjamé, de Koumassi et même au Plateau.
Les conditions de création en Afrique vous paraissent-elles différentes de celle de l’Europe ?
Fondamentalement non. Tout dépend du type de théâtre que l’on veut faire. Si on va en Afrique pour monter En attend Godot comme on le monte en France, ce n’est pas la peine. Il faut aller en Afrique parce que l’on pense qu’il y a là-bas quelque chose que l’on ne peut pas trouver en France, non pas sur le plan matériel, mais sur le plan artistique. Par exemple dans Fama, la couleur du spectacle, le son du spectacle, je n’aurais pas pu les trouver en France, en Belgique ou ailleurs en Europe : il fallait aller sur place trouver des artistes qui puissent donner cette couleur et ce son. Sans pour autant faire un théâtre basé essentiellement sur la danse et le chant, il fallait des comédiens qui sachent chanter et danser.
Mais en Afrique les conditions techniques sont difficiles voire absentes ?
L’Afrique a justement le mérite de renvoyer les créateurs à la réalité du théâtre. Le théâtre n’est pas un art comme le cinéma qui, lui, ne peut exister sans technique, c’est un art qui repose sur lui même. Ce qu’il faut gérer en matière de théâtre c’est avant tout le potentiel humain. Si le théâtre était un art exclusivement technique, on ne pourrait pas le faire en Afrique. C’est sans doute l’enseignement que l’Afrique donne. C’est le potentiel humain qu’il faut savoir manager. Celui qui ne sait plus travailler sans infrastructures techniques et qui a oublié d’où vient le théâtre, il se casse les dents en Afrique. Ce sont des hommes et essentiellement des comédiens que tout doit venir. Il se trouve qu’en Europe aujourd’hui on construit de grandes scénographies avec des lumières somptueuses, et à la limite les comédiens sont noyés. Mais l’Afrique en raison de ce côté rudimentaire des moyens techniques, nous contraint à faire de nouveau confiance à l’homme, c’est-à-dire au comédien.
Est-ce pour ces raisons que le décor de Fama est réduit à une simple arène de latérite ?
Si j’avais les moyens de la Comédie-Française, j’aurais sans doute choisi le même décor. Ce qui m’intéresse, ce sont les hommes. Quel que soit le sens que l’on peut tirer d’une scénographie, le décor ne me parle que dans la mesure où il met en valeur le comédien.
Le documentaire vous montre avec beaucoup de pittoresque en train de marchander des accessoires et d’essayer des perruques…
C’est ce que l’on perd en Europe, le théâtre doit être ouvert sur le monde. Le fait de descendre dans la rue, d’aller discuter le prix des costumes, de faire tous les marchés d’Abidjan pour trouver une perruque, cela rappelle que le théâtre est une activité intimement liée à tout ce qui se passe autour de lui. En Europe le théâtre fonctionne trop en vase clos, en circuit fermé, dans de petites fabriques de spectacle fermées sur elles-mêmes. Travailler comme j’ai travaillé en Afrique, nous rappelle que la création s’enracine dans le réel ; bien sûr les marchands ne viendront pas au théâtre, mais ces rencontres avec le commerce et l’artisanat extérieurs replace le théâtre dans la cité.
Mais ne risque-t-on pas justement de confondre l’artisanat avec l’art ?
L’artisanat ce n’est pas travailler avec de petits moyens. C’est la reproduction qui transforme l’art en artisanat. Ce ne sont pas les moyens dont on dispose pour accomplir son art qui en font un artisanat, c’est l’esprit dans lequel se déploie cet art. Aujourd’hui, il y a des metteurs en scène qui fabriquent essentiellement le même spectacle quelque soit la pièce. Quand on n’est plus capable de se remettre en question, qu’une certaine esthétique scénique devient une espèce de filon que l’on a trouvé et que l’on exploite indéfiniment, alors on est dans l’artisanat. Exactement comme le sculpteur qui sait reproduire une poupée Ashanti et qui en fabrique par centaine. Le théâtre de boulevard – et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres – qui dispose pourtant d’importants moyens est un artisanat.
On voit également que vous avez répété dans une salle ouverte sur la rue, à Koumassi, un quartier très populaire d’Abidjan et sous le regard des enfants pour lesquels vous deviez être l’attraction du moment.
Au début, j’avoue que ça m’a été difficile. Je ne vais pas jouer à l’Africain pur et dur ! Je vis en France depuis près de vingt ans, je travaille dans des conditions différentes. Mais peu à peu je me suis rendu compte que cet espace ouvert sur le monde convoquait une autre forme de concentration. La concentration qui naît de l’isolement et de la solitude est facile. Mais le théâtre ne se fait pas dans la solitude. Le théâtre c’est se confronter aux autres, à l’Autre aussi. Travailler dans un espace ouvert, où il y a des gosses qui jouent, des gens qui passent, des marchands qui crient, des voitures qui klaxonnent exige un véritable travail sur soi… et il y a aussi ses propres bruits à partager avec les gens du quartier. Personne n’est jamais venu nous dire : vous faites trop de bruit ! Les djembés, la flûte, les chants, les cris… les gens ne se plaignaient pas, mais venaient voir. Une fois encore, voilà comment l’activité artistique s’intègre à une société. Mais on a aussi répété au CCF et là, en revanche, personne, en dehors de l’équipe de création, n’avait le droit d’entrer et d’assister aux répétitions. On retrouvait des conditions plus occidentales de travail. Il y a avait d’un côté les conditions  » africaines  » à Koumassi, dans cette espèce de hangar ouvert, et de l’autre celles bien sûr plus confortables du CCF. Les deux modes de travail sont enrichissants. Il est sûr que les conditions de Koumassi ne sont pas les conditions idéales, mais l’alternance nous a beaucoup apporté.

(1) Frédéric Delesques qui s’est immergé dans l’équipe de création pendant tout le temps des répétitions à Abidjan a réalisé un documentaire de 52 minutes sur la création, intitulé Ymako téatri, qui a été diffusé le 10 novembre 1998 sur La Cinquième. Un film réalisé par Frédéric Delesques, écrit par Hervé White, Coproduction France Europe Média et Le Moulin du Daumail. ///Article N° : 620

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