Un premier festival des Arts Francophones devait avoir lieu il y a quelques jours à Brazzaville. L’événement a été avorté, en raison des troubles politiques après « l’élection présidentielle » au Congo. Auteur invité, Marc Alexandre OHO BAMBE nous offre son carnet de voyage, le récit de ses dernières heures à Brazza.
Lundi 4 avril 2016, 7h du mat à Brazza.
Le téléphone sonne, dans ma chambre.
« Monsieur, ça a tiré cette nuit, ça tire encore en ville. »
La voix du jeune homme de la réception de l’Hôtel Saphir tremble, mais il poursuit et va au bout de son message : « Mme Fall a appelé, vous ne devez pas sortir de l’Hôtel aujourd’hui, ici vous êtes en sécurité »
Réveil brutal, stupeur ! Je raccroche. Frisson.
Plus tard dans la matinée, mes camarades de poésie et moi-même apprendrons de la bouche du Directeur de l’Institut Français du Congo, que le Festival International du Livre et des Arts Francophones de Brazzaville est annulé. Principe de sécurité.
Sécurité, le mot revient. Il reviendra sans cesse, pendant le reste de notre séjour avorté à Brazza.
La semaine s’annonçait pourtant riche, en rencontres et échanges littéraires sur le thème choisi pour cette première édition : « (Ré)écrire et (ré)enchanter le réel ».
Tout un programme, et nos espoirs qui tombent. De haut.
Les premières infos nous arrivent, RFI, puis les amis congolais qui appellent pour savoir si nous sommes bien en sécurité. Il y a eu des tirs à l’arme lourde en ville, les populations de Bakongo se déplacent en masse, fuyant vers le Nord. « Restez à l’abri, ça a tiré en ville, à 200 mètres de l’IF où vous deviez intervenir aujourd’hui, on ne sait pas comment les choses vont évoluer »
Assigné à résidence à l’hôtel en compagnie des autres auteurs, artistes et universitaires invités, je fixe mes pensées, et ces mots de FRANKETIENNE, Sphinx des Lettres Haïtiennes :
« Que peut la littérature face à un innocent qu’on assassine ? »
Je ressasse, mes pensées.
Et ces mots, qui tournent en boucle.
En moi.
Émoi.
J’ai la haine contre tous les dictaTUEURS du monde, présidents autoproclamés rois à vie qui se nourrissent du sang des nourrissons, des femmes et des hommes que forment nos peuples en sursis.
J’ai la haine, j’ai de la peine pour mes surs et frères du Congo et d’ailleurs qui ne demandent qu’à vivre en paix, loin des tirs et des bombes.
Tenir bon, il nous faut tenir bon, retenir nos larmes ou au contraire, les laisser-aller, couler, car il n’y a rien de plus humain que pleurer, puis sourire à nouveau.
« Sourire aux jours qui se lèvent et aux nuits qui s’achèvent » comme dit Albert, frère d’art. Sourire à nouveau, après les larmes, et se battre.
Encore, et toujours.
Jusqu’à l’amour.
Mardi 5 avril 2016, 10h du mat à Brazza.
It’s a new day a new morning
Blue
Brazza vit, Brazzaville
Vibre à nouveau.
Pour combien de temps ?
Je ne sais pas.
Ndenguenini ?
Je ne sais pas non plus
.
Mais on est là
Digne et debout
On fait l’humour
Ensemble
Et on sourit au jour
En cendre.
Pour conjurer la peur et la peine
On se drape dans des poèmes
De lumière et de paix
Plus conscient que jamais
Peut-être
Qu’on n’a définitivement rien
Rien d’autre
Dans la vie
Que d’être vivant.
Mercredi 6 avril 2016, 17h à Brazza.
« Voulais-tu me prendre pour m’engloutir dans ton fleuve Congo ou dans l’océan de sang et de larmes de notre histoire, comme une mante religieuse ? »
Comme à mon habitude lorsque tout bouge autour de moi, je me réfugie dans un livre, rien véritablement n’est plus stable que la littérature ou les bras d’un amour, quand tout tangue ou tend vers la mort des espoirs.
Je commence ma plongée dans les poèmes d’Omer M, professeur de Littérature Française à la faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l’Université Marien Ngouabi à Brazzaville. L’enseignant est aussi poète, à ses heures éperdues.
Nous nous sommes rencontrés le jour même, et après avoir échangé quelques mots sur René Char, Omer m’offre en partage ce cadeau précieux, ses « Fragments sauvegardés ».
Sa poésie est chair, urgente, certains passages du texte, fulgurants, résonnent en moi et font écho au contexte improbable de ce baptême de feu à Brazza.
« Nous sommes entrés
dans l’âge cerné
par l’horreur et la nausée. »
« Fou, fou, fou !
folie et force laide des hommes
pourris par la politique,
ivres de kéléwélé et de pouvoir
folie et sacrifice du peuple devenu « leur » peuple,
un possessif qui écure !
Dans la jungle de Brazzaville,
Il est possible d’avoir « son » peuple à soi ? »
« Je n’écrirai pas
de poème de provocation
Je prendrai les paroles sorties
du premier soleil de notre ancienne indépendance
pour les placer devant
ta couardise et ton impureté
»
Les mots résonnent, si fort.
