Cela commence avec l’arrivée de réfugiés dans un camp de l’ONU, tournée en vidéo, style reportage. Mais très vite, la caméra se fait plus fictionnelle pour aborder le vécu d’un petit clan, une fratrie. C’est que même si Bè Kunko qui signifie « un problème nous concernant tous » en bambara – a une forte valeur documentaire, son propos transcende une situation singulière. Il ne situe d’ailleurs ni le lieu ni le temps : le sujet est la violence intégrée par les individus dans la guerre, une violence qui traumatise, obsède, déstructure et acculture. Une violence qui génère la violence, la délinquance, la négation de soi. Les filles se prostituent, les garçons braquent. Pourtant, tous respectent encore leur grand-mère avec qui s’instaure un jeu de cache-cache plein d’humour : son autorité morale est sauvegardée même si tout se fait à son insu. Le personnage trouble du Tonton Youl (qui se perd à l’image dans des volutes de fumée), droit le jour, fourbe la nuit, est là pour rappeler que ce sont bien les adultes qui font la guerre, et que ce sont eux qui y engagent les enfants.
A quoi bon rappeler de telles évidences ? Parce qu’il est encore actuel de déconstruire les conflits. Parce qu’il importe dans un monde en perte de repères de saisir de façon humaine la déshumanisation qu’engendrent les violences qui ensanglantent depuis une décennie la région d’où est issu Cheick Fantamady Camara et bien d’autres régions d’Afrique et du monde.
Point besoin d’asséner de grands messages : juste détacher de l’image télévisuelle des camps de réfugiés quelques individus qui veulent vivre leur jeunesse mais portent le poids de leur déracinement, de la dérive du monde, de la perte de leurs parents. Juste les laisser vivre, rire, parler, oser, se chercher et se perdre. C’est du Nicolas Ray en court métrage, de la Fureur de vivre à revendre, l’appât de l’argent facile en plus, très actuel en somme.
Si le deuxième court métrage de Cheick Fantamady Camara fait si bien sentir le poids du monde, c’est qu’il est issu d’un magnifique travail de cinéma, déjà perceptible dans son premier, Konorofili. Tout y est maîtrisé : le récit profite des choix de caméra, vibre de la multiplication des plans, résonne des coups de feu autant que des pointes d’humour, et surtout, comme dans Konorofili, prend corps avec cette façon très subtile qu’a Camara de saisir et diriger le mouvement, gestuelle expressive des acteurs ou de la caméra qui dispense au plan de s’installer dans la durée. Car rien n’est figé ici, tout est au rythme tragique de ces jeunes qui, à l’image de ceux des gangs de Conakry (cf. Mathias, le procès des gangs de Gahité Fofana et Kiti, justice en Guinée de David Achkar), forts de l’inconscience adolescente mais aussi condensés de celle du monde, explosent de ne pouvoir vivre et se suicident peu à peu.
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