L’auteure et réalisatrice burkinabée présentait en compétition officielle au Fespaco 2023 son film Le Galop. Elle fût invitée à en parler avec la presse et les professionnels lors des débats-forums. Transcription résumée.
Annick Kandolo : Le Galop est en compétition… et traite de la compétition ! L’épopée de Yennenga est convoquée et celle de quatre cinéastes présents au Fespaco de 2021, en compétition pour un prix dans leurs catégories respectives : Moumouni Sanou (Burkina Faso), Aïcha Macky (Niger), Fama Reyane Sow (Sénégal), Mutiganda Wa Nkunda (Rwanda). Un texte très fort écrit par Aristide Tarnagda est dit par Maimouna N’Diaye qui incarne la Princesse Yennenga. Comment avez-vous choisi ces quatre cinéastes ?
Éléonore Yaméogo : En fait, ce documentaire à été fait de façon spontanée. A un mois du Fespaco 2021, j’ai reçu une invitation et me suis demandée que faire pendant ce festival ? Manger, boire des bières ? Mais il y avait cette problématique que j’avais envie de montrer à l’écran. J’ai fait une sorte de casting pour trouver des profils de différents pays. Quant à Yennenga, c’est l’Histoire du Fespaco. Nous avons écrit le texte ensemble avec Aristide.
Annick Kandolo : Avant le festival, tout se passe la même semaine en quatre lieux différents ! Vous êtes-vous déplacée dans les différents pays ou bien avez-vous fait appel à des contributeurs locaux ?
Nous avions très peu de moyens. Comme le film a été fait de façon spontanée, je n’ai pas eu le temps de chercher les financements qu’il fallait, donc je n’ai pas pu me rendre dans les pays. Le tournage s’est organisé la même semaine. J’ai pu, à partir du synopsis, dire ce que je voulais comme images… Une fois fini, j’ai récupéré les rushs, et une fois à Paris, où je vis, quelques jours avant le Fespaco, j’ai pu trier et tout préparer.
J’avais sélectionné les protagonistes par rapport aux pays qui m’intéressaient. J’avais juste vu leurs noms sur la liste des films sélectionnés. Le Rwanda était un pays qui me parlait bien par rapport à son Histoire, mais je n’y connaissais pas de techniciens donc il fallait mettre une équipe en place et tout organiser très vite. Le Niger, je savais que quand un film nigérien est en compétition, c’est tout le pays qui est en compétition : il y a vraiment une énergie derrière ! Donc, j’ai décidé de le choisir. Le Burkina naturellement parce que je viens d’ici et le Sénégal c’était le pays invité.
Olivier Barlet : Le texte reprend le mythe de Yennenga et vous semblez dire qu’il fonde le mythe du Fespaco. C’est un festival africain mais son incidence de validation internationale pour les films est encore faible malgré 60 ans d’existence, ce qui oblige à aller en Europe ou aux Etats-Unis pour l’obtenir. Pourquoi à votre avis ?
Mon ressenti est que le Fespaco est aussi un festival international. Il n’est peut-être pas assez mis en lumière mais il tient depuis 50 ans sans que d’autres festivals ne l’aient détrôné. Quand les jeunes viennent ici, c’est avec beaucoup de rêves et ils pensent être dans un festival international. Vous voyez Aïcha Macky dans le film : pour elle, aller à Cannes n’équivaut pas au fait de venir au Burkina Faso. Chacun vit son festival à la grandeur de ses yeux. Il y a certes encore beaucoup de choses à parfaire, notamment la discussion des films sélectionnés ou primés, voire comment les accompagner pour être plus visibles en Afrique et partout ailleurs.
Question de la salle : Vous avez dit que Le Galop a été une idée spontanée. Cela n’a pas sommeillé en vous avant ?
J’ai participé au Fespaco en 2019 avec mon documentaire long-métrage Le Cimetière des éléphants qui a été très médiatisé, sur de vieux missionnaires pères-blancs et leur mémoire. J’y croyais aussi parce que le sujet est fort et un protagoniste est le neveu du Général de Gaulle, qui n’avait jamais été filmé. Tout le monde me disait que c’était une idée géniale, on me félicitait, mais je ne le sentais pas. Mon instinct me disait : “Ce nouveau-né ne va pas me faire brûler. En tout cas, pas à ce festival.”