Mon esprit s’envole, et je repense à la raison de mon voyage au Congo, ce premier Festival du Livre et des Arts Francophones, dont les thèmes des débats se bousculent en moi, « Dire le chaos », « Réécrire et réenchanter le réel ». La manifestation appelait et promettait de beaux échanges, nous avions hâte, de chercher et peut-être trouver ensemble des bribes de réponses à cette question essentielle, douce et brutale à la fois :
« Que peut la littérature… ? »
Le festival n’aura pas lieu, nous ne débattrons pas, pas comme cela était prévu au départ, nous n’aurons pas l’occasion de partager avec les publics de l’IF, les élèves du Lycée Saint-Exupéry, les étudiants de la Fac de Lettres, je ne déclamerai pas ce poème de Sony Labou Tansi, il n’y aura pas de concerts, ni de rencontres littéraires.
Nous quitterons Brazza, et repartirons en France dans quelques heures. Principe de sécurité.
Je ressens alors toute la vacuité du langage littéraire, et dans le même temps, sa pleine nécessité. Témoigner du réel, une des fonctions, des vocations même de l’artiste, vigie de son époque. Mais l’artiste a aussi le devoir de nous rappeler à l’ordre de nous-mêmes, de nos rêves et de nos idéaux.
« La liberté est l’idéal pour lequel, des hommes ont toujours su lutter et mourir » scandait Patrice Lumumba l’illustre leader du pays voisin, mort assassiné. Et d’autres, congolais, africains, citoyens du monde, meurent encore aujourd’hui, meurent toujours. En défendant cet idéal.
Je pense aux amis là-bas, au slogan « Sassoufit », qui m’a fait sourire lorsque je l’ai entendu le soir de mon arrivée à Brazza.
L’humour, l’amour et l’art sont tout ce qui nous restent, quand la dictature nous vole, nous viole, nous tue. La dictature ne le supporte pas, mais malgré sa brutalité et sa cruauté, elle ne peut et ne pourra jamais empêcher les gens de rire. De créer. Et d’aimer. Même les peuples les plus meurtris, savent comment, comment « arracher la joie aux jours qui filent ».
C’est juste une question de vie. Ou de mort.
Je pense à la jeunesse africaine, à son énergie, à ses combats, aux mouvements Y en a marre à Dakar, au Balai citoyen à Ouaga, et à leur incidence déterminante sur les régimes en place. Je me demande si les mêmes causes produiront les mêmes effets, à Brazza et ailleurs aussi, où les logiques de pouvoir sans vision, ni amour ni compréhension ni empathie ni respect pour les populations sont les mêmes.
Je pense à ma génération qui a failli à ses devoirs, à nos espoirs trahis, à l’histoire et à la mémoire du continent noir, continent revolver parfois.
Je pense à certains de nos chefs d’état, petits et sans stature dont la seule ambition politique semble être de s’accaparer le pouvoir, et mourir sur le trône de leur propre démesure.
Je repense à mon premier album, signé il y a 15 ans, enregistré à Douala et intitulé « Afroptimisme ». Et je me demande ce qu’il en reste.
« Que peut la littérature face à un innocent qu’on assassine ? »
Je ressasse, mes pensées.
Et ces mots, qui tournent en boucle.
En moi.
Émoi.
Mercredi 6 avril, 21h à Brazza
Nous sommes à l’aéroport, prêts à quitter.
Dans quelques heures, nous retrouverons nos familles respectives inquiètes pour notre sécurité.
Nous mesurons chacun je pense, notre chance de pouvoir rentrer et nous retrouver bientôt à l’abri. Et en même temps nous ne pouvons nous empêcher d’avoir mal, et peur, pour les populations, le peuple Congolais, les amis ici. Personne ne sait comment les choses vont évoluer, mais certains craignent le pire, le retour de la guerre, des scènes de chaos et d’exode, la mort à son aise qui rôde, dans les rues des villes qui s’embrasent de haine et de violence.
Il y a du foot à la télé, Paris joue son premier quart de finale de ligue des Champions, l’un des serveurs au bar de l’aéroport me demande dans un sourire, pour qui je suis. Je lui réponds, gêné, mais je réponds quand même et lui demande ce qu’il pense des troubles du début de semaine.
« On s’en remet en Dieu » me dit-il, « le seigneur veille
»
Je me souviens de cette conversation, j’ai eu la même à Douala, il y a quelques années, et un ami assis à côté de moi avait réagi, répliqué :
« Dieu nous a oubliés man, ou alors il est ’die », ça fait presque trente ans que nos présidents nous ’kill » et déciment nos rêves, trente ans qu’ils sacrifient nos ’life » et nos espoirs sur l’autel du pouvoir
»
L’avion décolle
Je ferme les yeux
Et mon esprit s’envole
Il y a 15 ans, le feu !
J’écrivais et rappais Afroptimisme
Des mots heureux
Nourris d’amour et d’humanisme
Ce texte, vieux
N’a pas pris une ride
Même apatride
Je l’écrirai et le rapperai encore
Avec le cur car
L’Afrique
Je l’ai dans les veines
Je l’ai dans les gênes
C’est une histoire d’ADN
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