Débats-forums Fespaco 2023 / 15 : Souleymane Sy Savané parle de « Mon père, le diable »

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L’acteur ivoirien présentait en compétition officielle au Fespaco 2023 le film d’Ellie Foumbi Mon père, le diable, dans lequel il a joué. Il fût invité à en parler avec la presse et les professionnels lors des débats-forums. Transcription résumée.

Annick Kandolo : Souleymane Sy Savané est né en Côte d’Ivoire et a eu une vie variée : il a été mannequin, stewart, acteur et producteur de films. Il a joué dans des longs et courts métrages dont Goodbye Solo en 2008 de l’Irano-Américain Ramin Bahrani, Good Time en 2017 des Américains  Benny et Joshua Safdie et nous le recevons pour Mon père, le diable qui a été réalisé par la Camerounaise Ellie Foumbi. Avez de ses nouvelles ?

Souleymane Sy Savané – photo : Olivier Barlet

Souleymane Sy Savané : Ellie se porte très bien. Malheureusement elle n’a pas pu venir parce qu’elle est aussi en compétition samedi au Independent Spirit Awards  à Los Angeles dans la catégorie de meilleur film ; c’est l’oscar des films indépendants aux Etats-Unis. Je suis donc venu à sa place au Fespaco.

Olivier Barlet : Vous jouez un personnage problématique, violent ; le film parle de vengeance… Comment l’avez-vous vécu ?

La première fois qu’Ellie m’a parlé de ce film, et m’a dit qu’elle allait faire un film sur un prêtre qui a une double vie, je trouvais ça très intéressant. Plus tard ça c’est cristallisé car des prêtres rwandais génocidaires qui menaient une vie tranquille en Europe ont été reconnus par deux dames dans un supermarché. Elles les ont dénoncés et ils ont été condamnés. Le père d’Ellie étant fonctionnaire aux Nations Unies, c’était un sujet auquel elle était habituée. Elle avait accès à des documents et donc elle a écrit le film.

Pour ce qui est de mon jeu, il y avait deux aspects. En général, beaucoup de comédiens aiment jouer le vilain parce qu’ils sont « juteux ». Les vilains ont beaucoup de niveaux : on explore le côté obscur de la force et on peut mordre dans la pomme ! Le héros en général, il a du niveau mais c’est le héros, il doit bien se tenir. Le vilain a toute la liberté d’être vilain et donc de jouer. De ce point de vue, j’étais très heureux !

Mais, d’un autre point de vue, le film était problématique parce que le prêtre traverse l’enfer, qui plus est à cause d’une femme : sans être misogyne, en tant qu’homme africain, c’était difficile à avaler. Je devais travailler sur mon ego. Je pensais à ma mère et je me disais : “Comment as-tu laissé cette femme te chicoter comme ça dans le film ?”

Ceci dit, l’une des difficultés majeures pour moi, c’est que dans mes films précédents, je n’avais pas eu l’occasion de jouer quelque chose d’aussi lourd émotionnellement. Il fallait que je me prépare. J’ai étudié la comédie aux Etats-Unis où l’une des techniques principales était le Method acting, où on entre dans une espèce de transe émotionnelle. Je ne suis pas trop pour ça. Je pense qu’il y a un travail social à faire pour incarner le personnage au plus proche de la vérité mais, je ne pense pas qu’il faille se perdre dans le caractère ou s’oublier. J’ai donc divisé en deux : il y avait l’aspect de compréhension du texte (assez simple car j’ai travaillé dessus pendant pas mal de temps), et l’aspect émotionnel. Un metteur en scène allemand a développé une technique pour lier les émotions à des organes. Par exemple, pour jouer l’amour, il y a une certaine façon d’activer certaines parties du corps ou des canaux. Le grand défi pour moi c’était les longues scènes de pleurs : j’ai travaillé ainsi pour avoir accès à mes organes et pouvoir rendre réelles ses émotions.

Annick Kandolo : Votre partenaire dans le film est Babetida Sadjo, dont le rôle est également fortement émotionnel. Vous a-t-elle aidé à sortir ces émotions ?

Absolument. Je voudrais la saluer, c’est un talent incroyable. Comme disent les Américains : “Acting is reacting”, un jeu d’acteur est essentiellement un jeu de réaction, ce n’est pas un jeu d’action, c’est une réponse à un style. Babetida était tellement à l’aise que ça m’a aidé, cela a cristallisé les choses et m’a permis d’avoir plus facilement accès aux émotions et d’être en phase.

Question de la salle : C’est le seul film que j’ai vu où le bourreau s’en sort indemne. Cela pose la question du pardon.

Je pense qu’un film ou une pièce de théâtre sont le miroir de ce qu’il se passe en réalité. Dans la vie on veut toujours quelque chose, on contourne les obstacles pour avoir ce que l’on veut. Le but de mon personnage est de survivre. Il fait tout pour ça parce qu’il la connaît. Il sait que la culpabilité rend impuissant. Le secret que Marie garde en elle s’est transformé en monstre qui la ronge de l’intérieur. Une fois libérée de ce fardeau, elle n’a plus besoin de tuer : elle redevient humaine. Est-il possible de pardonner quand on a encore de la rancœur ? C’est l’un des thèmes qui sous-tendent le film. C’est un thriller psychologique, donc basé sur le suspens. C’est le premier long-métrage d’Ellie et elle a démontré une belle maîtrise.

Question de la salle : J’ai beaucoup apprécié la forte personnalité physique de Marie, qui arrive malgré tout à le supporter. Quel message porte cette forte personnalité ?

C’est effectivement une force de la nature. Ellie est une femme, et c’est un film féministe : il met la force de la femme en relief. Dans la vie, les femmes ont une force incroyable. Il faut une force surnaturelle pour faire ce que les femmes font et je pense qu’Ellie voulait leur rendre hommage. Mais pour Marie, sans l’arrivée du prêtre, ça ne se serait pas bien terminé parce qu’elle était un peu sur la pente descendante : elle n’avait pas de vie sociale, rongée par le passée, pas de relations intimes. Elle compose donc un personnage fragile qui doit se recomposer.

Olivier Barlet : Elle s’appelle Marie, ce n’est pas un hasard. Votre personnage s’appelle L’Oracle. Le film ne pose-t-il pas la question de la vengeance et du pardon de façon chrétienne, sur un plan moral ?

Je pense que c’est une problématique qui va au-delà du film et même au-delà du Cameroun ; souvent c’est le problème de la religion institutionnalisée. Moi, je suis musulman de naissance, une religion un peu moins institutionnalisée. Le problème vient des personnes qui ont pris les textes un peu trop à la lettre ou alors qui s’en servent… Ce n’est pas seulement religieux, c’est une question de pouvoir. On se base sur l’ethnie ou la religion.

Dans ce film, ce qui importe est le pardon individuel, le fardeau qu’on doit déposer. Avoir de la colère et de la rancœur, c’est un peu comme prendre du poison soi-même et espérer que ce soit une autre personne qui meurt ! On le sait tous, dans la vie si on ne peut pas déposer le fardeau et exorciser nos démons, on ne peut rien faire, c’est la descente aux enfers, la dépression et l’échec. Marie s’est sauvée en pardonnant.

Olivier Barlet : Une rédemption ?

Oui, c’est une rédemption.

Question de salle : Et la sœur dans tout ça ?

C’est un peu la Sainte Trinité !

Merci à Sara Adriana ALBINO pour sa transcription

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