Le jour de la clôture, j’ai été prise par une sorte de panique et de stress, et je ne suis même pas allée à la cérémonie. J’étais dans un état incroyable et je ne savais pas comment l’expliquer. Une fois que le palmarès est sorti, je n’étais ni deuxième, ni troisième, ni première. Ce fut comme une délivrance, comme si je venais d’accoucher ! J’étais vraiment bien, j’ai pris une douche et suis allée retrouver les autres. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à me poser des questions sur le rapport à la compétition. Pourquoi le besoin de compétition dans nos vies ?
Mais au départ, je n’avais pas l’intention d’en faire un film. C’est en discutant avec d’autres réalisateurs que j’ai compris que je n’étais pas la seule à vivre les choses comme ça. Même les grands qui nous jugent parfois aux festivals angoissent aussi quand ils présentent leurs films. On ne le dit pas souvent et entre nous on ne parle pas souvent de cette pression, de cette peur. Si le film n’est pas primé, certains sombrent. Ma consoeur Aïcha Boro a tourné un peu partout avec Le Loup d’Or de Balolé, peut-être parce qu’il était mieux traité. C’est la compétition.
Annick Kandolo : Peut être faudrait-il rappeler qui est Yennenga dans l’histoire du Burkina. Selon la légende, c’était une guerrière, la chef de l’armée de son père, le roi du Dagomba. Un jour, elle s’est perdue dans la brousse sur le dos de son étalon, ce qui l’a menée à la rencontre d’un chasseur, Rialé, avec qui elle a eu un fils qu’on a appelé Ouédraogo, du nom du cheval. Elle est ainsi la mère du père du peuple mossi du Burkina. C’était une conquérante, une figure qui représente cette notion de compétitivité, de conquête. Et pourquoi ce titre, « Le Galop » ?
Quand j’ai eu l’idée de faire ce film, je n’avais pas de titre. C’est quand Aïcha Macky a dit que les gens au Niger s’attendaient à ce qu’elle rentre sur le cheval de Yennenga que je me suis dit que le film allait s’appeler Le Galop !
Question de la salle : Hier, le film à été projeté. Quel a été votre sentiment ?
J’avoue que j’ai été agréablement surprise parce que la thématique de ce film est vraiment très différente de ce que j’ai déjà eu à faire. Pour ceux qui connaissent un peu mes films, j’ai toujours porté mon regard sur les rapports nord/sud. Paris mon paradis, c’était les immigrés africains à Paris, dans les quartiers Barbès, la Goutte d’Or, etc. Le Cimetière des éléphants, c’était les missionnaires en France. La Main tendue, c’était les sans-abris belges à Liège, de même que la série actuelle qui passe sur la RTV, De l’autre côté des rives. Donc, Le Galop, c’est vraiment très différent et j’étais inquiète. Je me demandais si le sujet était assez fort pour en faire un documentaire. Je craignais que cela ne soit compris que par les professionnels du cinéma. J’ai été agréablement surprise de voir que dans la salle il y avait des citoyens et cinéphiles lambda qui ont apprécié le film et ont ri même de choses que je ne trouvais pas drôles en faisant le montage. Quand l’un des protagonistes a gagné un prix, il y avait des applaudissements dans la salle. C’était surprenant.
Question de la salle : Sur le côté économique, est-ce que vous pouvez parler des difficultés que vous avez eu au niveau financier ?
Il faut dire qu’après ce tournage spontané, j’ai monté un dossier pour financer la post-production technique. Malheureusement toutes les portes étaient fermées. À un moment donné, j’étais désespérée et j’ai rangé mes rushs. J’abandonnais. Heureusement, l’Etat burkinabé à décidé de soutenir les réalisateurs qui avaient des projets en cours pour pouvoir les finaliser et être présents au Fespaco. Ça m’a donné de l’espoir, j’ai déposé le dossier et le film a eu un soutien. J’ai pu ressortir mes rushs et entrer en salle de montage. On l’a achevé juste avant le festival. On voit l’intérêt d’avoir un fond permanent dans les pays africains. Si on compte sur l’Occident et qu’il n’a pas le même regard, le film peut dormir dans les tiroirs.
Ensuite, j’ai remarqué que dans les films africains on ne dit jamais les budgets du film, pourquoi ?
En Afrique, parler d’argent c’est souvent mal vu. Si mon film a coûté 500 000 € alors que d’autres n’ont que 20 000, je ne vais pas le dire. Ce n’est pas qu’on ne connaît pas le coût de nos films, c’est qu’il faut rester dans la modestie et ne pas créer de jalousies autour.
Annick Kandolo : Pourquoi les cinéastes africains vont chercher des financements ailleurs ?
Ce n’est pas propre aux cinéastes. Même nos Etats vont chercher des financements ailleurs. On va chercher ailleurs car on n’a pas de possibilités ici mais effectivement ça peut influencer le type de film qu’on crée. Pour trouver un financement extérieur, il faut un producteur français. Pour arriver à le convaincre, il faut que le sujet le touche, c’est une difficulté. Et si on pointe du doigt les ambigüités de l’Histoire, celui qui met son argent peut hésiter. C’est pourquoi il faut que nos Etats créent des fonds permanents pour financer nos films.
Question de la salle : Les cinéastes que vous avez filmés étaient-ils pour vous un miroir ?
Ce film c’est aussi mon histoire : c’est l’histoire de ses protagonistes et la mienne ! Il faut dire que ce tournage à été très spécial. On peut dire que ça a été un miroir parce que je me suis retrouvée de nouveau en compétition et j’ai revécu les mêmes angoisses en tournant ce film. Je voulais qu’ils gagnent ! En 2021, tout le monde disait que c’était Aïcha Macky qui allait remporter avec Zinder, et moi même j’avais fini par le croire, et elle aussi. A la cérémonie de clôture, ils ont bloqué toutes les caméras sur un côté et personne n’avait accès à la tribune. J’ai pu négocier et un seul cadreur est passé avec moi. Il fallait faire des choix. Comme c’est Aïcha qui allait gagner l’Etalon d’Or, alors on était focus sur elle. Et finalement c’est Moumouni Sanou avec Garderie nocturne qui était perdu de l’autre côté qui a eu le prix. Le temps que le cadreur se relève pour attraper Moumouni, c’était compliqué ; et au montage il a fallu galérer pour montrer Moumouni qui monte sur le podium.
Question de la salle : Ne faudrait-il pas arrêter de compétir sans cesse pour changer d’esprit ?
Comme l’a dit un des protagonistes dans le film, “la compétition fait partie de la nature humaine”. Personnellement, j’aurai aimé pouvoir présenter le film sans être en compétition. Je pense que l’art est vraiment subjectif. On veut montrer nos œuvres, arriver à échanger avec un public sans être angoissé et vivre le festival comme un moment de célébration de cinéma. Mais on peut tuer l’avenir d’un film juste en ne lui donnant pas un prix. Souvent ces compétitions se jouent entre professeurs et élèves, doyens et jeunes, et c’est horrible la compétition, mais ça fait partie de notre nature humaine !
Question de la salle : Peut-être que la compétition pousse à ce qu’on améliore ses œuvres ?
Non, pas forcément. Il faut se dire qu’on peut poser un regard critique sur un film sans forcément le classer. Nous avons des critiques de cinéma pour ça, donc on peut améliorer notre travail sans forcément être en compétition. Il faut préciser que ce documentaire est un documentaire de création et pas un documentaire anti-compétition même si de mon point de vue, je pense qu’on peut montrer un film sans être en compétition.
La critique n’est-elle pas aussi subjective ?
Certes, et multiple. Quand la même critique revient souvent, c’est ce qu’il faut retenir. Une fois encore, mon documentaire n’est pas anti-compétition. Par ironie du sort, Le Galop se retrouve en compétition !
Annick Kandolo : Le texte dit par Maimouna N’Diaye indique que sans compétition, il n’y a pas de vie. On a besoin de se mesurer et de voir dans les yeux de l’autre ce que l’on vaut.
Olivier Barlet : Le texte affirme aussi : “Ce qui est important, la véritable conquête, c’est ma lumière intérieure”. On voit que le film va chercher cela à l’intérieur de chacun des protagonistes. Vous les laissez s’exprimer de manière incertaine et c’est ça qui rend le film extrêmement humain.
J’ai voulu montrer l’évolution des protagonistes. Au départ, Mutiganda dit être totalement détaché de la compétition, et au fur et à mesure, on voit qu’il nourrit le rêve de remporter le prix. Tout le monde veut gagner ! C’est alors que, comme la chanson le dit au début : “Ouagadougou, je vais danser avec toi !” On se réjouit avec ceux qui ont gagné.
Merci à Sara Adriana ALBINO pour sa transcription